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sur 396 notes
Les histoires belges ne sont pas toujours drôles.
Lors d'un récent séjour en Belgique pour un rappel BCG (Bières – Chocolats – Gaufres), j'ai voulu trouver un mobile à ma gourmandise en m'attaquant à ce classique symboliste, très « fin de siècle », de Rodenbach, publié en 1892.
Le titre est un bon indicateur de l'atmosphère macabre qui règne dans ce récit. Rangez les sourires et les rayons de soleil. Ce n'est pas la folle ambiance d'une soirée mousse au Musée de la frite.
J'ai lu que Rodenbach est mort en 1898, la même année que le Maître du symbolisme : Mallarmé. Rodenbach, lui, tire un peu à blanc. Oui, c'est lourd, mais cela me fait marrer.
Hugues Viane, est un veuf inconsolable qui s'est installé à Bruges, ville aussi morte que sa défunte épouse et si triste pour lui que ses canaux sont des joues sur lesquelles les eaux pleurent. Désolé, la poésie morbide est contagieuse.
Plus soucieux d'entretenir son chagrin que de le fuir, l'enjoué Viane vit reclus et s'accorde quelques rares promenades dans les rues mornes de la ville qu'il suit comme les allées d'un cimetière. C'est au cours de l'un de ses marches somnambules qu'il croise Jane, qui ressemble trait pour trait à sa défunte. Il va la suivre, la fantasmer, lui tenir compagnie et l'entretenir, redécouvrant les mondanités etle théâtre. Il va faire porter à cette jeune danseuse les robes de la morte, sombrant peu à peu dans un fétichisme qui flirte aussi avec le masochisme.
La petite danseuse n'étant pas un modèle de vertu, l'affaire va mal tourner. Une dramaturgie digne d'un opéra aux décors gothiques et aux passions surjouées. Rangez les coupettes en crystal.
Cette oeuvre fit polémique en son temps car l'auteur avait tenu à intégrer des illustrations de la ville (pas très belles – genre cartes postales envoyées à son patron) au fil du récit. Il matérialisa ainsi le cahier des charges du symbolisme qui entendait associer une image concrète à une abstraction, en l'occurrence, son texte, qui délaisse le réel et les descriptions de la vieille cité flamande que je refuse d'appeler la petite Venise du Nord, surnom touristique ridicule. Je déteste cette manie de qualifier la moindre ville traverser par un canal ou une rigole d'eaux usées, de petite Venise du Nord, du Sud ou du bout de ma rue. On en compte près d'une dizaine en France. Qualifier Sète de Venise languedocienne ou Salies-de-bearn de Venise béarnaise relève de la contrefaçon. Ils ont dû acheter le label à Vintimille. Autant mettre un vaporetto dans sa baignoire et se gondoler dans une flaque d'eau. Je m'emballe.
Tous les joyeux drilles de ce courant de comiques (Huysmans, Verlaine…), qui rejetaient le romanesque et le naturalisme, adoraient le flou, la mort, les cauchemars et la neurasthénie. Les paysages n'étaient là que pour refléter le spleen des âmes. Ils ont adoré Bruges-la-Morte. Jules Renard un peu moins, qui avait qualifié ce roman de « littérature de cave humide ». Je ne saurai mieux dire, ni médire à vrai dire.
A titre personnel, j'ai trouvé Bruges magnifique et les idées noires de Rodenbach, parues d'abord sous forme de feuilleton dans Le Figaro ne m'ont pas gâché la visite.
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Rodenbach. Je l'ai choisi en pensant à la mer, aux crevettes grises à décortiquer, en terrasse, que les amateurs associent immanquablement à cette bière particulière dont la mousse rapelle, des jours, l'écume par de-là la chevelure blonde du sable fin.

Cette mer qui s'est retirée de Bruges, il y a bien longtemps, emmenant avec elle les crevettes grises n'y laissant que les éminences et, à décortiquer, ce livre sur une mise en bière pleine d'amertume si longue en bouche qu'elle revient vous hanter. Avec Bruges pour écrin, sa femme morte dont le souvenir s'échappe comme du sable fin hormis cette chevelure blonde à laquelle Hugues se retient, ne reste dans les longues promenades que le gris des pavés suintant le soir tombant la brume qui émane des canaux plus sombres encore et dont les eaux noires à cette heure sous son regard noyé deviennent celles du Styx. En ces jours de Toussaint, en ces jours de crachin, pas une ombre de la morte ne flotte sur les canaux, seul un cygne et seule dans le lointain quelque cloche se met au diapason du chagrin, fêlée.

La mer ayant fuit les armées autrichiennes, à Bruges, le commerce s'en va, les commères s'en viennent, tout en parlotte qui cachotte et se chuchote, les voilà tissant leur dentelle de ragots à habiller un saint avant la procession. A Bruges même les béguines nagent dans des entrelacs de signes, de points de croix, sur leur corps sage le noir de leur robe et par dessus, pour ces religieuses, leur mante, noire aussi, tranchent sur le blanc immaculé de leur rigide cornette, les voilà telles de lugubres oiseaux jacassant sous le gris du ciel qui pour le coup se remet à pleurer. Cinq ans que Hugues se couche dans son lin seul, nuits blanches, noir désir, moins pieux que Bruges, se relève aux matines sonnantes, fantôme d'un fantôme, alors que lui chaut "la cendre des années" au pied du beffroi ?

Cinq ans d'errance dans Bruges en novembre, c'est long, la brume envahissante à se perdre dans cette forêt de clochers martelant le glas à l'unisson noie tout fors le chagrin et ce cygne là-bas sur le canal ; sombrant dans ce ciel si las Bruges fait grise mine, jours de Toussaint. Malgré les reliques qui s'empoussièrent, malgré la chevelure blonde en son catafalque de verre et malgré les photos jaunies, le musée mortuaire, le visage de la morte s'éloigne dans les brumes de la mémoire de Hugues comme autrefois la mer s'éloignait de Bruges, évanescente. Comment prolonger l'image de la morte ? "Une fois entrée en lui, cette idée devint fixe, obsédante, roulant son grelot." Alors espoir de désespoir, pour voler au secours du fantôme de la mémoire qui se détricote, Jane une autre elle, pour ranimer la flamme, se brûler comme une phalène à cette affligeante effigie qui s'enfile et se défile telle une dentelle.

L'amertume de Rodenbach devient cruelle ironie quand le jour du Saint Sang processionnent les cloches dans la ville rubis et que le nécromancier nous offre après une mort subie, une Mort Subite, prélude à une autre mise en bière pour hanter une vie déjà détruite, déliquescente.
J'en garderai longtemps le goût.
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Puissamment poétique, ce roman s'inscrit tout entier dans le décor de Bruges, perle du plat pays. Bruges la croyante, Bruges la fervente, Bruges la grise, Bruges la morte.

Un décor tout en clochers et en canaux pour servir d'écrin à un poignant drame romantique que dépeint une narration presque fantastique - qui n'est pas sans évoquer certaines nouvelles de l'ami Maupassant - mais que ses accents terriblement naturalistes affilient davantage à Zola.

Hugues est un quadragénaire veuf et inconsolable. Cinq ans après la perte de l'être aimé, il vit toujours cloîtré chez lui, avec sa bonne pour seule compagnie, usant ses jours dans un devoir de mémoire quasi mystique. Parmi les effets de la défunte qui sont pour lui autant de reliques journellement adorées, se trouve notamment la chevelure d'or de la morte dont l'absence ne semble pouvoir trouver d'apaisement que dans le silence morne de la ville, seulement troublé par les carillons des offices religieux. Malgré l'isolement et le chagrin, Hugues le mort-vivant, va pourtant à nouveau s'enfiévrer et sentir la vie reprendre ses droits lorsque son chemin croise celui d'une passante à la blonde chevelure et dont la ressemblance avec feue son épouse le bouleverse irrémédiablement.

J'ai été très touchée par ce roman et par cette poursuite de l'amour qu'il décrit à travers l'illusion, l'espérance puis la folie. La plume de Georges Rodenbach, tout en subtilité, est remarquable de talent ; les descriptions sont savoureuses, les allégories accessibles, le spleen palpable et malgré l'évidente noirceur du récit, c'est la beauté de l'amour et de la foi qui marque durablement le lecteur.


Challenge 19ème siècle 2015
Challenge PETITS PLAISIRS 2014 - 2015
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Sur les conseils de Krout, je me suis lancée dans la lecture de ce petite roman.

De plus Bruges est une ville que j'aime beaucoup par son architecture particulière et par l'atmosphère qui en ressort. Après lecture, je ne peux que dire que l'auteur n'aurait pu mieux choisir Bruges pour en faire un personnage a part entière.

Ce petit roman , très riche, malgré un nombre de pages limitées et d'une incroyable intensité est tellement emprunt de poésie. C'est pourtant étrange de lire de si belles choses alors que le sujet est si noir : la mort ou plutôt l'impossibibilité de faire le deuil.
Néanmoins j'ai été très surprise par le fait que l'auteur ne nomine jamais la défunte autrement que par la morte, l'autre ou la disparue.. j'ai , personnellement trouvé que cela mettait de la distance entre la jeune femme décédée et Hugues, alors que justement Hugues lui voue un amour sans limite ni frontière.

Une très belle découverte
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Veuf, ténébreux, inconsolé, il traîne son chagrin dans les rues de Bruges, enveloppées d'une brume flottante. Promenades solitaires sous un ciel gris, dégoulinant d'un chagrin qui résonne au chant des cloches vieilles et taciturnes, dans le silence des canaux bordés de peupliers frémissant de douleurs. Elle arbore des couleurs de douleurs qui reflètent l'âme du veuf éploré.

La ville austère enveloppe cet homme dans son écrin de chagrin, l'étouffe et l'empêche de voir la lumière. Ou, est-ce lui qui ne peut plus voir la beauté ? Qui ne se laisse pas une dernière chance d'exister ? Veuf à jamais d'une ville qu'il veut à l'image de sa femme morte, pour lui rester fidèle et ne pas être un « défroqué de la douleur ». Une ville qui arrête le temps, une ville où se fondre et s'oublier.

Belles descriptions d'une ville qui devient personnage. Ville qui enivre et prend au piège de ses filets de mélancolie, sur ses canaux où la mer s'est en allée pour toujours.
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Bruges-la-morte, c'est là qu'Hugues Viane s'est échoué après la mort de sa femme adorée. La Morte, dont on ne connaîtra jamais le prénom, a laissé son mari inconsolable, gardien d'un mausolée conservant souvenirs, robes, photographies et, ultime relique, la si blonde tresse de la défunte, protégée par un cercueil de verre. Hugues a choisi Bruges la sépulcrale comme on choisit un tombeau, pour y attendre que la mort l'unisse à nouveau à sa chère et tendre. Proche de sombrer lui-même corps et âme mais imprégné de foi catholique, il résiste à la tentation du suicide qui l'emmènerait aux Enfers, bien loin du paradis où repose sans nul doute sa bien-aimée. Egaré depuis cinq ans dans sa souffrance comme un promeneur dans un dédale de ruelles brumeuses et sombres, il erre, sans but et solitaire, dans la ville suintante d'humidité, hanté par la pléthore de clochers qui carillonnent un glas incessant. Un soir, alors qu'irrémédiablement l'image de la Morte s'efface de sa mémoire, un miracle : il la croise dans la rue. Ou plutôt, il croise une inconnue, copie conforme de l'épouse vénérée. Rattrapant la jeune femme pour rattraper le temps et les souvenirs qui fuient, Hugues s'enlise dans la désillusion d'une illusion, jusqu'à briser le miroir. Comparaison n'est pas raison...

Baigné par les canaux autant que marqué par le poids de la religion et des convenances sociales du 19ème siècle, ce court roman, fleuron du symbolisme, a la ville de Bruges pour personnage principal. Un personnage gris, sévère, funèbre, « où tous les jours ont l'air de Toussaint », qui reflète exactement l'état d'esprit du veuf éperdu. Bien que prévisible, voici un roman à la lisière du fantastique, mélancolique et crépusculaire donc, mais écrit avec une poésie et une psychologie aussi fines qu'une dentelle... de Bruges. Etrange comme cette morbidité est fascinante...
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En visite à Bruges la semaine dernière, j'ai acheté un petit guide touristique. Deux pages sont consacrées à l'histoire de la ville des origines à nos jours. Cela m'a donné envie d'en apprendre davantage et de relire ‘L'enfant de Bruges' de Gilbert Sinoué.

Le roman de Georges Rodenbach (1892) y est évoqué. Grâce à lui, la richesse patrimoniale de Bruges a été redécouverte après 4 siècles de déclin qui a commencé avec la mort de Marie de Bourgogne en 1482.



Une belle découverte, j'ai aimé reconnaître les endroits évoqués. L'histoire n'est pas très joyeuse mais j'ai pris plaisir à la lire.




Challenge XIXe siècle 2022
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Si la trame de cette novella m'a peu convaincue, un veuf , Hugues Viane, tel le Desdichado de Nerval, ténébreux, inconsolé, qui vient étayer son chagrin et sa paranoïa à Bruges, je me suis, en revanche, délectée à rechercher et à trouver (pas intégralement, car il y a matière à travailler encore et encore) les influences, les emprunts, d'autres écrivains, philosophes, peintres, musiciens, poètes en particuliers : Mallarmé, Rimbaud, Baudelaire, Nerval, Théophile Gauthier, Schopenhauer, Verlaine, Verhaeren... J'ai recensé, collecté aussi les figures de styles, analysé l'onomastique… bel exercice de révision , et bien sûr, je me suis (ré) immergée dans la cité brugeoise avec grand plaisir plein d' émotions . L'insertion de photographies dans le texte permet une déambulation nostalgique et intime à travers la Venise du Nord : Notre-Dame, le théâtre, le béguinage, le labyrinthe des canaux, les entrelacs des rues désertes, l'intimité des places, à l'ombre crépusculaire du beffroi.
Une belle découverte

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Bruges-la-Morte est le premier roman photographique ( à ne pas confondre avec le roman-photo, rien à voir !!) de la littérature, environ trente ans avant Nadja d'André Breton. Cette oeuvre suscita de nombreuses controverses dans les milieux littéraires à cause de l'insertion de photos, ce qui en faisait un hybride. Mais peut-on parler de roman pour cette oeuvre, assez courte pour être une nouvelle, dont l'écriture est très poétique?
Rodenbach fait appel au topos de la chère disparue, la femme défunte et adorée.
Hugues, le personnage, s'enferme dans son deuil et ses habitudes : il voue un véritable culte à la morte, allant jusqu'à se recueillir devant sa chevelure qu'il a soigneusement conservée.
Il assimile son chagrin et son deuil au paysage de la ville de Bruges. Lors d'une de ses promenades quotidiennes, Hugues croise une femme ressemblant à son épouse décédée. le trouble l'envahit, Elle deviendra son obsession.
De nombreuses références intertextuelles : "La chevelure" De Maupassant, le topos de la passante, Baudelaire ("A une passante") , "El desdichado" De Nerval, etc.
En bref, une oeuvre littéraire très riche, bourrée de références, dont la poésie m'a plu.
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Georges Rodenbach (1855-1898) a, au fond, peut-être écrit le premier roman de Georges Simenon (1903-1989)... Certes, "Bruges-la-morte" fut publiée dès 1892 !

Mais, bon sang, nous reconnaîtrions presque tous les errements du "Baas" ‒ le pauvre et si digne Joris Terlinck, héros pathétique en "Le Bourgmestre de Furnes", qui fut en 1939 l'un des sommets littéraires de notre grand Liégeois universel.

Et l'on songe également aux charmes mortifères des canaux ‒ également simenoniens ‒ de "Chez Krull" (1939, toujours) ou encore aux eaux mortes du "Maigret" précurseur de... "Chez les Flamands" (1932).

Ce qui ne gâte rien : l'intemporalité de l'écriture de "Bruges-la-morte", des (fantômes de) personnages et des "décors architecturaux et aquatiques" (assoupis ou défunts), par eux traversés, tout comme les siècles... Bruges, cette "perle" du commerce hanséatique (la "Ligue de la Hanse" germanique ou teutonne, presque immémoriale, son esprit rigide et pragmatique toujours vivant...), la mer retirée...

Le pont des Béguines, la Porte Dorée, le Quai du Rosier, le Béguinage... le son assourdi des carillons des Beffrois... Les parcours vespéraux "circulaires" du veuf Hugues Viane... Sa morte ressuscitée en Jane Scott, la danseuse...

Bref, quel bonheur de lecture !!!

Chef d'oeuvre dit "symboliste" toujours vivant, à la poétique intacte et aux beaux mystères insubmersibles...

Et puis l'on relit en préface ‒ sans doute avec un rien de cruauté rétrospective ‒ les imbécillités proférées à propos de photographie... par le grand "Je-Sais-Tout" de l'époque, un certain Emile Zola, alors pontifiant et s'attaquant méchamment à l'oeuvre [qui s'inspirait de techniques photographiques] du grand et modeste Gustave Callebotte, et à sa vision grand-angulaire et transcendentale du pavé parisien... Zola condamnant tranquillement en ses peintures "la photographie de la réalité qui n'est pas marquée du sceau original du talent" ...

Les 35 photographies noir-et-blanc ‒ contemporaines de la première publication ‒ ponctuant le roman (au suspense poétique palpitant) de RODENBACH sont évidemment ‒ de par leurs merveilleux silences ‒ un poétique et immortel démenti à tant d'aveuglement et de fatuité "d'époque"...


Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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