Avez-vous aimé les monologues décousus et déjantés d'Ariane dans
Belle du Seigneur ? Alors vous aimerez certainement ceux de
Mademoiselle Else, en proie au questionnement, dans son hôtel de luxe de San Martino di Castrozza (situé dans le massif des Dolomites en Italie du Nord).
Nous voilà aux côtés d'Else, une jeune demoiselle de dix-neuf ans, bourgeoise, fille d'un célèbre avocat viennois. Elle est belle comme un ange et n'ignore pas ce détail. Elle est en villégiature avec sa tante et son cousin. C'est une bourgeoise mais elle vit comme une aristocrate ; elle a des goûts d'aristocrate, et son éducation familiale n'y est certainement pas étrangère.
Son père est brillant, renommé, recherché pour ses talents devant la cour, mais il vit notablement au-dessus de ses moyens. Avec le train de vie qu'il mène et qu'il offre à sa famille, les gages de trente-six plaidoiries par jour, même très bien rémunérées, n'y suffiraient pas.
Else est donc dans son hôtel bien prout-prout : on navigue dans ses pensées et ses réflexions personnelles lorsqu'elle reçoit un courrier express de sa mère, qui lui indique qu'une nouvelle fois, son père est au bord du gouffre et que cette fois-ci, s'il ne trouve pas trente mille florins pour dans deux jours, ce sera les menottes aux poignets, et sa carrière brisée, et la catastrophe pour la famille, et la fin de la vie dorée, et tout ce que vous pouvez imaginer encore.
Or, il s'avère qu'auprès d'Else, dans cet hôtel séjourne un certain von Dorsday, ami de la famille et qui a déjà, par le passé, mis la main au porte-feuille pour colmater une fuite d'ordre similaire. La maman, en épouse modèle, demande donc instamment à sa fille de bien vouloir faire l'entremetteuse entre lui et la dette de son père.
Else, avec ses allures altières (je l'imagine très bien en
Katharine Hepburn, par exemple dans le film Indiscrétions), est catastrophée d'avoir à s'abaisser de la sorte devant ce vieillard qui lui glisse de temps à autres des regards lubriques. Comment le lui dire ? Doit-elle le lui dire ? le déshonneur ou la chute ? Dans un cas comme dans l'autre, il y a à y perdre du prestige, n'est-ce pas
mademoiselle Else ? But what else ?
Arthur Schnitzler nous fait vivre l'ébullition sous ce joli crâne, les contradictions, les déterminations, les contre-ordres, les battements de coeur de cette petite Else. Et l'autre, von Dorsday, comment va-t-il réagir ? Comment va-t-il la recevoir ? Ne va-t-il rien lui demander en échange ? Comment faire ? Comment savoir ?...
… et bien en lisant
Mademoiselle Else, pardi ! ce que je vous laisse le soin d'accomplir si ce n'est déjà fait. Un roman disent certains, une nouvelle prétendent d'autres, on s'en fiche éperdument rétorquent les derniers. Tous ont probablement un peu raison bien que personnellement j'inclinerais davantage sur la désignation de nouvelle.
Une nouvelle donc très plaisante, très bien menée, tout-à-fait maîtrisée quant à sa forme et sa constitution mais qui n'est pas forcément hyper accessible car elle nous oblige à nous fondre dans le moule de la pensée d'Else, ce qui n'est pas forcément du goût de tous.
Personnellement, j'y vois, pour mille et une raisons, qu'il serait long et fastidieux de développer ici, un fort lien de parenté avec
Belle du Seigneur, en particulier pour le personnage d'Ariane, car tout génial qu'il était,
Albert Cohen ne pouvait pas créer cela de rien et je parie ma main gauche et mon oreille droite qu'il connaissait cette nouvelle de
Schnitzler avant de nous servir son monument.
Mais tout ceci n'est que mon avis et, what else ? pas grand-chose.