J'arrive bien après la bataille avec le Prix Goncourt 2021. »
La plus secrète Mémoire des hommes » parue en Poche. Mohamed Mbouggar Sarr, personnage plutôt charismatique, volubile, à l'aise à l'écran comme dans son écriture, cultivé, érudit, un tantinet arrogant et pédant parfois, dans ses propos comme dans son style d'écriture, mais pourquoi pas, le livre est grand, beau et fort, flamboyant même. Beau et fort surtout dans le premier tiers que l'on dévore, captivé par l'histoire, l'enquête d'un jeune écrivain sénégalais, double de l'auteur, sur l'histoire unique d'un livre définitif , touchant à la perfection ingénieuse, « le labyrinthe de l'inhumain, « quel titre formidable qui regorge déjà de mystères, d'images de ses/nos histoires et de ses/nos vies personnelles et les remonte à la surface.
Diegane Latyr Faye , jeune écrivain Sénégalais, donc, décide d'enquêter sur la vie de cet auteur maudit T.C.Elimane , le Rimbaud Africain, insaisissable auteur d'un livre mystérieux dans les années 30, dont on ne saura pas grand chose, encensé par la critique, puis répudié pour cause de plagiat, (mais qu'est ce que le plagiat dans cette histoire, plutôt un collage situationniste dirions nous aujourd'hui ) au point de disparaître lui même, de faire déposer le bilan à son éditeur et de ne laisser que quelques très rares exemplaires chez les bouquinistes . Une presque paraphrase de l'écrivain malien Yambo Ouologem, premier écrivain noir à remporter le Renaudot pour lui aussi disparaître de la circulation pour cause de plagiat.
Portés par une écriture vraiment talentueuse, on s'immerge dans cette histoire inédite, qui aborde des thèmes multiples , la littérature en premier, faut il ou non écrire, la négritude chère à
Senghor ( que l'auteur a longuement étudié pour un jour s'en éloigner) , la guerre et la révolution, la Shoah et les tirailleurs Sénégalais, le mystère, le sexe, l'amitié et l'amour, la haine et la solitude, la filiation et la révolution, la colonisation .
« le passé a du temps; il attend toujours avec patience au carrefour de l'avenir ; et c'est là qu'il ouvre à l'homme qui pensait s'en être évadé sa vraie prison à cinq cellules : l'immortalité des disparus, la permanence de l'oublié, le destin d'être coupable, la compagnie de la solitude, la malediction salutaire de l'amour. «
En écrivant moi même ces quelques mots pour témoigner de la beauté de l'oeuvre, tant d'images me viennent à l'esprit. Une musique ? le ballet national du Sénégal
( que j'ai vu enfant). Somptueux . Une chanteuse ? Myriam Makeba. Un chanteur/danseur Argentin ?
Carlos Gardel bien sûr. Un personnage historique, plutôt
Césaire que
Senghor. Un romancier ?
James Baldwin sans hésiter. Un film? La Couleur Pourpre . Un peintre ?
Pierre Soulages ( facile facile..) Un plat? le bassi salté ( le couscous sénégalais). Un auteur amérindien ?
Borges of course. Un quartier de Dakar? La cour des Maures , où des orfèvres assis en tailleur sculptent des bijoux d'argent et d'ébène incroyables. Tout ça transparaît dans le livre! Des citations, par dizaines, on relit des phrases, on les surligne on les annote. On est subjugué, et pourtant, petit à petit, ça se gâte un peu, l'écriture virevoltante se mue en encre lourde, l'histoire ne tient pas la distance , lorsque justement l'auteur nous égare dans son Labyrinthe et sa structure alambiquée en trois livres et quatre biographènes, cela devient fou et flou, ça part dans tous les sens, les personnages se multiplient au point d' essouffler et d'asphyxier le lecteur qui s'épuise à chercher la sortie sans la trouver. Perplexes, on se demande : où veut il nous conduire? Que veut il nous dire au fond? Ou le livre est trop court, tant il y a de pistes à suivre, et Il aurait pu/du nous faire un tryptique, (à la Murakami par exemple) pour nous laisser le temps de nous imprégner de l'histoire, de la culture noire, des familles et des personnes , ou le livre est trop long et des coupes n'auraient pas été superflues . Parfois le trop gâche , et sans boussole point de salut dans cette histoire. Sans dictionnaire pour les mots rares en Wolof non plus. On se surprend, à mi-parcours à ne plus lire que quelques lignes de cette quête interminable, le soir, à s'endormir sur une page, à hésiter à la reprendre le lendemain. Et au final donner un gros coup de collier pour le finir. Pour dire les choses de façon triviale , on s'emmerde un peu, arrivés plein pot au milieu de l'histoire, et contraints de subir un dérapage non contrôlé, jusqu'à se reprendre heureusement vers la fin, avec d'admirables pages sur la littérature qui vont sauver l'ensemble .
« J'attendrai, enfin, que Madag vienne. Je ne pouvais accepter sa demande. Publier ce qu'il y avait dans ce carnet aurait détruit son oeuvre, ou l'égoïste souvenir que je veux en garder. Madag viendra me voir une nuit pour me demander des comptes, peut-être pour se venger, je le sais; et son fantôme, en s'avançant vers moi, murmurera les termes de la terrible alternative existentielle qui fut le dilemme de sa vie; l'alternative devant laquelle hésite le coeur de toute personne hantée par la littérature : écrire ou ne pas écrire. «
Le “back ground” culturel de MMS est impressionnant et non contestable, peut-être aurait-il fallu par instants avoir plutôt droit à un SMS pour le suivre sans s'époumoner.
Ainsi lorsqu'il nous dit” un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant, tout y est . “ ou encore “ la littérature, pour moi, commence parce que quelque chose, dans le monde et/ou en soi est perdu ou s'est perdu. “
C'est certes magistral , mais la littérature doit aussi conduire à l'émotion Mohamed, et dans ce livre la mécanique des fluides n'est pas toujours bien huilée pour moi.
Au final, si l'enthousiasme l'emporte sur la déception, je garde, hélas , un avis un peu mitigé pour un livre qui va rejoindre une de mes listes , celle des livres qui avant de devenir grands, ont besoin, sans doute, que je les lise plusieurs fois.
Recommandé quand même mais fortement clivant.