Je tiens le livre dans les mains et caresse ses couvertures souples d'un noir profond, doux et velouté. le titre ressort en blanc :
Lumière, et au-dessus le nom de l'auteure,
Christelle Saïani. Deux lignes d'écriture qui montent en un fil lumineux, à peine aperçu, dessinant un profil féminin, très jeune, émergeant du noir ou disparaissant lentement embrassé par la nuit. le toucher et la vue, deux sens plus que sensibles sont gâtés, comme l'est le sixième, celui sans nom. J'ouvre le livre et le contact se fait aussitôt, il nous est dédié, à nous lecteurs, à tous ceux qui veulent l'ouvrir, entrer en lui, l'écouter, le parcourir, vivre avec lui pour quelque temps.
Chaque chapitre a son personnage qui se
présente, nous ouvre sa vie ses douleurs et ses joies, en monologue, seul avec lui-même, et l'auteure de l'accompagner par un titre, entre parenthèses, peut-être des discrets repères qu'elle donne à ses lecteurs, une façon délicate de ne pas déranger ses personnages, comme si elle n'était pas là, ou alors en présence invisible et légère, metteur en scène en empathie avec ses acteurs, chef d'orchestre silencieux, attentif à l'harmonie de la musique des coeurs.
L'environnement les objets sont ressentis vivants et décrits comme tels avec émotion envie volupté sensualité, tout parle un langage de couleurs et de matières adressé aux sens qui s'en réjouissent et en demandent encore et encore.
Mais le coup brutal et sec arrive sans crier gare, il assène de toute sa force, ébranle un équilibre qui se sentait choyé et soutenu par le ciel bleu de la vie. Tout s'effondre en chute libre devant quelques mots directs, adressés sans fard, impitoyables, et sous la menace des nuages noirs de l'orage, s'accrocher devient impossible, pas la force, pas le temps, tout devient lisse et glissant. Un amour trompé, une maladie qui s'abat et condamne, sans introductions ni préliminaires.
Le noir devient opaque, pesant, engourdissant, aucun passage, aucune ouverture, mais il y a une faille, une imperfection, un point faible... une percée de
lumière s'y aventure, quelques souvenirs heureux avec leurs goûts et leurs couleurs, un regard, une présence, une main qui serre doucement pour dire Je suis là, et la surface du miroir se brouille et reflète autre chose, autrement, fait découvrir ce qui passait pour inexistant...
Souvent les yeux ne voient que les apparences et s'arrêtent éblouis à la surface, miroir aux mille reflets, finement ciselés, trompeurs, farceurs, clowns au sourire figé, et, comme une "petite tipule aveuglée, attirée par une
lumière illusoire qui finit par voler en rond autour d'elle jusqu'à l'épuisement", ils ne cherchent plus et gardent la fausse richesse qui les a meurtris.
Le mot
lumière revient en leitmotiv sur des photos, dans des souvenirs d'enfance, des souvenirs d'enfants, dans un moment
présent où tout s'engouffre dans le néant, devant une porte qui s'ouvre offrant généreusement un sourire qui surprend, dans un rayon de soleil qui donne à chaque chose ses couleurs, là où paradoxalement, on ne la voit pas souvent... comme un rappel de son existence, tout près, à portée de main. La
lumière revient à chaque instant, en contraste, en appui, en éclat, en consolation, en force et souffle de vie, en amour infini.
L'histoire d'une rencontre de deux êtres, Ambre jeune femme à l'amour bafoué, et Olivier, le voisin qu'elle détestait pour le trop plein de sa vie, Olivier qui lutte contre le cancer avec force et le soutien de sa famille et de ses amis.
Christelle Saïani parle de nos plaies devenues cicatrices ou qui saignent encore, et pour les guérir un seul médicament, vivre, s'ouvrir au monde et à l'autre, les écouter sans juger, les reconnaître comme frères et amis, et les aimer de cette reconnaissance, reconnaissance de l'humain donnée par la vie.
Je pose le livre souvent, mes yeux se voilent souvent.
Les yeux de l'écriture, souvent à l'aide d'une loupe très grossissante, posent leur regard attentif et interrogateur, sur des détails, sur des vies minuscules, sur un petit éclat respirant la vie, qu'ils
présentent en gros plan et sur écran panoramique, on ne peut pas les voir autrement.
Ecriture tendre, douloureuse, chaleureuse, écriture qui marque à chaque mot et à chaque phrase la chair et l'âme, écriture qui m'a rappelé à chaque page ce que j'avais déjà vécu, écriture qui m'a abîmée et qui m'a pansée en même temps, m'a soulevée et m'a embrassée, éclairée et illuminée, écriture généreuse qui offre et partage sans rien demander en retour mais je lui donne ma reconnaissance pour des moments uniques d'émotion de plaisir littéraire, des bains somptueux dans la magie des mots, et de
lumière qui m'a réchauffée.
Des mots riches et sorciers qui emmènent d'autres mondes et se lient ensemble en comparaisons et métaphores, attributs venus de loin, des évasions lointaines à peine imaginables côtoient une émotion intime, dedans et dehors, de très près et de très loin, une seule famille.
Sous la plume de
Christelle Saïani les mots, comme les humains, se rencontrent, se transforment, se métamorphosent, acquièrent une nouvelle
lumière et la transmettent. Une alchimie de l'amour, vieux comme le monde et dont la richesse de sens lui donne une fraîcheur éternelle.
Lumière en circulation libre tout le long du roman, en rappels incessants, en souvenirs du passé et exigences du
présent, en regards vers le futur, en caresse pour un corps abîmé et en baume pour des âmes dans le besoin,
lumière comme refrain et comptine pour les jeunes et les moins jeunes,
lumière comme chemin à tracer pour soi-même et ses frères humains, pour tout le vivant petit ou grand, pour les plus beaux rêves que la terre raconte quand elle se laisse embrasser par le ciel, jeu amoureux, tout en douceur, des deux amants à l'amour éternel.
La vie épuisée, essoufflée s'en va, doucement, vers la porte qu'elle passera toute seule, mais jusque là elle se fait accompagner par la musique des voix les plus chères, par les couleurs qui rendent l'arc-en-ciel jaloux et par les parfums de la terre entière et surtout par cette vibration, ce mouvement, cette respiration bienfaisante que la vie envoie et que le coeur reçoit.
Merci beaucoup, Christelle, j'ai la gorge nouée.
Je ferme le livre, mes mains restent à caresser le velouté des couvertures en suivant la ligne claire, fine, à peine esquissée, présence vibrante de
Lumière.
Je venais de finir
Profanes de
Jeanne Benameur et Manifesto de Léonor de Récondo, je mets
Lumière à côté d'eux, trois livres, un lien, celui de la vie, de l'amour et de l'amitié.