Le cas Eduard Einstein

Nous connaissons le chaos après avoir fait l'apprentissage de la gloire. L'éphémère est notre état premier. Notre sillon se creuse dans la boue du temps. La terre devient hostile quand nous prenons racine. Nous vivons dans l'illusion de la considération de nos semblables. Nous imaginons que nos semblables nous jugent pareils à eux. C'est vrai de quelques-uns. La plupart ne nous voient pas comme nous sommes.Nous sommes la projection d'infinis fantasmes. Chacun possède un avis sur qui nous sommes et qui nous devrions être. Nos vies s'inscrivent dans le regard des autres.

Je ne peux plus m'adapter aux gens d'ici, ni à leur mode de vie ; j'étais déjà trop vieux pour y parvenir quand j'y suis arrivé ; et à vrai dire, ce n'est guère différent à Berlin et avant cela en Suisse. On naît solitaire.

[première épouse d'Albert Einstein, mère d'Eduard]
- Je reviens d'un endroit dont tu n'as pas idée. C'est le royaume des âmes perdues. Non, je ne suis pas folle. J'ai vu de mes yeux ce qu'était la folie. Ce lieu de perdition [asile de Burghölzli] est juste devant toi, regarde, en haut de la colline, l'immense bâtisse. C'est l'endroit dont je parle. Où l'on enferme et où l'on frappe. (...) Et veux-tu savoir ce que je faisais en ce lieu maudit ? J'allais conduire mon fils.
(p. 18)

Il se demande si le destin est écrit. Et s'il l'est parfois, imprimé dans les livres. Il songe que le destin s'amuse avec les hommes et qu'il se rit de lui.

Je suis persuadé que les hommes qui acceptent entièrement les lois existantes peuvent vivre bien, se hisser à de hautes fonctions, triompher des obstacles, mais ils ne produiront jamais rien de grand.

Sur le chemin du retour, le surveillant nous a appris que Mme Harlow était morte pendant le tournage sans qu'on s'aperçoive de rien. La production a utilisé une doublure pour la fin. Finalement il n'y a pas que moi qui me dédouble. Mais moi, ce n'est jamais du cinéma.

Un jour, mon père travaillera sur mon cas. A quoi bon une telle intelligence si elle n'est pas mise au service de l'homme? Celui qui a découvert les grands principes de l'univers ne peut-il travailler sur mon hémisphère droit?

"Dieu fait de nous des mortels immortels. Nous créons ensemble des oeuvres qui nous survivent." (66)

Sa vieille blessure de père. Quelque chose d'irréparable est arrivé par sa faute. Il a donné vie au grand malheur sur terre. Eduard est un vivant reproche. Il ne parvient pas à accepter être l'auteur de ses jours. Il est allé chercher dans les gènes [...] Il lui faut un coupable. Il ne comprend pas un monde sans cause. Le monde est noir ou blanc. Il doit toujours choisir un camp. [...] L'irréversibilité est la clé de toute douleur. (p. 262 - Réflexion d'Albert Einstein sur Eduard, son fils aliéné)

"Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution", écrit Albert Einstein en exil"