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sur 699 notes
Le nouvel opus de Sally Rooney, auteure à succès de « Conversations entre amis » et de « Normal People » est un roman épistolaire dans lequel Alice et sa meilleure amie Eileen s'échangent de longs e-mails qui succèdent aux missives d'antan.

Alice, écrivaine qui a connu un succès fulgurant, se remet d'une longue dépression dans un petit village irlandais où elle rencontre Felix, un manutentionnaire qui ignore tout de sa célébrité.

Eileen, qui approche comme Alice de la trentaine, travaille pour un salaire dérisoire dans un magazine littéraire de Dublin, et vient de renouer avec le beau Simon, assistant parlementaire qu'elle connaît depuis l'enfance.

Si le parcours d'Alice évoque inévitablement celui de l'auteure, le roman n'emprunte pas au registre de l'auto-fiction si prisé par les auteurs français. le style marqué par des phrases très courtes privilégie l'efficacité au détriment d'une forme de poésie dont l'auteure regrette à juste titre la disparition.

Roman immobile, dénué de réelle intrigue, le livre de Sally Rooney mêle les confidences intimes et de longues digressions « philosophiques ». « Où es-tu monde admirable ? » est un roman contemporain doux-amer, qui tente de saisir les angoisses existentielles de l'époque, au travers de la correspondance entre deux amies aussi attachantes qu'exaspérantes.

La relation « je t'aime, moi non plus » entre Eileen et le trop parfait Simon finit par lasser tout comme la multiplication de scènes de sexe très « anglo-saxonnes » où chacun des partenaires verbalise tour à tour sa demande et son consentement.

La rencontre improbable entre Alice, romancière que le succès a failli briser, et Félix, qui malgré ses fêlures apparaît comme le personnage le plus authentique du livre, semble moins convenue et offre un semblant de souffle romanesque au dernier opus de Sally Rooney.

Les états d'âmes des deux amies sont marqués par une forme de nombrilisme, mêlé à un sentimentalisme qui paraît parfois un peu surfait. Les deux héroïnes évoquent ainsi deux enfants gâtées se complaisant dans un examen introspectif sans fin de leurs sentiments respectifs.

Certaines réflexions frappent toutefois par leur justesse, notamment lorsqu'Alice évoque à quel point le renoncement à la Beauté de notre civilisation happée par le fonctionnalisme, est le signe de sa décadence. La fulgurance de ces digressions sur la vacuité de la célébrité, sur les signes annonciateurs de la fin de notre Civilisation ainsi que sur le message d'un christianisme en voie d'extinction confèrent au roman une forme de supplément d'âme.

« Où es-tu monde admirable ? » est un ouvrage déroutant, qui subjugue son lecteur par sa finesse et son ambition autant qu'il l'exaspère par l'introspection parfois geignarde de ses héroïnes.

Dans son dernier livre, Sally Rooney nous propose un roman en forme de miroir d'une époque désenchantée. Malgré ses imperfections, « Où es-tu monde admirable ? » est sauvé par la justesse du regard désabusé que portent ses personnages sur un monde abandonné par la transcendance.
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Eileen et Simon sont amis depuis toujours. Alice et Eileen entretiennent une relation épistolaire. Alice tente l'aventure d'une vie de couple avec Regis, bien que tout les sépare. Alice est une autrice connue et célèbre, Regis partage sa vie entre l'entrepôt d'expédition de colis et ses soirées au pub. Tout au long du roman, nous assisterons aux échanges multiples, souvent à distance, jusqu'à ce que le hasard ou la volonté les ramènent à se rencontrer tous les quatre.

C'est surtout au travers de la correspondance entre Eileen et Alice que Sally Rooney nous propose sa vision du monde actuel, sur les thèmes des relations homme-femme, de l'amour, de l'amitié, de la religion ou de l'injustice et de la part de hasard qui construit les destins. Sans oublier les affres de la production littéraire et les conséquences de la célébrité.

Il règne dans ce roman une ambiance nihiliste certaine, sur le thème du c'était mieux avant, à présent tout est laid, tout est corrompu, et l'homme ne mérite pas d'être racheté. Certes la simple écoute d'un bulletin d'information suffit s'il en était besoin pour constater la dégradation de nos conditions de vie, mais le passé n'est pas forcément un paradis perdu.

C'est sombre, tristounet, et les quelques parties fines ne relèvent pas la marasme général.

Découverte de l'autrice, mais pas convaincue par le propos.

384 pages L'Olivier 19 août 2022

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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« Si tu n'étais pas mon amie, je ne saurais pas qui je suis. »

Alice, Eileen, Simon, Felix : deux femmes, deux hommes réunis dans un quatuor d'amitié et d'amour, à moins que cela ne soit l'inverse. Liés de longue date ou plus récemment, et arrivés au coeur de la trentaine, l'heure est à l'interrogation sur le véritable passage à l'âge adulte, forts des expériences déjà passées, mais inquiets devant la tournure prise par l'époque.

Dans Où es-tu, monde admirable (Quel titre, où la traduction légèrement différente du vers allemand d'origine ou du titre britannique fait une sacrée différence - Bravo Laetitia Devaux), Sally Rooney nous plonge dans le tourbillon existentiel de deux amies d'enfance, que la vie a malmenées sans pour autant les séparer.

Alice, romancière à succès, qui a tant souhaité la célébrité qu'elle la subit maintenant qu'elle est là : « Je suis consciente de l'extraordinaire privilège de pouvoir gagner ma vie avec quelque chose d'aussi inutile, par définition, que l'art. » Et Eileen, assistante littéraire à la vie solitaire comme le fut son enfance avant qu'elle ne rencontre Alice puis Simon. Peu de choses en commun, excepté leur jeunesse, les souvenirs, leurs échanges sur leurs amours respectifs. L'amitié, quoi…

En racontant ces tournants de vie, Sally Rooney ne se contente pas d'explorer les états d'âmes de ces jeunes trentenaires (dont je suis parfois resté spectateur), mais à travers elles, raconte à voix haute les travers de notre siècle. Et là, c'est absolument délicieux ! Car tout y passe. Florilège, non exhaustif :

La course à la célébrité : « Les gens qui deviennent célèbres parce qu'ils le veulent – je parle des gens qui, après avoir goûté à la gloire, en redemandent – sont, et je le crois en toute sincérité, psychologiquement malades. »

La vacuité de beaucoup de combats à mener : « J'ai envie de vivre autrement, ou s'il le faut, de mourir pour que d'autres puissent un jour vivre autrement. Mais quand je cherche sur Internet, je ne vois pas beaucoup d'idées qui vaillent la peine de mourir. La seule qu'on y trouve, il faut croire, c'est qu'on devrait contempler l'immense misère humaine qui s'étale sous nos yeux et se contenter d'attendre que les moins malheureux et les moins opprimés nous disent comment y remédier. Comme si on croyait que les conditions de l'exploitation génèreront miraculeusement une solution à l'exploitation. »

Les auteurs contemporains et leurs travers « hors sol » : « Pourquoi prétendent-ils être obsédés par la mort, le deuil ou le fascisme alors qu'en réalité, ils sont obsédés par la question de savoir si leur dernier livre va être chroniqué par le New York Times ? (…) « Ils rentrent chez eux après un week-end passé à Berlin, quatre interviews, trois séances photos, deux rencontres à guichets fermés, trois long dîners agréables où tout le monde s'est plaint de mauvaises critiques, et ils ouvrent leur vieux MacBook pour écrire un petit roman bien senti sur “la vie ordinaire“. Je ne dis pas ça à la légère : ça me donne la nausée. »

Les comportements sexuels « Honnêtement, je me dis que si tout homme qui s'est un jour mal comporté dans un contexte sexuel devait mourir demain, il en resterait environ onze sur terre. Et pas que les hommes. Les femmes, les enfants, tout le monde. Là où je veux en venir, c'est sans doute à ça : Et si ce n'était pas seulement un petit nombre de personnes malveillantes qui craignaient que leurs mauvaises actions soient exposées ? Si c'était notre cas à tous ? »

La laideur de l'époque « Ma théorie, c'est que les humains ont perdu le sens de la beauté en 1976, l'année où le plastique est devenu le matériau le plus utilisé au monde. »

Le pardon : « On déteste les gens à cause de leurs erreurs tellement plus qu'on ne les aime pour avoir bien fait, que la façon la plus simple de vivre est de ne rien faire, de ne rien dire et de n'aimer personne. »

La liste pourrait être encore longue de tous ces aphorismes délectables, incluant la religion, la littérature – on croise ici Proust, Morisot, Manet, Picasso, Ernaux, Miles Davis, Henry James ou Tolstoï – le sexe ou la beauté. le tout dans un style qui m'a particulièrement ravi : « Il avait une voix claire et mélodieuse avec une pureté tonale qui emplissait la pièce, montait puis retombait si bas qu'elle en avait presque la qualité du silence. »

En conclusion, paraphrasant le Tancrede du Guépard, il faudrait finalement que tout change pour que rien ne change : « Je veux que tout soit comme avant, a dit Eileen. Qu'on soit à nouveau jeunes, qu'on habite l'une près de l'autre, que rien ne change. »

Et un peu après, « Alors, malgré tout, malgré l'état du monde tel qu'il est, l'humanité au bord de l'extinction, me voilà encore en train d'écrire un mail sur le sexe et l'amitié. Mais qu'y a-t-il d'autre à vivre ? »
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Alors que je n'avais pas été sensible au deuxième roman de l'auteur , j'ai décidé , devant son succés, (et surtout parce que ma fille a acheté son premier !) , de lui redonner une chance. Et bien m'en a pris, comme quoi : ne jamais dire jamais ...

Alice a loué un presbytère dans un village où elle ne connait personne. Elle a laissé sa meilleure amie Eileen à Dublin, ayant comme objectif : écrire un nouveau roman. de façon fulgurante (et assez incompréhensible pour elle), elle a connu un immense succés et un de ses livres est adapté au cinéma. Aussi , Alice n'a-t-elle, aucun problème d'argent, quand elle rencontre Felix, sur Tinder , qui, lui, ne posséde rien, et a un job qu'il déteste.
Quand à Elleen, elle a un boulot qui lui plait beaucoup, dans l'édition, mais elle gagne des clopinettes. Elle retrouve un de ses amis d'enfance , Simon pour lequel, elle a toujours eu un faible.
Eloignées,, les deux amies échangeront les avancées de leurs vies, leurs réflexions sur le monde, par-mails.

Ça, c'est ce que raconte plus ou moins le résumé, mais ce n'est pas un roman : qu'épistolaire, on suivra les deux trentenaires dans leurs sorties, leurs dialogues, leurs scénes d'amour et leurs retrouvailles. En parallèle de cette histoire d'amitié, ce roman raconte deux histoires d'amour.
Le point fort de Sally Rooney, c'est qu'elle parle de son époque. Ses histoires d'amour n'échappent pas à l'air du temps. Elles sont balbutiantes, hésitantes : chaque personnage n'osant pas faire un pas de plus que son partenaire. Beaucoup d'incompréhension , de " je veux rester ton amie, alors je te quitte pour garder cette belle relation qu'on a "... Un personnage qui ne rechignerait pas à un plan à trois, voir plus si affinités, de la bisexualité exprimée et donc, normalisée. Une femme qui gagne plus que son homme. le fameux consentement exprimé dans toutes les scénes d'amour qui tranche avec la passion, la rapidité de certaines scénes de romans plus anciens...
Ce en quoi, cette histoire d'amours et d'amitié est "moderne".
Et si les personnages sont gentiment malheureux au départ, ont connu la dépression , ils se font du bien mutuellement jusqu'à y trouver un équilibre .
Il y a des réflexions sur notre époque qui font se pâmer les intellectuels qui n'y voit donc pas une histoire d'amour , romantique et cul-cul la praline, mais certains passages sont vraiment ennuyeux... Il ne faut pas pousser, ces deux personnages féminins ne s'interrogent pas sur" le monde, l'inégalité , l'injustice, la violence" , aussi intensément que l'éditeur le prétend, elles vivent aussi ...
Mais , J'ai aimé le fait qu'Alice soit écrivaine. Sorte de double de Sally Rooney, d'ailleurs leurs prénoms ont la même sonorité ( A-LI- CE / S-A-LLY). On ne peut s'empêcher de penser que le succés qui s'abat sur Alice a dû être aussi destabilisant pour Sally Rooney. Elle aussi a vu ses livres adaptés sur petit et grand écran, donc elle aussi vit ( mal ? ) la célébrité. Tout cela sonne juste et peut être troublant.
J'ai suspendu mon souffle tout du long en me demandant ce que voulait Felix, si c'était Alice qui l'attirait ou son argent... Et comment cela allait-il finir. C'est LE personnage le moins " palpable".
Le style d'écriture est assez détaché, clinique ( ça frappe lors des scénes de sexe) , Sally Rooney intellectualise tout. Ce qu'elle "dit" est aussi important que ses silences ; on aime ou on n'aime pas...

Des personnages un peu cabossés par leur éducation, la vie , mais qui sauront donner le petit coup de pied au fond de la piscine, à la fin ! Je suis réconciliée avec Sally Rooney !
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Plus sensible que Normal People malgré cette plume clinique, froide et observatrice qui caractérise les romans de Sally Rooney, ce livre décrypte la vie de trentenaires désabusés. La description minutieuse de leurs actions est rythmée par de longs mails qui permettent une plongée plus intime dans l'intériorité des deux femmes héroïnes, entre divagations intellectuelles et épanchement sentimental (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/08/22/ou-es-tu-monde-admirable-sally-rooney/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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En ouvrant Où es-tu monde admirable, j'ai eu l'impression de retrouver l'héroïne de Normal people en version adulte. Eileen et Alice, les 2 correspondantes trentenaires du roman, sont plus mûres que Marianne mais pratiquent aussi allègrement la valse hésitation et se questionnent beaucoup : sur l'amour bien sûr , l'amitié, la foi, mais aussi sur l'état du monde ou la chute des civilisations. Elles ont un regard très lucide, parfois très sombre, sur la société qui les entoure.
« On déteste les gens à cause de leurs erreurs tellement plus qu'on ne les aime pour avoir bien fait que la façon la plus simple de vivre est de ne rien faire, de ne rien dire et de n'aimer personne. »
Le style de Sally Rooney, facilement reconnaissable, très clinique, oscille continuellement entre dialogues et descriptions minutieuses. Ainsi, tout est parfaitement lisible : c'est presque une pièce de théâtre qui se joue sous nos yeux. Et si l'incapacité au bonheur des 2 amies peut parfois agacer, on se laisse finalement prendre assez vite à ces tergiversations de l'amour et aux nombreuses possibilités qu'elles offrent 😉
J'ai donc très vite été happée.
Et j'ai beaucoup aimé.
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Où es-tu, monde admirable est un roman contemporain qui pose le problème de la vie dans notre société actuelle.

Sally Rooney a écrit un roman épistolaire relatant les échanges entre deux amies d'université, centré sur quatre personnages, un manutentionnaire, voyou au grand coeur, un attaché parlementaire, entre ange et démon, une écrivaine, riche mais esseulée et une assistante éditoriale, brillante mais sans but. Il est question de sexe, de politique, de religion, d'amitié, de culture, de relations familiales. La civilisation s'effondre, mais la vie dans ses individualités se poursuit.

Cette question est certes contemporaine, mais peut-être pas tant que cela : de tout temps, les jeunes ne vivent-ils pas à travers de grandes idées et les trentenaires ne s'assagissent-ils pas en revenant à des réalités plus matérielles ?

Ce roman m'a fait penser à Nos espérances d'Anna Hope sur le récit d'une vie trop ordinaire. J'aime qu'un roman ait un axe historique, géographique ou thématique en faisant sortir du quotidien, pour permettre de se questionner sur le monde et qu'il véhicule de fortes émotions qui laissent une marque à long terme. Je n'étais donc sans doute pas le bon public pour ce roman qui aborde par touches des sujets profonds à travers beaucoup de légèretés.
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Alice et Eileen sont deux amies irlandaises qui se sont connues pendant leurs études à Dublin. Dans la fin de la vingtaine, elles sont toujours amies et échangent régulièrement des mails dans lesquels elles se dévoilent et se questionnent sur leur vie, leurs sentiments, leurs amours et leurs décisions.
L'autrice Sally Rooney nous offre ici encore un roman très profond et très ancré dans le monde contemporain. Les quatre personnages principaux sont autour de la trentaine et se posent beaucoup de questions existentielles, certaines très intéressantes, d'autres très ego-centrées, et se remettent sans cesse en question, quelques fois de manière agaçante mais finalement, tous les quatre cherchent un sens à une vie qui semble en manquer. Ce qui est la marque de fabrique du XXIème siècle.
Le style de Sally Rooney peut perturber un peu, il est libre, les dialogues étant souvent inclus dans les paragraphes de descriptions ou les pensées des protagonistes, mais ce n'est pas rédhibitoire au contraire, déjà dans « Normal People » je l'avais trouvé moderne, donnant une autre dimension aux dialogues qui s'enchainent de façon fluide.
En bref, la lecture m'a beaucoup plue, je vais essayer de trouver « conversations entre amis » que je n'ai pas encore lu, mais qui, s'il est de la veine des deux livres que j'ai lus, devrait me plaire… en chasse!
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Ce je ne sais quoi qui m'avait tant bouleversée dans « Normal People », je l'ai retrouvé dans « Beautiful world, where are you ». Et elle est forte Sally Rooney, très forte, car je ne peux pas vraiment mettre le doigt dessus.

Ce n'est pas forcément l'intrigue, qui est somme toute assez simple. On suit deux histoires d'amour, naissantes ou renaissantes, à travers l'amitié et la correspondance entre deux femmes. Bon. Rien de dingue dit comme ça. Ils se donnent rendez-vous, se confient, partent en voyage, font l'amour, se disputent. Bon. La structure est simple, les chapitres s'alternent avec rythme : on suit Alice et Felix, puis on lit un mail entre Alice et Eileen, puis on va voir du côté d'Eileen et de Simon. (Presque) pas de surprise, j'y reviendrai. Alors qu'est-ce qui en fait un des meilleurs romans que j'ai lus dans ma vie, dans la même veine que le chef d'oeuvre qu'est « Normal People » ?

Déjà, la subtilité de l'écriture de Sally Rooney. C'est du génie pur. On n'a jamais accès aux pensées, aux émotions des personnages, jamais, et pourtant, on ressent tout. Elle décrit le décor de chaque scène, l'emplacement des fenêtres, la lumière qui y transparait, et ça donne tout de suite un ton, une ambiance. Elle décrit les gestes des personnages, sans jamais rien laisser sous entendre de leurs émotions. Mais on le sait. Les dialogues, de même, parlons en. C'est de l'art. On entend tout, les silences, les pauses, les intonations, les murmures, les soupirs, les tremolos, les hésitations. On entend tout, et encore une fois elle ne précise jamais rien. Mais ça résonne dans la tête, ça sonne si juste. Et j'adore la façon qu'elle a de les introduire complètement dans le récit, de ne pas marquer du tout de séparation entre les dialogues et la narration, de par la ponctuation déjà. C'est fluide, c'est un film qui se déroule dans notre tête sans coupure, sans changement de plan. C'est incroyable. Et elle sait si bien faire ressentir les choses, parler de l'amour, des hésitations, et de sexualité. Encore une fois, ces scènes là sont tellement douces, et actuelles, transpirent de consentement et de verbalisation, et ça fait du bien de voir ça dans de la fiction.

J'ai fait beaucoup de comparaisons avec « Normal People » car le livre a résonné en moi de la même manière, mais Sally Rooney n'est pas tombée dans le piège d'en faire un copier-coller. Certes, on suit deux histoires d'amour chaotiques, mais ici Sally Rooney a rajouté quelque chose. Et aux vues de ses récentes prises de position politiques, je pense qu'on peut dire qu'elle y a rajouté un peu, et même beaucoup, d'elle-même. Car dans tous les mails entre les deux héroïnes, il y a beaucoup de réflexions politiques et sur la société d'aujourd'hui. Ce que ça veut dire d'être trentenaire dans un pays favorisé en étant sans cesse confronté aux malheurs du monde, de n'avoir jamais manqué de rien, de vivre dans la sur-consommation, quand on voit le monde se désagréger. L'impuissance que l'on ressent. Elle parle de la culpabilité de faire passer ses petits malheurs personnels avant tout, malgré tout, elle parle de ruptures amoureuses, de dépression. de la culpabilité de se sentir mal dans un monde où l'on ne manque de rien, de se sentir égoïste. Tous les passages qui parlent de la maternité ont résonné en moi avec une force incroyable, notamment le magnifique et sublime dernier chapitre.
Un dernier mot sur la structure du roman, que j'ai qualifiée précédemment de prévisible et stable. Oui, pour les trois quarts du récit. Et puis non, d'un coup, ça ne l'est plus. Si chaque précédent chapitre avait été une carte, posée une à une pour construire un château, bancal, on le voit bien, quand on perd la structure du récit, quand tout se rencontre, tout est démoli. Et là, on se demande vraiment où il est, ce « beautiful world ». Et la fin nous donne la réponse. C'est un livre résolument lumineux, émouvant, actuel et précieux.
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Chronique vidéo https://www.youtube.com/watch?v=wXDsmDSFKEQ

Je vais pas parler de déception, je ne sais pas si c'est le terme parfait, mais j'attendais que Sally Rooney se renouvelle un peu, ce qui n'est pas le cas dans ce livre. Autant, son style est encore dans une sorte d'épure ouatée que j'aime beaucoup, avec presque un côté didascalique (on voit qu'elle réfléchit en termes de scénographie, que les gestes et ce qu'ils véhiculent sont aussi importants que les mots). Mais ses personnages ont l'air d'être à chaque fois les fantômes de ses précédents livres, ce qui fait que, j'étais muée par un ennui poli dans celui-ci — j'y retournais pas en me pourléchant les doigts, quoi. Il y a le côté un peu agaçant du millenial tel que peint par un Christophe Barbier (tu as 33 ans, Sally !) (j'ai du mal à les concevoir de la même manière qu'elle — on a envie de les décoiffer avec leur sérieux neurasthénique) ; ils portent la misère du monde sur les épaules, parlent socialisme de manière amorphe dans des mails entre deux rendez-vous tinder aussi amorphes — est-ce que ça parle vraiment d'eux ? N'est-ce pas un moyen d'avoir la pastille « voix générationnelle » sur la jaquette de la couverture ? Enfin, elle pourrait avoir des personnages un peu différents pour changer ! Pourtant, il y a des choses qu'elle décrit bien, la gêne entre les personnes, les blancs, les silences, mais j'aimerais voir ça dans d'autres situations. J'aime sa singularité, j'aime comment elle peint l'imperfection des relations, l'incommunicabilité entre les gens, la solitude moderne, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle pourrait tout aussi bien traiter les mêmes sujets avec d'autres profils (argument de très mauvaise foi, je le sais, elle a écrit un roman et je pleurniche parce que c'est pas exactement le roman que j'attendais, mais quand même que si, mais quand même que pas tout à fait).

C'est désaturé, inodore, on dirait une voix monocorde qui arrive pourtant à dire des choses profondes, à croquer un réel évocateur — le scrollage, les monosyllabes qui sont le langage usuel, l'environnement urbain sous plastique — et d'autres choses moins réalistes (ce qu'on pourrait appeler l'anxiété écologique par exemple, que je n'ai jamais rencontrée en vrai pour ma part, sauf dans des bannières de BFM pour parler de la jeunesse. La manière dont les conversations doivent forcément avoir une portée politique (que j'avais déjà trouvé agaçant de Conversations with friends — le côté « sommes-nous vraiment conscients de nos privilèges ? » qui a un fort potentiel memesque). Je sais pas, moi j'aime bien parler politique, mais je trouve qu'ils en parlent sans saveur, comme si on lisait un tract avec des dessins libre de droit, y a pas de passion, pas d'émotion, juste une éternelle remise en question, qui confère presque au nombrilisme. S'il y a cohabitation avec un mec, il faut qu'il y ait un historique de porno découvert et qu'on parle exploitation des femmes, si elle veut acheter un truc, elle va culpabiliser et penser à l'exploitation des pauvres, (et d'ailleurs, je m'aperçois que je dis elle de manière indéterminée, parce qu'à vrai dire, je ne sais plus qui est Alice et qui est Eileen tant elles se ressemblent.) Y a des scènes qu'on a déjà vu dans ses anciens livres, les scènes de sexe mi-figue mi-raisin où ils dévisagent le plafond (manque plus que la lumière qui perce à travers le store). D'ailleurs, les scènes de sexe, parlons-en. Je pensais que ça allait remettre un peu de couleurs dans tout ça, mais que nenni. Un aperçu du cul post metoo « Alice, je peux te demander si tu aimes faire des fellations ? Ce n'est pas grave si tu n'aimes pas. En retirant ses doigts de sa bouche, elle a répondu oui. Tu m'en fais une, si ça te va […] Tu veux venir sur moi ? a-t-il demandé. Elle a acquiescé. On garde nos vêtements ou on se déshabille ? » Derrière le message que le consentement, c'est important, y a une vision presque puritaine, dans le contrôle de la sexualité, qui nie le torrent que ça peut-être, et qui en tout cas, après Emma Becker, laisse de marbre. On peut quand même trouver un juste milieu, non ? On dirait Pascal Praud ou Elisabeth Levy qui écrivent une scène de cul pour se foutre du sexe post metoo. (je me souvient d'ailleurs que Quotidien disait pour un de ses autres livres qu'elle réinventait les scènes de sexe en plaçant la question du consentement au centre — elle a pris le compliment au mot et a forcé le trait jusqu'à devenir une caricature d'elle-même.

C'est aussi un hommage à la respiration en pleine conscience, que ce soit les scènes de sexe, les scènes de réflexion, les scènes de contemplation, y a toujours un moment où elles vont se concentrer sur leur souffle — ça en devient même amusant. Ou a la réactivité de la peau humaine, selon l'émotion, l'humidité ou la fraicheur de l'air. (que j'avais déjà noté dans Normal people)

Et donc voilà, un témoignage d'une jeunesse souffreteuse, ennuyée et ennuyeuse, privilégiée et culpabilisant de l'être. En tant que membre de la génération croquée je ne me suis pas du tout reconnu. Et c'est l'écueil que doivent éviter les voix générationnelles, celui de s'enfermer dans une peinture de moeurs irréaliste, avec des personnages doubles des personnages déjà peints ou de l'auteur. Sally Rooney est vu comme une ermite, ce serait bien qu'elle se mélange un peu à la foule pour trouver de nouvelles inspirations. En tout cas, ça me fait m'interroger sur la littérature, comment cela se fait-il que des livres restent définitivement fermés (je les imagine comme des planètes avec une atmosphère hostile) et que d'autres se fondent et fusionnent en nous ? Que certains soient une perte de temps et d'autres nous procurent un sentiment de gratitude ?

Car il parait qu'être écrivain, c'est essayer d'écrire à chaque fois le même livre, ben Sally Rooney, j'aimerais bien qu'elle prenne cette maxime moins littéralement.

Lien : https://www.youtube.com/watc..
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