Troisième roman non achevé (il y manque la troisième partie), écrit en 19 mois (de mai 1834 à novembre 1835), cet ouvrage est – de loin - le roman le mieux écrit
De Stendhal. « Roman du Présent » (
Xavier Bourdenet ), c'est un chef d'oeuvre de psychologie « à la française », véritable ouvrage d'initiation pour toute jeune personne souhaitant comprendre de l'intérieur ce que signifie la société française.
Stendhal reprend le ton piquant, sagace, alerte, allègre, impertinent du « Rouge et le Noir » (avec une coloration plus ironique, acérée, ramassée) pour décrire bourgeoisie et aristocratie, milieux provinciaux et parisiens. le style est brillant, les formules chatoyantes, relevant l'esprit de la langue, sont saisissantes de fraîcheur, de pertinence et d'acuité.
Dans la première partie, on est comme à huis clos dans la tête du principal personnage,
Lucien Leuwen : prenant une configuration mentale, le monde emprunte une coloration proustienne novatrice pour l'époque. Il ne se passe que peu de choses en terme d'événements, mais la multiplication des scènes intimes font comprendre que tout se joue dans l'âme. Cette partie met en lumière un personnage romanesque (Mme de Chasteller), idéalisant les vertus de pureté, de simplicité, de sincérité, d'humilité qui, pour
Stendhal, caractérisent (au-delà de toute affectation) la véritable noblesse.
Dans la seconde partie, on est moins dans un roman que dans une analyse acérée de la psychologie sociale. Comme le souligne Bourdenet, « le roman est travaillé par le modèle journalistique ». À part l'intrigue avec Mme Grandet à la toute fin de l'ouvrage, on délaisse ici la trame romanesque pour se focaliser sur une observation clinique (au jour le jour) de la société parisienne et provinciale. Les péripéties électorales de Lucien en province sont sans doute un peu longues, mais le décorticage des manigances politiques fait comprendre en un style littéraire la transposition de faits concrets auxquels
Stendhal a assisté, ce qui explique la décision de l'auteur de ne pas faire finalement publier l'ouvrage. Sur ce fond d'austérité, cette seconde partie met merveilleusement en relief le père de Lucien, François Leuwen, personnage central plein de fantaisie et d'esprit qui respire (à l'instar d'un Talleyrand, évoqué à de multiples reprises, en opposition de style et de tempérament avec
Chateaubriand,
Saint Simon ou Lafayette) « l'intelligence à la Française », tout le contraire de l'esprit de sérieux, moraliste, idéaliste ou dogmatique.
L'annonce du départ de Lucien vers l'Italie à la toute fin de l'ouvrage fait évidemment regretter la troisième partie de ce qui aurait constitué l'aboutissement du chef d'oeuvre définitif
De Stendhal.