L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques

"Bien-être dangereux", "acuité morbide", euphorie décevante cernée d'abîmes - voilà la menace, le piège que recèle l'excès, qu'il vienne de la nature, sous la forme d'un dérèglement exaltant, ou de nous-mêmes, comme dans les cas de toxicomanie.
Dans des situations pareilles, l'homme se trouve confronté à des dilemmes extraordinaires : car les patients ont ici affaire à la maladie comme séduction, ce qui est fort "éloigné du thème habituel de la maladie considérée comme une souffrance et une affliction - et bien plus équivoque.

Curieusement, la neurologie et la psychologie ne parlent jamais de "jugement", alors qu'elles parlent de tout le reste - pourtant, c'est justement la faillite du jugement (dans des domaines spécifiques, comme dans le cas du docteur P., ou dans le cas plus général des malades présentant le syndrome de Korsakov ou le syndrome du lobe frontal [...]]) qui constitue l'essence de tant de troubles neuropsychologiques. Le jugement et l'identité peuvent en faire les frais -mais la neuropsychologie ne les évoque jamais.

A vrai dire, toute l'histoire de la neurologie et de la neuropsychologie peut être considérée comme une histoire de l'hémisphère gauche. 

Elle a à la fois réussi et échoué, d'une façon remarquable. Elle a réussi à manoeuvrer, mais elle n'a pas réussi à être.

Nous voyons des retardés, incapables d'accomplir correctement de simples tâches, impliquant tout au plus quatre ou cinq mouvements à la suite, qui peuvent les accomplir parfaitement en musique - les séries de mouvement qu'ils ne peuvent saisir en tant que combinaisons, ils le saisissent parfaitement comme musique, c'est-à-dire enveloppées de musique. C'est le cas, souvent dramatique, des patients dont le lobe frontal est gravement atteint, et qui manifestent de l'apraxie - une incapacité à faire les choses, à retenir les combinaisons et les programmes moteurs les plus simples et même à marcher, en dépit d'une intelligence parfaitement intacte dans tous les autres domaines.

Les tests, les méthodes montrent les déficits et non les capacités. Elles montrent les énigmes, les schémas, là où on aurait besoin de voir , l'histoire, le jeu, la musique, l'être qui évolue spontanément et naturellement , de la façon qui lui est propre.

Le secret du progrès du talent de Yanamura était de partager son esprit en deux. Il fallait que le professeur aime la personne même de l'arriéré mental, qu'il lui trouve de la beauté et de la sincérité, il fallait qu'il aime vivre dans le monde purifié du retardé.

... des dons artistiques ne sont pas rares chez les autistes. Il est presque inutile de tester leurs potentiels artistiques par le test de Goodenough (le "dessin du Bonhomme"), par exemple, car ces enfants [...] inventent spontanément des dessins étonnants.

L'autisme a été considéré comme un début de schizophrénie mais, phénoménologiquement, c'est le contraire. Le schizophrène se plaint toujours de recevoir une "influence" de l'extérieur ; il est passif, manipulé, il ne parvient pas à être lui-même? Les autistes, au contraire, se plaindront quant à eux - s'ils se plaignent - d'absence d'influence et d'isolement absolu.

Souvent les hôpitaux publics sontconsidérés comme des « institutions totales », dans lesens qu'Erving Goffman donne à ce terme, travaillant essentiellementà la dégradation des malades. C'est très souvent vrai, sans aucun doute. Mais ce sont parfois aussi des "asiles" au meilleur sens du terme, un sens que Goffman prend peut-être trop peu en compte : des lieux où l'être torturé, en pleine tourmente, trouve un refuge et se voit offrir précisément cet alliage d'ordre et de liberté dont il a besoin.