Un authentique « dime novel », ces romans à dix sous du far-west, exhumé par les éditions Anacharsis, ça vous dit ?
Et pas n'importe lequel : il fonde la geste de Joaquin Murieta, bandit mexicain oeuvrant dans la Californie récemment américaine des années 1850, dont l'historicité n'est pas absolument prouvée mais dont la postérité est d'avoir inspiré le personnage de Zorro.
Tout cela est expliqué dans l'excellente préface de
Karl Jacoby, qui nous présente également l'auteur John Rollin Bridge, un indien cherokee. Lui, comme destin extraordinaire (et briseur de clichés), il se pose là : fils d'un chef cherokee tué devant lui par une faction rivale pour avoir signé un traité avec les blancs ; élevé loin de là, en Arkansas, par sa mère, une blanche ; faisant des études de droit et ouvrant un cabinet d'avocat ; tuant un assasin présumé de son père ; partant avec la ruée vers l'or pour la Californie mais y devenant journaliste et écrivain, le premier romancier amérindien publié avec notamment cette Ballade de Joaquin Murieta ; plus tard leader de la délégation cherokee pour un traité après la Guerre Civile, dans lequel il espérait faire reconnaître un territoire cherokee comme un état de l'Union. Il meurt à 40 ans d'une encéphalite.
L'action se déroule pendant la ruée vers l'or californienne, et donc peu de temps après que le sud de la Californie soit devenu américain, après la guerre entre le Mexique et les États-Unis. Murieta est un Mexicain, venu de l'état de Sonora pour tenter sa chance comme mineur, qui se transforme en redoutable chef de bande après avoir été en butte à trop d'injustice raciste. Et le livre raconte son parcours, jusqu'à ce qu'il soit tué par la milice lancée à sa poursuite et dirigée par un certain capitaine Harry Love.
C'est écrit de la façon conventionnelle et un peu sommaire à laquelle on pouvait s'attendre, avec néanmoins quelques particularités intéressantes. le conventionnel, c'est l'aspect moralisateur et quelques tournures de précautions oratoires, genre « Si j'entreprends cette tâche, ce n'est pas pour céder au goût pervers de ce que le personnage peut avoir d'obscur et d'effroyable… »
Pour le côté sommaire, ces aventures sont racontées à la vite, comme une accumulation de chevauchées et de rencontres plus ou moins paisibles. Avec quand même, au passage, des aspects ou détails qui en disent pas mal sur la vraie ambiance de la vie au far-west avant qu'elle soit outrageusement romancée par Hollywood.
Et puis, les caractères sont brossés à gros trait peu subtil. le héros est attachant, ses déboires expliquent pourquoi il s'est dévoyé et il aura des gestes de noble mansuétude envers quelques victimes de ses rapines, notamment leur laisser la vie sauve ! le vrai méchant est un de ses lieutenant, Jack-les-Trois-Doigts, prenant un plaisir sadique à torturer et tuer. Parce que, globalement, la « geste » de la bande consiste principalement à attaquer des voyageurs, mineurs ou fermiers isolés pour les dépouiller et en général les tuer pour supprimer les témoins. Pas souvent fortunés, on est loin de Zorro. Il y a même une séquence où ils privilégient les mineurs chinois (et oui, de nombreux immigrés chinois s'étaient joints à la ruée vers l'or) parce que ça suscite moins d'émotion et donc de risques de représailles par les autorités.
C'est une des particularités de l'ouvrage, il dénonce régulièrement le racisme ambiant entre les différents groupes, américains blancs, mexicains, indiens, chinois, qui constituent la Californie d'alors. Et puis aussi et surtout, dans le style, une ironie quasi permanente, parfois joyeusement mordante (cf ma citation).
Une chouette découverte, donc, que je dois à la dernière Masse Critique et dont je remercie Babelio et l'éditeur. Et aussi la découverte de cet éditeur toulousain qui a d'autres pépites du même tonneau à son catalogue et mérite qu'on s'y intéresse.