Démonstration magistrale que pour vivre il faut oublier mais que l'oubli est impossible.
L'écriture ou la vie… raconte la lente avancée vers la vérité d'un homme qui cherche à s'éloigner de ce qu'il estime être sa mort. le matricule 44904 du camp de Buchenwald fut un étudiant remarquable du Lycée Henri IV passionné de poésie et de philosophie, érudit, résistant et communiste. Déporté deux ans dans le camp de concentration jouxtant la ville de Weimar où vécu
Goethe, c'est une armée américaine, à l'opposé de la rigidité militaire des nazis, peuplée de militaires noirs, latinos, juifs d'origine allemand qui le libère. Dans ce récit autobiographique
Jorge Semprun ne s'interroge pas seulement sur la « radicalité du mal », ni sur ses raisons, ni même sur les formes qu'elle prend mais sur ses seize années de mutisme concernant son vécu dans les camps. Comment raconter ? Qui nous croira ? sont les questions des survivants, les siennes aussi. Ainsi, même si le blanc glacial de la neige de Buchenwald illuminée sous les projecteurs des miradors l'obsède, il n'en demeure pas moins silencieux. Pour vivre, il se tait. Il ne voudra pas rencontrer
Primo Levi malgré l'occasion qu'il en a, taira son expérience quand d'autres se raconteront, ne dira pas aux femmes qu'il rencontre qu'il fut une victime de la déportation. Cependant, l'odeur écoeurante de la fumée des crématoires, le hurlement guttural des SS, les coups, le froid, la faim, le rattrapent sans cesse. Ces pages ne s'attardent pourtant pas sur la brutalité des SS ou sur les horreurs si souvent décrites sur dans les camps.
Semprun essaie de s'arracher à la puanteur de la mort pour retrouver ses souvenirs de vie, les premiers pas de danse du revenant, une bonne bouteille bue dans un train. Il renoue avec les auteurs qu'ils lisaient à cette époque
Kant, Wiggenstein,
Malraux, Heidegger qui ne reconnaitra jamais l'abomination. On découvre que la poésie fut pour ces intellectuels plongés dans l'horreur plus qu'une forme littéraire, une prière, une incantation pour éloigner le mal. « Ô Allemagne mère blafarde » de
Brecht sillonne les pages,
Baudelaire chuchoté accompagne la mort d'un ami atteint de dysenterie «Ô mort vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre… nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons…". Un orchestre clandestin jouera du jazz dans les entrailles de cet enfer, on parle philosophie sur les latrines seul endroit dont la pestilence tient les nazis à l'écart. Après un prix littéraire et la notoriété internationale,
Semprun s'autorise à revenir 40 ans plus tard sur le lieu de ses souffrances. Et nous restons médusés et perplexes devant ce que dit
Semprun de son retour à Bunckenwald « J'étais ému le mot est trop faible. J'ai su que je revenais chez moi (…) je revenais chez moi, je veux dire dans l'univers de mes vingt ans ».