On pourrait dire que l'Italie c'est l'exotisme de
Stendhal, quand d'autres, à son époque, lorgnaient du côté de l'Orient. Il y voyagea, fut consul à Trieste et Civitavecchia et toute son oeuvre en est parcourue, à commencer par ce tour de force qu'est
La Chartreuse de Parme, dicté en sept semaines à un secrétaire.
Il y aura aussi ses déambulations italiennes – tel
Rome, Naples et Florence – ainsi qu'une
Histoire de la peinture en Italie, dont le manuscrit connaîtra un destin digne d'un roman d'aventure : d'abord perdu pour une grande part lors de la désastreuse campagne de Russie et remanié ultérieurement. Puis il y a ce texte,
Chroniques italiennes, recueil de nouvelles – publié après la mort de l'auteur, même si certaines l'avaient été de son vivant dans des revues – qui ont pour cadre les milieux aristocratiques de l'Italie.
« Ce recueil singulier de huit “chroniques”, qu'il s'agisse de traductions assez fidèles de manuscrits italiens du XVIe siècle [découverts par l'auteur dans une bibliothèque…que c'est romanesque !] ou d'inventions de
Stendhal, expose une suite de passions amoureuses tourmentées dans une Italie où la violence
de l'amour triomphe tragiquement sur les contraintes politiques, religieuses et sociales. » (https://kolumbris.wordpress.com/2014/04/30/
chroniques-italiennes-stendhal)
Dans ces chroniques, on croise des destins de femmes particulièrement tragiques, dont s'emparèrent, pour certaines, les artistes. Ainsi, dans
Les Cenci, une famille condamnée pour avoir assassiné le père tyrannique et incestueux, on retrouve Béatrice (ici Beatrix), qui inspira particulièrement les romantiques, dont
Alexandre Dumas ou William Shelley. de cette figure de l'innocence révoltée,
Stendhal fait un portrait à la fois amoureux et raphaélien : « Elle était petite ; elle avait un joli embonpoint et des fossettes au milieu des joues, de façon que, morte et couronnée de fleurs, on eût dit qu'elle dormait et même qu'elle riait, comme il lui arrivait fort souvent quand elle était en vie. Elle avait la bouche petite, les cheveux blonds et naturellement bouclés. En allant à la mort ces cheveux blonds et bouclés lui retombaient sur les yeux, ce qui donnait une certaine grâce et portait à la compassion. »
Les femmes de ces chroniques sont exceptionnellement belles et toutes affligées par le sort qui s'acharne contre elles, au fil d'époques où la loi des hommes règne sans partage et dont elles sont le jouet, telle Vittoria Accoramboni, ballotée entre des familles rivales, à l'image des Montaigu et des Capulet de
Shakespeare.
Les femmes sont donc le coeur du recueil, et c'est justement leur coeur qui les fait rompre – et se rompre – avec les usages en vigueur, voire la raison. Ainsi,
Vanina Vanini n'hésite pas à trahir son amant pour le sauver, lui dont l'oeil ne brille finalement qu'en nommant la patrie. Mais « toute vraie passion ne songe qu'à elle », écrivait
Stendhal dans
le Rouge et le Noir, ajoutant que lesdites passions étaient « ridicules à Paris ». Il faut comprendre, à la lecture de ces histoires, qu'elles ne le sont pas en Italie.
Fort logiquement, tout est extrême dans ces récits de femmes, celle de la duchesse de Palliano n'étant pas des moindres. Voici une femme adultère qui est trahie auprès de son mari par celle-là même qui l'avait entraînée sur cette périlleuse pente. Enceinte, elle se fera étrangler, sans broncher, par son frère : « La chose se passa, de la part de la duchesse, absolument sur le ton d'une conversation ordinaire. » Contraste absolu entre le calme de la victime et l'horreur du geste, tout ça pour des questions d'honneur.
Il y a aussi Hélène de Campireali –
L'Abbesse de Castro –, qui, séparée de son amant de basse extraction à la suite de multiples péripéties, est envoyée dans un couvent dont elle deviendra abbesse. Elle tombera enceinte des oeuvres de l'évêque en personne et sera emprisonnée, pour finir par se planter une dague dans le coeur, comme une sentence qu'elle s'inflige en apprenant que son amant n'est pas mort et à qui elle écrit : « Enfin il faut dire cette chose qui me fait de la peine ; je ne voyais pas pourquoi je n'essayerais pas
de l'amour grossier, comme toutes nos dames romaines ; j'eus une pensée de libertinage, mais je n'ai jamais pu me donner à cet homme sans éprouver un sentiment d'horreur et de dégoût qui anéantissait tout le plaisir. »
Du drame intime de ces femmes, on glisse donc vers la tragédie, dans des temps aussi troublés qu'implacables où elles eurent le malheur
de l'amour-passion, qui est le désespoir et la mort, écrivait
Stendhal Dans
de l'Amour.