Lhassa, cité sacrée au Tibet, 1956 :
Le Dalaï-lama doit s'enfuir et quitter le Potala, son palais.
Douze ans plus tard, son ancien peintre, devenu un vieil homme, affronte seul - ou presque - la sauvagerie qui a pris le pouvoir et investi cette demeure mythique. Ses armes : sa mémoire, spécialement la mémoire de son art.
Il incarne tout ce que de jeunes barbares incultes, avides de revanche et d'ordre nouveau, s'acharnent à détruire parce qu'ils ne le comprennent pas : une certaine idée de l'harmonie et de la beauté, et qui sait la prémonition confuse d'une transcendance à laquelle ils n'ont pas accès - à laquelle peut-être on ne les a pas laissé accéder... ( Pluriel ?)
Tandis qu'ils saccagent systématiquement des chefs-d'oeuvre irremplaçables, leur chef, dont le père était "boucher funéraire", particulièrement cruel, se déchaîne.
Dans ce haut lieu symbolique de grande spiritualité et de résistance à l'oppression, notre héros entre lui aussi en résistance. Dans les oubliettes du Potala, il se retire dans sa forteresse intérieure, faite de réminiscences, de rituels scrupuleux et de "multiples splendeurs".
Malmené, harcelé, confronté à la violence et à l'ignorance - qui vont si souvent de pair - il tient bon sous la torture en imaginant son prochain et dernier tableau, qui surpassera tous les autres. Et n'est-il pas un de ceux que l'on avait chargés de trouver la réincarnation du Bouddha sur terre ? Il se doit d'être fort,
jusqu'à un épilogue qui convoque la légende de la Déesse-Terre qui saura encore une fois noyer les forces du mal.
Cette histoire nous en rappelle tant d'autres, anciennes ou récentes - hélas.
On sait que les dictatures frappent d'abord les intellectuels et les artistes, ceux-ci parce qu'ils se réfugient dans leur propre monde où il peut être presque impossible de les atteindre.
L'écriture est à l'image de ce qu'elle évoque, minutieuse, flamboyante, terre-à-terre, fulgurante de grâce... Touchante aussi et nous accompagnons chaque minute du calvaire de Bstan Pa, que nous quittons avec compassion - vertu majeure prônée par le Bouddha - et un profond respect. Désolés aussi de la bêtise et de obstination de son adversaire.
Admirable lecture qui nous apprend beaucoup sur le bouddhisme, l'art tibétain, l'histoire de la révolution culturelle chinoise et aussi sur nos capacités d'humains à faire le mal ou le bien et à lutter pour des idéaux qui nous dépassent.