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"Light seeking light doth light of light beguile."
(Acte I, Scène 1)

Comment démêler cette phrase, sachant que "light" peut avoir trois sens différents... ?! That's the question !
Vraiment, aucune autre pièce de Shakespeare ne m'a donné autant de fil à retordre que "Love's Labour's Lost". Cette comédie est un opulent festin de la langue, exubérant, lourd (parfois dans tous les sens du terme) et même un brin indigeste. Je n'ai vu nulle-part ailleurs une telle concentration de jeux de mots au centimètre carré, ni un texte aussi dynamique où le blank verse alterne avec la rime, et la rimaille parodique avec la prose soignée, pleine d'allitérations, métaphores et doubles sens.
Si je mets de côté les cheveux blanchis et arrachés des traducteurs, aucune autre comédie de Shakespeare n'a eu un destin aussi périlleux que celle-ci. Elle a dû faire hurler de rire les spectateurs élisabéthains, pour tomber ensuite presque complètement dans l'oubli. Les arbitres du goût des siècles suivants, Dryden ou Johnson, l'ont même condamnée pour son "humour superficiel de bas étage", et pour "l'érotisme vulgaire" de ses jeux de mots. A l'époque où la Société Royale tentait d'imposer une réforme linguistique qui devait bannir l'ensemble des métaphores, équivoques et synonymes de tout discours scientifique et culturel, tout le théâtre populaire semblait d'ailleurs vivre ses derniers instants... Shakespeare ne pouvait pas anticiper ce côté obscur des Lumières, mais c'est comme s'il l'avait fait, dans la superbe phrase de Biron que j'ai mis en exergue.
Et aujourd'hui ? On n'a plus aucune chance de saisir toutes les allusions qui amusaient les visiteurs du Globe en 1594 (quand on se "casse le tibia", eh bien, en 2023 on se casse le tibia et rien d'autre), même avec le dictionnaire de David Crystal et trois traductions différentes, mais la pièce reste plaisante et très drôle.

Le roi de Navarre avec ses trois amis (Longaville, Dumaine, Biron) font la promesse de se consacrer pendant trois ans uniquement à l'étude sérieuse de la philosophie, sans regarder une seule femme. Tout le monde est enthousiasmé par cette idée, sauf Biron, parfaitement conscient que ce ne sera pas possible. Or, la cour reçoit justement la visite de la princesse de France et de ses très charmantes dames de compagnie...

Le scénario est d'une simplicité désarmante, et toute la pièce n'est qu'une suite de scènes cumulées sans aucune unité dramatique. Même les "personnages principaux" manquent, en quelque sorte, remplacés par les groupes hommes-femmes et leur secrète danse amoureuse. Un porte-manteau modeste pour accrocher les mots, mais voilà que tout change ! le texte devient la prouesse d'un équilibriste de la langue, où même les moments les plus ridicules ou ironiques restent teintés de sagesse pétillante propre à l'auteur. Une sorte de parodie de ces savantes "académies platoniciennes" qui fleurissaient à l'époque en Italie ? Je ne sais pas... contrairement à ses contemporains, Shakespeare restait loin du registre satirique.
Quoi qu'il en soit, il ne quitte pas ses thèmes de prédilection : l'hypocrisie, les mensonges, les masques et les déguisements (notamment dans la scène de drague où ces messieurs se déguisent en Russes*, ou dans la "pièce héroïque" préparée par le maître d'école Holophernes), les vertus et les vices humains... mais ce qui est le plus mis en avant, c'est le pouvoir de la Nature. On peut être le héros le plus héroïque ou le philosophe le plus philosophique - quand la Nature donne ses ordres, il faut lui obéir.
C'est sans doute pour cela qu'une grande partie de la pièce est écrite en vers : le rythme, l'intonation, la musicalité et la respiration sont la base de la poésie, mais aussi de la vie elle-même, et ils donnent aux joutes verbales entre les protagonistes (il faut dire que ces dames s'en sortent haut la main, avec une mention spéciale pour Rosaline !) une dimension bien plus juteuse que pourrait le faire la prose.
Pour notre plus grand plaisir, un miroir typiquement shakespearien met encore face-à-face les idéaux savants et leur vérité théorique avec la vérité bassement corporelle des personnages comme Costard et Jaquenetta, ou Dull le garde-champêtre... et entre eux, toute une pléiade de personnages masqués, systématiquement confrontés au reflet de leur véritable nature. La vie et le théâtre : deux poissons d'or qui se regardent dans les yeux, d'un bocal à l'autre.
Les masques tombent, et c'est ici et maintenant qu'il faut montrer son caractère et faire preuve d'authentique sagesse. Car c'est exactement à ce moment là que, selon Shakespeare, se dévoile la Vérité. 4/5
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* Les archives de la cour élisabéthaine apportent une belle anecdote qui a amusé à l'époque toute l'Angleterre, et qui a peut-être inspiré à Shakespeare cette mascarade russe dix ans plus tard.
En 1582, le tzar Ivan le Terrible envoya en Angleterre une mission diplomatique menée par Fiodor Andreïevitch Pisemski, accueillie en grande pompe par la reine Elizabeth. La mission avait pour but de renforcer les liens entre les deux pays par un mariage royal entre le tzar (dont la cinquième femme était encore en vie) et quelque noble parente de la reine. Cette dame, selon la demande expresse du tzar, devait être "blonde et forte de poitrine". Elizabeth protestait en vain contre ces conditions ; elles étaient accompagnées de la menace que si une épouse aux mensurations et qualités adéquates n'était pas fournie bénévolement, il viendra la chercher en Angleterre avec son armée. Elizabeth était prudente, et désireuse de maintenir la bonne entente avec la Russie, elle a donc choisi lady Mary Hastings, fille du comte de Huntington.
La future tzarine a fait une crise de nerfs lors des somptueuses fiançailles "en remplacement" dans les jardins de York House, au moment où toute la délégation russe se jeta à ses pieds en la dévisageant avec stupeur muette, puis en louant ses charmes dans un langage si fleuri que l'interprète avait du mal à fournir (Shakespeare s'approprie cette scène à sa façon) et elle a refusé son époux russe. Ivan le Terrible étant mort très peu après, la Russie a renoncé à la noble épouse blonde, et l'Angleterre fut sauvée.
PS : la censure des "Peines d'amour perdues" derrière l'ex-rideau de fer était tout aussi intéressante : sur scène on remplaçait la "délégation russe" par la "délégation hindoue", avec turbans, saris et babouches... l'effet comique pour les spectateurs qui connaissaient leur Shakespeare était donc finalement double.
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Troisième et dernière pièce de Shakespeare que son traducteur François-Victor Hugo — fils de Victor — a classée dans le groupe des « comédies de l'amour », Peines d'Amour Perdues s'est avérée un brin décevante.

La scène est en Navarre, alors que le roi et ses trois condisciples ont décidé de s'isoler du monde, de la chaire et surtout des femmes, afin de ne se consacrer qu'à l'étude. Voilà-ti pas que débarquent la princesse de France et trois dames de compagnie en mission diplomatique. A la vue des belles le sang des verts galants ne fait qu'un tour en forme de coeur. Tension déchirante entre les voeux et les émotions, mais on devine vite qui va gagner. La Cour va donc faire sa cour. Mais ces dames, qui se sont vues refuser le gîte dans un premier temps (les voeux) vont se régaler à faire tourner cette cour en bourrique de basse-cour.

Voilà pour le fil rouge. Ce qui m'a gêné, c'est que le fil est paumé dans une pelote emberlificotée comme si un chat avait joué avec. Shakespeare se régale d'introduire des sous intrigues et des personnages qui ne se raccrochent à l'intrigue principale que par l'ombre d'un lacet : le maître d'école et le curé qui déclament en latin, le seigneur espagnol amoureux de la paysanne et moqué par son page, une pièce de théâtre jouée par les humbles devant les nobles qui les humilient (assez proche du Songe d'une Nuit d'Été dans l'esprit). Faut s'accrocher à la pente savonneuse.

Bon, tout ça c'est fait pour faire rire et Shakespeare sacrifie la structure à l'humour. Cet humour d'ailleurs est parfois assez génial, comme quand on joue avec le sens des mots qu'on prend ou non au pied de la lettre, du genre :
[TROGNE] Pardon ! quelle est ici la dame à la tête.
[LA PRINCESSE] Pour la reconnaître, l'ami, tu n'as qu'à voir celles qui n'ont pas de tête.
Parfois cela me passe à deux miles au-dessus de la tête (car j'en ai une, moi). J'ai repéré un petit passage grivois ([BOYET] Si mon instrument est en dehors, en revanche le vôtre est en dedans – les instruments étant bien sûr leurs langues chargées de placer quelques saillies intellectuelles bien senties).

Mais si j'ai fait la fine bouche, j'ai apprécié d'apprendre l'origine de la pièce dans… la biographie sur Henri IV de Jean-Pierre Babelon. Apparemment Shakespeare s'est inspirée de la Cour de Nérac, une période située autour de 1580, alors qu'Henri de Navarre est revenu sur ses terres et qu'il accueille son épouse Marguerite de Valois chassée de Paris par son roi de frère Henri III. Époque frivole, climat de galanterie et tenues féminines attirantes ont laissé leur place dans l'Histoire au point d'inspirer le génial auteur anglais (et de dégoûter l'opinion protestante plutôt portée à la rigueur).

En résumé, si je ne trouve pas la lecture de cette pièce indispensable, elle n'est pas non plus franchement désagréable. Un bon rire vaut un bon steak, et tant pis pour les végétariens.
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Le corps et l'esprit ne font pas bon ménage ? Divertissement et études sont incompatibles ? Point de science ne peut être acquise sans sacrifices ?
Et bien qu'à cela ne tienne !
Ferdinand le Roi de Navarre et 3 de ses compagnons décident de faire une retraite studieuse. Afin d'étudier dans les meilleures conditions qui soient, chacun fait le serment de respecter des règles très strictes. Ces règles visent à s'assurer que ces quatre jeunes hommes ne seront pas tentés par de vains divertissements. Or la visite de la Princesse de France, accompagnée par 3 jolies dames de compagnie pourrait bien bouleverser ces voeux un peu trop pieux …

Cette comédie veut se moquer des caractères pédants de la jeunesse, trop prompte à verser d'un excès à un autre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. La morale est presque trop mielleuse - comme la célèbre chanson " All you need is love". Heureusement que l'ombre de la mort vient gâcher un peu cette fête pour rétablir les bonnes vieilles morales élisabéthaines !
Peines D'amour Perdues m'a beaucoup fait penser à Beaucoup de Bruit pour Rien. Ces deux comédies ont en commun d'être basées sur le langage - avec un petit comique de situation pour divertir un peu le public de manière autre qu'intellectuelle quand même. Cet aspect rend la lecture difficile. On est loin des profondeurs que peuvent atteindre les tragédies.
Toutes proportions gardées, avouons quand même que c'est une affaire de goûts.

Je signale quand même l'adaptation cinématographique de Kenneth Brannagh. La mise en scène façon comédie musicale donne un peu de fraîcheur à cette pièce shakespearienne avec des acteurs très convaincants.
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C'est en lisant "Sycomore Sickamour" de Pacôme Thiellement que j'ai mesuré le gouffre de mon ignorance de l'oeuvre de Shakespeare, surtout des comédies.

J'ai donc commencé par l'une d'elle, qu'il cite abondamment "Peines d'amour perdues".

De nombreux thèmes se dégagent de cette pièce qui fait parfois appel aux ressorts du théâtre de boulevard (ou ce que nous nommerions ainsi aujourd'hui), tels le quiproquo :

- l'inanité de prendre des engagements contre-nature, comme renoncer à l'amour ;

- le ridicule qui guette les persifleurs ;

- le travers de se croire plus sage qu'autrui ;

- le pédantisme ;

- une critique du racisme (j'emploie le mot qui me semble un anachronisme : et pourtant c'est bien de cela qu'il s'agit) ;

- le bon sens du peuple ;

et bien d'autres encore, car sous couvert de légèreté, Shakespeare nous livre souvent des réflexions graves.

Pacôme Thiellement a mis en évidence dans l'ouvrage cité plus haut la rareté qu'il y avait à chanter la beauté de la peau noire de l'aimée à la fin du 16 ème siècle : le personnage de Rosine, suivante de la princesse de France en visite à la cour de Navarre, fait en effet écho au Cantique des Cantiques "Je suis noire mais je suis belle". Ainsi on trouve dans cette pièce une véritable ode à la beauté du noir. Biron (le persifleur amoureux rendu modeste) s'écrie : "Est-ce que l'ébène lui ressemble ? Ô bois divin ! Une épouse de ce bois-là, ce serait la félicité ! (...) Il n'est pas de beau visage qui ne soit noir autant que le sien."

C'est lui aussi qui rend grâce aux vertus de l'amour dans une tirade célèbre de l'acte IV : "Quel est l'auteur au monde qui vous enseignera la beauté aussi bien qu'un regard de femme ?"

La gravité des thèmes n'alourdit jamais ce texte de lecture agréable (même s'il est fait pour être interprété sur scène) et souvent comique, rempli de jeux de mots savoureux dont le lecteur français lisant la traduction ne peut pas toujours, hélas, goûter toute la subtilité. Il en va de même pour les allusions crues, dont le commentateur des éditions La Pléiade nous assure que la traduction atténue souvent la franche "obscénité", selon son propre terme. Nous aurons ainsi - quel dommage ! - échappé au pire.

En résumé, une pièce légère et grave, pas bégueule pour deux sous, abordant des thèmes éternels avec humour, piétinant les préjugés à l'encontre des noirs, n'écorchant pas les femmes et pouvant séduire à la fois l'intellectuel et le vulgum pecus.

A propos de l'ouverture d'esprit de Shakespeare, Thiellement en donne une explication très convaincante : fils de commerçants (son père était gantier), il aurait pris très jeune l'habitude de côtoyer diverses catégories sociales et de se mettre à la place d'autrui pour devancer les désirs, talent que ne cultivait certes pas l'aristocratie pleine de morgue et d'entre-soi.

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Quatre hommes, le roi et trois de sa suite décident de jurer un serment selon lequel tous devront se détourner de tout plaisir pouvant les détourner de l'étude et de l'acquisition de la sagesse pendant trois ans, ce qui signifie ne pas dormir plus de trois heures par nuit, ne pas parler aux femmes pouvant causer des émois, jeûner le plus possible, ne se distraire qu'aux dépends d'un homme vantard et ridicule, Armando, provoquant l'hilarité générale. Mais Biron, qui a accepté de prêter serment malgré tout, a vu juste dès le départ : un tel pacte est-il vraiment réalisable et n'est-il pas contraire au sens commun, à la vie même, à la nature humaine ? C'est ce dont on va se rendre compte très vite quand arrivent la princesse de France et trois de ses dames car l'amour va se jouer de tous et les rendre parjures et hypocrites. Plusieurs scènes sont très drôles car fondées sur un comique de caractère (le vantard Armando, réplique du « capitan » de la commedia dell'arte, le pédant Holloferne, le flatteur Nathaniel) et les joutes verbales que les hommes croient exquises et qui sont trop ridiculement hyperboliques et dont les femmes se jouent, mais une partie de l'humour anglais se perd car plusieurs passages censés être amusants proviennent de jeux de mots et homophones en anglais expliqués par des notes de bas de page car intraduisibles en français (à part pour les bilingues qui peuvent comprendre l'anglais du XVIème siècle bien entendu mais ce n'est pas mon cas). J'ai aussi eu du mal à la lecture à m'attacher totalement aux personnages car je trouve par exemple les femmes excessivement moqueuses dans leurs réactions, ce qui est assez cruel (et pour moi les défis lancés aux hommes à la fin et mettant les femmes sur un piédestal impossible à atteindre, à l'instar de l'amour courtois ne sont pas forcément en faveur de rapports sains et égalitaires par la suite entre les amants) et je n'ai pas trouvé l'intrigue très fouillée, à la différence de la nuit des rois.
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Quatre hommes, quatre femmes. Un serment à tenir, celui de ne céder à aucune aventure frivole pendant la durée d'un an afin de s'adonner pleinement à la Philosophie. Pacte qui est brisé par l'arrivée de quatre femmes où un jeu amoureux très comique prend place.
Si vous voulez rire, lisez.
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Pièce étrange dont l'inspiration à la fois intrigue et réjouit.
Comment comprendre, autrement que comme un cas d"école, une situation dans laquelle quatre hommes, réputés sains d'esprit- sinon de corps!- décident de renoncer pour une longue durée et dans un but philosophique au moindre commerce avec les femmes. Pardon pour le terme "commerce" à comprendre au sens le plus généraliste et le moins mercantile qui soit, disons donc relation mais l'occasion de clin d'oeil était trop belle.
La déroute est prévisible, la question n'est que "jusqu'où ira-t-elle?"
Messieurs, assez loin, hélas, William s'occupe de nous!
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