Lya…et moi

Après une heure à arpenter au pas de course tout ce qu’elle connaissait de quartiers dynamiques, elle commençait à désespérer. Son steak haché saignant et son cheddar fondu ? Elle allait devoir s’asseoir dessus…
Ça vient peut-être de là, la légende d’Attila cuisant les steaks sous ses fesses, se gaussa-t-elle. Il avait dû visiter E-Francisco avant d’entamer ses conquêtes…
Elle consulta une nouvelle fois son téléphone portable. Des trente-neuf restaurants, snacks et cafés indiqués par le moteur de recherche Okiali sur son trajet, aucun ne proposait de hamburgers américains. En revanche, ils auraient fait le bonheur d’un ambassadeur à l’ONU. Sarah ignorait qu’il y eût autant de nationalités alimentaires différentes : guatémaltèque, aborigène d’Australie, sierra-léonaise, bushmane, tibétaine… Il y en avait pour tous les goûts, sauf pour les siens, en somme. Elle ne réclamait pourtant pas grand-chose : une tranche de cul de bœuf hachée, deux pains arrondis couverts de graines de sésame et du fromage made in USA. Mais manifestement, il fallait être amateur exclusif de tofu, quinoa, céréales en tous genres et graines de toutes les formes pour apprécier la ville à sa juste valeur. Sarah avait même appris des noms de pousses dont elle n’avait jamais entendu parler. Après tout, qui aurait eu envie de s’empiffrer de chia, n’est-ce pas ?

Sa consœur se redressa. Elle avait senti au ton de Lenny qu’il ne s’amusait pas. Sa phrase suivante, Sarah la lut sur les lèvres sans l’entendre.
— C’est quoi le problème, Len ?
Le technicien mit une main devant sa bouche et répondit sans que Sarah fût en mesure de discerner quoi que ce soit. Elle se concentra donc sur la réaction de cette Kayla derrière la vitre.
— Un code triple six ? Tu te fiches de moi, là ?
Sarah se pencha en avant et avança un bras vers Lenny. Il sursauta et recula comme s’il avait vu le Diable en personne lorsqu’elle lui posa la main sur l’épaule.
— C’est quoi un « code triple six » ? s’enquit-elle, fébrile.
Le visage au bord de la rupture de Lenny se fissura un peu plus. Il murmura encore quelques mots à Kayla et se tourna pour faire face à sa cliente. Sans la quitter des yeux, il descendit une main vers le côté de son bureau.
— Code triple six, expliqua-t-il en appuyant sur une touche haptique dissimulée, ça veut dire que… vous n’allez pas pouvoir repartir !
Un claquement magnétique retentit derrière Sarah. Un bruit venant de la porte d’entrée. Un verrou… comprit-elle.
La jeune femme était prisonnière.

Elle vit les paupières de Johnson démarrer un clignement frénétique comme si ses globes oculaires voulaient abandonner leurs orbites, ses épaules s’affaisser. Il recula de quelques pas maladroits. Son corps et sa conscience cherchaient les ressources pour supporter le coup de boutoir. Finalement, il parvint à se ressaisir. En retour, Sarah endura une nouvelle attaque, âpre et brutale. La douleur avec laquelle Johnson l’avait torturée s’insinua une fraction de seconde à l’occiput, mais elle cessa aussitôt. Une troisième tentative échoua tout aussi lamentablement. Sarah resserra sa propre emprise. Elle-aussi savait faire mal. Johnson céda à nouveau du terrain, physiquement et psychiquement.
« Où est Alecto ? »
L’homme s’avachissait à vue d’œil.
« Où est Alecto, sale enfoiré ? OÙ EST-ELLE ??? »
Les genoux de Johnson ployèrent subitement. Il tournoya sur lui-même et s’effondra. Une fois au sol, tout son corps se mit à convulser. Des gouttelettes de sang foncé perlèrent de ses narines. Puis il cessa de gigoter.