Cette familiarité. Ces sensations. J’ai grandi ici. J’ai joué dans ces hautes herbes. Ramassé des mûres dans ces haies. J’ai parcouru ces collines. Je me suis baigné dans les rivières de ce pays. Je suis constitué de ces lieux. Tout cela est clos maintenant. Et perdure tellement.
La rente de l'actionnaire est devenu le revenu dominant. Or ce revenu se développe contre tous les autres. La part de l'état, les salaires, la protection sociale, tous les autres revenus doivent être comprimés pour augmenter le revenu des actionnaires.
Fermer des entreprises, créer du chômage, faire pression sur les salaires... deviennent les finalités de cette nouvelle économie mondiale.
Mais la finalité, c'est ce qui transcende. Ce sont les valeurs pour lesquelles nous vivons. Or la finance n'est qu'un instrument. Elle ne peut donner sens. Si vous la prenez comme finalité sociale, vous produisez une démoralisation, une désorganisation totale de la société.
Il reste suffisamment de pétrole, de charbon et de gaz pour engendrer un dérèglement climatique majeur, mais il n’en reste pas assez pour fournir bien longtemps l’énergie nécessaire à nos sociétés. L’épuisement des ressources est encore trop lointain. Il y a encore beaucoup trop de pétrole par rapport à ce que le climat peut supporter.
Tu connais cette phrase de Woody Allen?: "J'aimerais terminer sur un message d'espoir.Je n'en ai pas.En échange,est-ce que deux messages de désespoir vous iraient?"
Le chemin vers la sobriété, je ne crois pas qu’on l’empruntera. En tout cas, pas volontairement. Et pas à temps. Parce que rien ne nous y incite. Au contraire. La crise climatique est encore trop lointaine pour que l’on renonce aujourd’hui à ce qui constitue notre bien-être matériel. Par ailleurs, la pensée libérale se refuse à toute intervention dans le libre-jeu du marché. Et trop d’intérêts économiques redoutent les mesures qui pourraient être prises.
Aujourd’hui, un panier typique de 26 produits parcourt en moyenne 6 fois le tour de la Terre avant d’arriver au consommateur. Mais une partie importante de ces échanges concerne des productions que les pays pourraient faire eux-mêmes. Au Royaume-Uni, par exemple, 126 millions de litres de lait ont été importés en 1997 et 270 millions de litres ont été exportés la même année.
Si nous voulons éviter un dérèglement climatique majeur, il faut donc que les habitants des pays pauvres n’augmentent pas leurs émissions, que les Chinois diminuent les leurs, et que les habitants des pays riches baissent au plus vite leurs émissions jusqu’à celles d’un Indien très mal loti. Personne n’a envie de ça. Moi pas plus qu’un autre.
Le réchauffement climatique n’est pas uniquement une affaire de comportements. C’est toute l’organisation de notre société qui est en cause.
Une fin au bout du compte... ça revient toujours au même, il s'agit de trouver une façon de se taire.
Le compte à rebours est lancé. Et notre crédit de temps est limité.
Il est trop tard déjà pour faire marche arrière.
Le retournement s’est produit.
Une autre histoire va commencer.
Une histoire dont nous ne pourrons nous détourner.
Un temps où le temps manque déjà.
Un temps précipité. Fini. Où nous sommes engagés malgré nous. (pp.152-154)