Le prosélytisme de la jeune femme, qui considérait Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir comme une bible et le faisait circuler avec libéralité, semblait à son mari, sans qu’il le dise tout à fait franchement, dangereux pour la paix des ménages. Il ne le présentait pas ainsi, car il voulait paraître ouvert, préférant critiquer la véhémence de la féministe et son militantisme agressif, qu’il qualifiait d’hystérique.
Il n’était pas facile de se procurer le précieux anovulant au Québec. Mais le nom d’une femme médecin qui le prescrivait circulait sous le manteau dans les milieux étudiants montréalais et Georges, qui l’avait obtenu d’une de ses consœurs, avait convaincu Nicole de la consulter. Elle avait longuement hésité, craignant de commettre un péché mortel, mais il lui avait répété qu’il n’y avait là aucun crime : il ne s’agissait pas de supprimer une vie existante, mais d’en empêcher le commencement. Le résultat était le même que si on pratiquait l’abstinence… sans avoir besoin de la pratiquer.
Les supporteurs de Toulouse revinrent déçus : l’équipe de Carcassonne avait gagné par un score de 5 à 0 qu’il était difficile d’attribuer à la seule chance. Mais ils s’étaient quand même bien amusés : faute de pouvoir fêter la victoire, ils s’étaient consolés de la défaite avec un vin de pays qui leur valait un lendemain pénible.
Il ne suffisait pas de penser que quelqu’un ne méritait plus d’être aimé pour que les sentiments qu’on éprouvait pour cette personne disparaissent. Elle ressentait du dépit à être trompée, de la colère aussi, mais surtout du chagrin.
Si la vie avait tourné autrement, elle aurait pu faire une licence, et après… Mais là, elle était définitivement condamnée à la dactylographie, et ce serait beaucoup moins intéressant que la courtoisie au XIIe siècle.