« Un journaliste est venu causer avec moi. Je crois que c'est lui qui m'a « travaillé » comme jadis je « travaillais » les escarpes dans mon bureau de la préfecture ou dans les arrière-boutiques de mastroquets. J'ai cédé: j'écris mon dernier rapport. » L'inspecteur Gustave Rossignol passe aux aveux dans ce passionnant « rapport » de 369 pages enfin réédité et enrichi d'un appareil de notes des plus éclairant.
Fils d'un capitaine du 18è régiment d'infanterie légère décoré de la Légion d'honneur, ancien zouave, ancien combattant de la guerre de 1870, Rossignol est nommé inspecteur de la police municipale en 1875. Les feuilletons sont à la mode, les histoires de bas-fonds font trembler les bourgeois, Gaboriau a séduit de nombreux lecteurs. D'anciens policiers, comme Louis Canler, Gustave Macé, Marie-François Goron ont déjà narré leurs aventures avec succès. Gustave Rossignol prend la plume et nous livre au gré de ses souvenirs, tout ce qu'il a vu et vécu au cours de ses années passées au sein de la Sûreté parisienne. Car Rossignol, surnommé l'Oiseau-Mouche, n'était pas du genre à rester derrière un bureau. Il a passé dix-neuf ans dans la rue, s'est fait poignarder, a planqué pendant des jours sous une quantité de déguisements, s'est coltiné la pègre et le menu fretin: « Aujourd'hui, pour être décoré, à quoi bon les actions d'éclat! Soyez plutôt rond-de-cuir. » Il connaît si bien la rue qu'à la Préfecture il est devenu une référence, une sorte de guide pour aristocrates et hommes de lettres (le grand-duc Alexis, Alexandre Dumas…) qui veulent connaître le grand frisson en se rendant dans les bals et les cabarets borgnes. Ces Mémoires sont un témoignage passionnant sur la vie des parisiens de la moitié du XIXème, sur les bandes criminelles, les affaires qu'il a traitées, sur ses méthodes d'investigation. L'intérêt réside dans le pittoresque, la description des quartiers populaires, des arnaques de l'époque, des petits métiers, et dans la langue aussi, car Rossignol maîtrise l'argot comme un Fort des Halles.
Parmi la foule d'anecdotes que recèlent les Mémoires, on retiendra l'affaire qui faillit briser la carrière de Rossignol pour « violation de sépulture ». Un nommé Pranzini condamné à mort pour triple homicide fut exécuté en 1887. Le chef de Rossignol, Marie-François Goron, auteur de L'amour à Paris, qui était collectionneur lui déclara: "Je n'ai rien de lui. je voudrais bien avoir quelque chose, ne serait-ce qu'un bouton de son pantalon (sic)… » Or, Pranzini exécuté, il ne restait rien. Un collègue lui suggéra de prendre un morceau de sa peau et d'en faire un portefeuille. Aussitôt dit, aussitôt, fait, ça lui coûta vingt francs pour deux porte-cartes. L'artisan raconta l'anecdote au Figaro et le scandale arriva.
On notera aussi sa « rencontre » saignante avec l'anarchiste Clément Duval du groupe La Panthère des Batignolles, qui le poignarda à huit reprises: « Si j'ai frappé Rossignol, c'est que je ne veux pas qu'un policier mette la main sur moi.; il m'arrêtait au nom de la loi, que je ne reconnais pas.: c'est une prostituée au nom de laquelle on viole le domicile des citoyens. Je me defendais, moi, au nom de la liberté. Je suis un révolté, je ne suis pas un voleur. J'ai été condamné pour vol, je m'en honore. » Rossignol a des prises de position assez étonnantes en ce qui concerne la police politique -« L'anarchie est une création de la préfecture. » dont il note qu'elle dispose de plus de moyens alors que ceux de la Sûreté en sont de leur poche pour pouvoir travailler.
Il y aurait mille choses à dire encore sur ces Mémoires, sur des escroqueries qui étonnent (les falsificateurs de lait…), sur des mots et expressions oubliés (pestaille, avoir les pieds dans le dos, bastringue…), sur des personnalités (Bertillon, Goron, qui se fait descendre en règle), sur des évasions spectaculaires ou des déportations dans les bagnes de Guyane et de Nouvelle-Calédonie… Le mieux est de se procurer Les Mémoires de Rossignol Ex-inspecteur principal de la Sûreté pour vivre d'une autre manière les Mystères de Paris.
Je remercie Mareuil Editions pour ce livre reçu dans le cadre de l'opération Masse critique, pour le petit mot et le marque-page.
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Je sors de cette lecture assez déçue. J'en suis aux deux tiers du volume et j'avoue que je m'ennuie et crains fort de ne pas parvenir à le terminer.
Rossignol révèle dans cet ouvrage ce que fut son métier de policier à la fin du XIXe à Paris. Ces mémoires consistent en une accumulation de brefs récits d'enquêtes au cours desquelles l'auteur s'est distingué, souvent par son astuce ou son courage. Si les scènes évoquées sont pittoresques, les dialogues qui les ponctuent, nécessairement recréés de toutes pièces, peinent à être vraiment crédibles, peut-être parce qu'ils sont un peu trop lisses. Toutes les personnes décrites ici paraissent d'ailleurs étrangement bon enfant. Rossignol a beau envoyer ici des là des piques, notamment à la police politique, on sent fréquemment l'auto-censure, et à la longue, c'est énervant. Pour des mémoires, je trouve l'ouvrage très impersonnel. L'auteur ne dit finalement rien ni de sa vie personnelle, ni de ses états d'âmes : cela manque d'introspection.
Globalement, le style et la langue ne sont pas désagréables, simplement un peu maladroits, mais l'auteur n'a après tout aucunes prétentions littéraires. J'ai appris avec plaisir un bon nombre de mots d'argot qui, je l'espère, me serviront lors de prochaines lectures d'ouvrages de l'époque, et découvert avec intérêt les bas-fonds de la capitale.
L'ensemble est à mon avis trop décousu et anecdotique pour parvenir à être vraiment passionnant, malgré un appareil critique de très bonne qualité, qui vient éclairer à propos certaines mentions. le problème principal, qui m'a rendu cette lecture de plus en plus désagréable, est que le texte est très mal structuré, que ce soit en chapitres, sous-chapitres ou paragraphes. Pour rendre la lecture plus facile, il aurait fallu que l'éditeur revoie entièrement ce découpage. Il aurait été bon d'enrichir le texte, tant pour éviter la monotonie au lecteur, que pour appuyer les dires de Rossignol, de documents d'époque (photographies, extraits de journaux ou de rapports de police de l'époque, etc.). La maquette m'a également agacée : le maquettiste a tellement triché et ajoutant des sauts de lignes (un, deux, parfois trois !) pour éviter veuves et orphelines, que le texte a souvent du mal à descendre jusqu'en bas de la page, ce qui n'est pas très esthétique, et manque de sérieux.
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Difficile de faire un compte-rendu. Il s'agit d'un texte fort plaisant à lire, bien écrit, dans lequel Rossignol retrace son parcours, évoquant certaines des affaires qu'il a dû traiter. Cela donne une idée du travail d'un enquêteur de terrain à la fin du XIXe siècle. Durant mes années d'études, j'ai moi-même eu la chance de travailler sur l'histoire de la police (mais au début du XIXe siècle). Bref, j'apprécie cette thématique. D'ailleurs, ses mémoires, c'est comme un roman policier, mais avec la particularité que ce sont de vrais affaires, racontées par un vrai policier de l'époque. Et ça, quand même, c'est un plus !
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Faut-il, pour clore cette promenade à tort et à travers, rappeler en quelques mots ces petits métiers indépendants, aux noms parfois bizarres, et qui font le pittoresque du pavé parisien? Les baguenots ou bagotiers qui suivent les voitures venant des gares pour en décharger les bagages; les tondeurs de chiens, que tout le monde connaît; les fabricants d'asticots, qui habitent porte de Briançon et poterne de Montsouris; ils ramassent pendant l'été les détritus dans les marchés qu'ils déposent au soleil; quelques jours après, les détritus ont produit des asticots, ils colportent eux-mêmes leur marchandise aux pêcheurs des bords de la Marne et de la Seine. Les zouaves ou ripeurs se tiennent aux portes de la Vilette ou de Crimée pour décharger les voitures de charbon, ou à Bercy, pour les pièces de vin. Les frères de la côté: on en voit toujours, le matin au coin du boulevard Saint-Germain et du boulevard Saint-Michel; moyennant quelques sous, dans les rues à montée rapide, ils aident à pousser les voitures à bras trop chargées.
Il y a toute une série de "ramasseurs": ramasseurs de bûches de bois, qui suivent les voitures chargées de bois à brûler et replacent les bûches à mesure qu'elles tombent durant le parcours, moyennant un petite indemnité du charretier; de même les ramasseurs de charbon, derrière les voitures de charbonniers qui descendent de la Villette; ramasseurs d'oeufs de fourmis, qui en font la vente le dimanche au marché des oiseaux; ramasseurs de crottes de chiens; on les ramasse avec une cuillère à pot pour les vendre aux teinturiers et aux mégissiers; enfin, les très populaires "ramasseurs de mégots".
Beaucoup de jeunes mirliflores, tout frais émoulus de leur famille, entrent au service de Sûreté. Ils ont lu les romans de Gaboriau; leur tête est farcie d'aventures. Ils s'imaginent, les pauvres garçons, que le métier d'agent consiste à se promener à travers la capitale, un cigare aux lèvres, à écouter les conversations de café, à entrer dans les salons dorés, dans les cercles bien fréquentés, et à découvrir le ténébreux criminel qui, dans un moment de passion, a, d'un poignard élégant, tué quelque belle dame. Ils reniflent comme des chiens de chasse à l'idée des parfums qui attendent leur odorat lorsqu'ils s'introduiront dans les boudoirs soyeux, interrogeront les amies de la victime et se mêleront au mouvement d'un fait divers sensationnel et très parisien. Hélas! quelle déception, lorsqu'on leur ordonne de conduire pédestrement, à travers la grande ville et ses boulevards ensoleillés un vagabond sans chaussure, dépenaillé, répugnant à voir et qui fait retourner les passants! L'administration, mon cher collègue, refuse très souvent les soixante centimes que coûterait l'omnibus...
J'ai vu plusieurs exécutions militaires. Les deux premières étaient celles de Ciosi et Agostini, deux voltigeurs de la Garde qui avaient assassiné une marchande de vin des environs de Paris. J'étais à deux pas du peloton d'exécution. J'ai vu, en Afrique, pendant l'insurrection de 1871, des Kabyles tués à coups de révolver, après interrogatoire sommaire. J'ai vu des Maltais mutiler des cadavres et les laisser ensuite dévorer par les chacals et les hyènes.
Aucun de ces spectacles ne m'a jamais produit l'impression que me faisait la guillotine, dans les premiers temps. En 1865, j'avais vu de très près, à Versailles, l'exécution d'un nommé Poncet, forçat évadé, devenu assassin. A cette époque, la guillotine s trouvait sur une plate-forme surélevée à quelques mètres du sol. Pendant plusieurs jours, cet instrument de supplice m'a hanté. Depuis j'en ai vu bien d'autres, comme on dit, et pourtant, quand, avec l'habitude, je sentis mon émotion diminuer, c'est un autre sentiment que j'éprouvai: une répugnance très vive.
La brigade des 100
Dans les premiers jours de juillet 1889, il fut question de former une brigade de cent agents auxiliaires pour une période de quatre mois, en raison de l'Exposition qui avait retiré de la voie publique un certain nombre d'agents. En réalité, ce que l'on voulait surtout, c'était débarrasser Paris des camelots et des gens sans aveu, pendant la période des élections boulangistes.