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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme ce sera moi. »
Quand j'ai lu cette phrase pour la première fois, j'avais une petite vingtaine d'années et j'ai été immédiatement conquise. J'étais jeune alors, ma culture littéraire était on ne peut plus limitée. Ce n'est pas qu'elle soit considérable aujourd'hui, mais disons qu'elle s'est un peu élargie. Entretemps, j'ai lu Les mémoires du duc de Saint-Simon et Les Essais de Montaigne entre autres. Et même si je reste séduite par Les Confessions et par la personnalité de son auteur, je ne peux me départir d'un léger et persistant agacement. Visiblement, pour Rousseau, ses prédécesseurs comptent pour rien. S'il reconnaît du bout des lèvres que Montaigne, avant lui, a bien écrit quelque chose qui pourrait vaguement s'apparenter au projet qu'il forme aujourd'hui, c'est pour le railler aussitôt :
« J'avais toujours ri de la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses défauts, a grand soin de ne s'en donner que d'aimables ». On pourrais aisément lui retourner le compliment, mais convenons avec Rousseau qu'étant « le meilleur des hommes » il dut avoir toutes les peines du monde à dénicher en lui de vrais et vilains défauts.

J'en reviens à Montaigne. L'ambition affichée par l'auteur des Essais paraît bien modeste en comparaison. Pour Rousseau, il s'agit, prenant Dieu à témoin, de s'adresser à « l'innombrable foule de ses semblables », ceci afin de tenter de rétablir une image terriblement dégradée : « mais puisqu'enfin mon nom doit vivre, je dois tâcher de transmettre avec lui le souvenir de l'homme infortuné qui le porta, tel qu'il fut réellement, et non tel que d'injustes ennemis travaillent sans relâche à le peindre. » C'est à une véritable entreprise de réhabilitation qu'il s'attèle.
Rien de tel chez Montaigne qui, se gardant bien de mêler Dieu à ses petites affaires, se contente de s'adresser à ses parents et amis, « à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver certains traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive la connaissance qu'ils ont eue de moi. »

Et pourtant, la démarche, dans les deux cas, est rigoureusement la même. Il semble bien que ce que Rousseau nous présente comme une « entreprise qui n'eut jamais d'exemple » ait été formée avant lui par Montaigne qui, dans son adresse au lecteur, prévient :
« Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention ni artifice : car c'est moi que je peins. (…) Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre. »

Il serait assez tentant, à ce stade de mon raisonnement, d'accuser Rousseau de mauvaise foi. Je m'en garderai bien. Il me semble autrement plus fécond d'explorer une autre hypothèse, celle de sa parfaite bonne foi. Rousseau en effet est intimement persuadé d'être radicalement différent des autres hommes. « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. » S'il a cru rencontrer l'âme soeur quelquefois, en la personne de Madame de Warens ou de Diderot, cela s'est avéré à chaque fois être un mirage, et la déception, le chagrin qui s'ensuivirent vinrent conforter un peu plus sa conviction d'être « une espèce d'être à part ». Quoiqu'il en soit, que Rousseau ait réussi ou échoué dans son entreprise de dévoilement, le résultat n'en est pas moins passionnant, servi par une langue sans fioritures, sobre et directe, ironique et savoureuse, un morceau de choix pour collectionneur, un matériau incomparable dans lequel des générations de psys ont puisé avec allégresse.

L'un d'eux, Jean Starobinski, historien des idées et docteur en psychiatrie, lui a consacré une somme : « La transparence et l'obstacle. » Honnêtement, je n'ai pas lu tout le livre, mais je crois en avoir saisi l'idée : Rousseau désire ardemment « la transparence des coeurs », c'est-à-dire une communication directe et immédiate, une sorte de télépathie en somme (là, c'est moi qui parle, pas Starobinski), mais comme il « est frustré dans son attente » (et pour cause!), « il suscite l'obstacle », c'est-à-dire qu'il se renferme en lui-même tout entier drapé dans sa dignité de vierge outragée (c'est à nouveau moi qui parle). Donc, il fait tout l'inverse de ce à quoi il aspire, il se ferme comme une huître (quand il ne tient pas des propos carrément offensants), diminuant d'autant ses chances d'être compris, et, pire encore, s'aliénant pour toujours les personnes douées des meilleures intentions à son encontre. Car pour le coup, à force de se croire le seul de son espèce, il a blessé un nombre de gens proprement stupéfiant, s'en faisant des ennemis irréductibles. Durant ma re-lecture, alors que je prenais connaissance de l'invraisemblable litanie de complots réels ou imaginaires ourdis contre l'infortuné Jean-Jacques, j'ai souvent pensé à cette phrase de Desproges : « L'ennemi est bête. Il croit que c'est nous, l'ennemi. Alors que c'est lui. » On touche là un point crucial. Comment un homme, se voyant des ennemis de toutes parts, se croyant attaqué, blessé par ceux-là même qui l'ont aimé, ne voyant jamais qu'il ait pu lui-même blesser et offenser, peut-il prétendre se bien connaître? Sans compter qu'il existe un biais dès l'origine de son projet. Sa motivation première n'est pas de fournir à ses futurs lecteurs « une pièce de comparaison pour l'étude du coeur humain » comme il l'affirme, mais de répondre à ses détracteurs et de défendre son honneur. Comment dès lors, ne pas douter de l'absolue sincérité de sa démarche?

Bref, l'histoire de « Jean-Jacques l'incompris », pourrait bien être celle des « autres incompris de Jean-Jacques », et c'est une grande leçon pour nous tous. Car chacun d'entre nous est convaincu, à des degrés divers, d'être incompris. Et c'est largement vrai, bien sûr. Ce qui l'est moins, ce qui ne l'est pas du tout, c'est de croire être le seul dans ce cas.


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Ce que j'aime chez Rousseau, et c'est inexplicable, c'est sa magie des mots. Il est capable d'écrire un paragraphe entier avec une seule phrase, sans jamais lasser, sans que cela paraisse long. C'est un peu comme du Mozart.
Rousseau, je ne le lis pas, je ne cherche même pas à comprendre ce qu'il veut dire, non, je l'écoute, j'écoute sa musique des mots. C'est reposant comme le Concerto pour clarinette de l'illustre Mozart. Cela ne s'arrête jamais, cela monte , cela descend, des thèmes reviennent, et c'est sans importance, cela relaxe le cerveau.
Rousseau n'écrit pas, il compose. Il était copiste en musique, cela se sent à chaque phrase. Il cherche des équilibres, des harmonies. Ses confessions....qu'il se confesse donc, c'est sans importance. Nous sommes tous des pêcheurs et des fauteurs ici bas. Alors se confesser ou pas, peu importe. Je crois en cette parole des Évangiles: " pardonne moi Seigneur car j'ai beaucoup fauté". Et comme pour être pardonné soit même, il faut d'abord pardonner aux autres, hé bien je te pardonne tout, illustre Jean Jacques, je te pardonne d'autant plus volontiers que tes mots sont une si douce musique.
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"Le moi est haïssable" disait Pascal.

Cela n'a semble-t-il pas empêché Jean Jacques de se lancer intrépidement dans la première autobiographie, digne de ce nom, autocentrée et intimiste, de notre littérature.

Elle en agace plus d'un par son exhibitionnisme-au propre et au figuré :JJ a en effet exhibé plus que sa souffrance de persécuté, et il s'en vante ingénument!

Car il y a autant d'ingénuité que de rouerie, autant de sincérité que de mensonge dans ces Confessions- et c'est ce qui rend ce livre passionnant, énervant, délicieux et insupportable à la fois!

Que ce soient les pages solaires et coquines des cerises, celles plus troubles mais bien croquignolettes de la fessée, les faux remords du ruban volé, les vrais silences des enfants mis à l'assistance publique, les amours aussi opportunistes que torrides avec "Maman", Mme de Warens, la protectrice -et-plus-si-affinités, la recherche éperdue d'un ami qui ne soit ni un sot, ni un envieux, ni un rival...et avec qui se brouiller est l'activité la plus répandue.- il y a tout et son contraire dans les Confessions.

Il faut ajouter que le fil du récit devient d'un tome à l'autre plus difficile à suivre: J.J. est réellement persécuté dans sa vie littéraire et civile, et le processus d'auto-justification dans lequel il s'est lancé avec ce livre, et qui se contaminera bientôt à tous les autres, le jette en pâture à la détestation..

Alors il devient de plus en plus parano...et on a du mal à suivre qui est encore son ami, qui ne l'est plus, qui le redevient (plus rare!) Après Voltaire, l'ennemi incarné, si mondain, si rapide, si cruel, il se brouille avec les Grimm, avec Diderot...il perd ses protecteurs, son gîte, son couvert...

Mais c'est qu'il aime vagabonder, aussi- voyager à la cloche de bois, comme un bohémien: c'est un fugueur depuis la petite enfance où il quitte Genève, son père et son frère...pour courir les routes et l'aventure.

Ce touche-à-tout de génie, ce grand autodidacte, -avec Diderot le premier "prolétaire" de notre littérature- est aussi un joyeux escroc: il faut relire les pages hilarantes de sa première tentative d' "opéra"- cacophonique et catastrophique! Lui-même en rit encore!

Un livre magnifique avec tous ses défauts- ou plutôt à cause d'eux!

S'il vous agace trop, faites un tour du côté de l'essai de Philippe Lejeune, le Pacte autobiographique, ou du côté de Starobinski, La transparence et l'obstacle: je suis sûre qu'ils vous rendront moins sévère, tout attendri et mieux disposé à sa découverte!

Sacré Jean-Jacques, humain, trop humain, et génial, si génial!
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Chef d'oeuvre littéraire, cette oeuvre fera encore couler beaucoup d 'encre tant la personnalité de son auteur porte à interrogation. Pour moi, l'intérêt majeur n'est pas là. Il est dans la démarche autobiographique. Il est dans le style et la langue d'un des plus beaux écrivains de langue française. Une merveille du patrimoine.
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Les confessions deJ.J. Rousseau est un livre qui se laisse lire facilement .Dans ce livre( 2 tomes) le philosophe se decrit et se laisse voir tel qu il est .On le sent amer , blase et comme s ' il en veut aux autres philosophes tels Voltaire ,Diderot et d autres de conspirer contre lui et il les considere comme ses persecuteurs alors il s epanche dans ces confessions .On dirait un ecorche vif . Heureusement sa bienfaitrice Mme de Varens etait a ses cotes . On le sent triste et malheureux .Bref ceci dit ROUSSEAU reste un grand PHILOSOPHE qui avec ses ecrits et ses idees a ete l un des precurseurs DE LA REVOLUTION de 1789 et on salue ses ecrits sur l EDUCATION ( L' Emile ) ,le Contrat Social....ROUSSEAU un tres grand philosophe qui merite sa place au PANTHEON !

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Cet auteur incroyable qu'est Jean Jacques Rousseau, m'a livré ici tout de lui-même, jusqu'à des faits qu'il faut oser raconter, notamment sa période exhibitionniste. Des recherches ont montré qu'il n'était peut-être pas aussi paranoïaque qu'on l'a décrit, mais bel et bien surveillé. Je n'y vois pas quant à moi, tant de paranoïa. Je vois surtout un homme qui ne sait pas communiquer, avec lequel ses amis communiquent très mal également.

Je vois un homme qui ne réfléchit pas assez, qui pratique une sorte d'autisme social, sans même imaginer que ses amis ont aussi un coeur et peuvent en être blessés. Dans cette jouissance, cette immédiateté qu'il a de vivre toute chose avec son coeur, ou son instinct plutôt, il finit par croire qu'il est le seul à éprouver des sentiments et à aucun moment, il ne comprend que les autres puissent être guidés par un sentiment tout aussi fort, mais contraire au sien.

L'abandon de ses enfants, est pour moi la cause majeure de son malaise, peut-être même de ses conflits avec ses amis. Il élude la question, mais il est tout à fait naïf de ne pas imaginer que chacun en parle quand il a le dos tourné. Lui qui analysait tant les hommes, fait preuve d'une "gaucherie incroyable", selon son expression. Car bien entendu en abandonnant ses enfants - ce que je trouve épouvantable - il s'est blessé lui-même, a peut-être détruit leur vie, mais surtout il a détruit la vie de cette femme simple qu'il aimait, au motif qu'elle était de trop basse extraction pour les élever, en somme ... Donc en contradiction totale avec les principes philosophiques qu'il défend par la suite. Bien sûr cela a de quoi choquer ses amis, car il se montre là d'un égoïsme absolu et révèle aussi un mépris de classe nauséabond.

En tant que lecteur, il me demande au travers de ses confessions, mon pardon, si ce manuscrit passe à travers les siècles. Je le lui accorde volontiers, même si ce n'est pas à moi d'en décider. La première partie est tellement sublime. Un tel auteur, pour moi est pardonné de tout, pour peu qu'il se pardonne lui-même. J'ai tant d'admiration pour lui, que j'aurais souhaité que jamais il ne fasse la bêtise d'abandonner ses enfants. J'aurais souhaité être son ami moi-même, pour communiquer moins bêtement que ne le fit Diderot. le parisianisme que Rousseau dénonce, existe, je l'ai vécu et il a pu fortement le dévoyer. Un livre merveilleux d'un auteur français qui n'a pas d'égal. Je le confesse moi aussi : il fut mon modèle et reste placé sur un piédestal, dans mon panthéon personnel.
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Le préambule est ambitieux : "Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur." J.-J. Rousseau est bien le premier à s'être lancé dans une telle aventure : avant lui, le moi était "haïssable", pour reprendre les mots de Pascal.
A-t-il dit toute la vérité, rien que la vérité ? Est-ce, d'ailleurs, possible ?
On retiendra les épisodes les plus marquants : la fessée, le peigne cassé et, bien sûr, la rencontre avec Mme de Warens.
Rousseau n'est pas que philosophe. Il a une très belle plume.
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Ne peut-on mettre 6*?
Une simple citation résume presque ce chef d'oeuvre: Comme disait l'excellent Montherlant: Pourquoi écrirait-on des romans si ce n'est pour montrer les adultes tels qu'ils sont(et tels que les voient les enfants) c'est à dire arbitraires et incompréhensibles.
J'ai bien aimé le clin d'oeil à Montaigne et ses essais, pour lequel Rousseau dit qu'il ne s'est affublé que de défauts agréables, j'en conviens.
Tout y est, c'est bien simple un cocktail qui aurait du le placer en tête des ventes pour des siècles des siècles: Amour, gloire et beauté...
L'auteur est objectif, et surtout une leçon sur les moeurs de l'époque en Europe, d'un naturel terre à terre, on ne me fera pas croire que cela se passe différemment de nos jours, ouvrons les yeux avant les urnes, c'est capitale!
Ami(e)s lecteur(trice)s, un conseil: Lisez le...!
A bientôt cher Monsieur...
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Même si je suis un peu sceptique sur la philosophie de l'auteur et un peu dubitatif sur la véracité de tous les faits qu'il décrit, je dois reconnaître que son style est incroyablement beau, et dire que c'est un autodidacte. J'ai d'ailleurs appris que notre cher JJ a toujours mis à la première place de ses goûts la musique et la composition, qu'il place même devant la philosophie. L'incipit est légendaire.
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Ce livre est le premier qui soit une véritable autobiographie. On y suit l'enfance, l'adolescence et la vie de jeune adulte du philosophe/romancier/dramaturge, une des Lumières -bien qu'il appartienne au mouvement sans réellement en faire partie. de son point de vue. Avec ce que cela implique de subjectivité, d'oubli -volontaire ou non-.
On assiste à tous les mythes fondateurs de Rousseau, qui en feront selon lui l'homme qu'il est. Sa double expérimentation de l'injustice, à travers le peigne de Mme Lambercier et le ruban de Mme Lorenzi, son apprentissage quasi-autodidacte de la culture, son enfance vécue dans des mondes imaginaires des mythes antiques, etc.
Ce n'est pas seulement extrêmement bien écrit, c'est également très instructif, historique et philosophique, à l'image de son auteur. Les quatre premiers livres sont à mon avis les plus intéressants.
Alors oui, Rousseau a abandonné ses enfants parce qu'il estimait ne pas pouvoir les élever lui-même, oui il était paranoïaque à la fin de sa vie, extrêmement imbu de lui-même. C'est également pour ces raisons que ce livre est passionnant. Parce qu'il raconte l'histoire du personnage, plus encore que l'Homme qu'il est dans l'histoire. Et c'est là tout l'intérêt d'une autobiographie, n'est-ce pas?
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