«
L'attrape coeurs » est un livre un peu particulier pour moi. D'abord parce qu'il m'est tombé dans les mains alors que j'avais du mal à me remettre d'avoir fini « Le monde selon Garp », et ensuite parce que je l'ai lu lors de mon propre voyage initiatique à NYC. C'est une oeuvre majeure qu'il faut avoir lue, au moins, deux fois.
Holden Caulfield, ado rejeté et perdu, est un archétype de l'antihéros. Personne ne veut de lui : ni les autres ni lui-même.
Viré de son école, il décide de fuguer pour traîner quelques jours dans les rues de NYC avant de rentrer chez ses parents pour Noël.
Cette errance est représentative de tous les contrastes et les entre-deux dans lesquels Holden divague comme en des limbes. Il n'est ni à l'école ni en famille, ni en classe ni en vacances. Il n'est plus un enfant et pas encore un adulte. Il parle à la manière d'un gamin attardé et grossier, mais est confronté à un malaise existentiel profond et légitime où alternent doutes et certitudes, souvent formulées dans les mêmes phrases.
Conscient qu'il va bientôt basculer dans le monde des adultes, Holden rêve de pouvoir arrêter le temps, comme dans les musées, et ne pas devenir un homme.
C'est dans ce dernier point que réside le coup de génie de Salinger qui prend à contre-pied le récit initiatique qu'il écrit. Son personnage ne veut surtout pas franchir la frontière, il veut rester pile dessus, en équilibre , comme cet enfant-funambule qui se tient sur ce trottoir , juste au centre du roman, et qui chante «
l'attrape coeurs ».
L'ambition de Holden n'est pas de grandir, mais de rester là et d'empêcher les enfants de basculer du haut de la falaise dans cet univers d'adultes, acteurs à la con qui lui collent la gerbe.
On va ici bien au-delà du simple complexe de
Peter Pan. Il est en fait question d'un être perdu dans un no man's land, qui sait instinctivement que le monde dont il s'approche, est peuplé de menteurs, d'ogres et de tordus, de pédophiles, peut-être.
Ne pouvant fuir ou disparaitre (il y pense), Holden raconte son histoire après avoir clairement annoncé qu'il ne comptait pas le faire…
Résultat, une oeuvre et un auteur cultes à qui la censure donnera raison, puisqu'elle l'interdira de 1961 à 1982.