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EAN : 9782840669753
203 pages
Les Presses du réel (05/09/2017)
4/5   1 notes
Résumé :
Dans cet essai qui privilégie la joie d'une pensée insoumise plutôt que la dénonciation, Isabelle Stengers prend le relais d'Alfred North Whitehead lorsque, diagnostiquant le « déclin de la civilisation moderne », celui-ci assigna à la philosophie la tâche de « souder le sens commun avec l'imagination ». Face aux prétentions à déterminer ce que nous avons le droit de savoir, elle cherche à donner force à ce que nous savons. Face aux oppositions doctrinales prédatric... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Au fond la question c'est, comment croire en ce monde ?
Pour tenter d'y répondre Isabelle Stengers nous propose d'aller à la rencontre du mathématicien et philosophe, Alfred North Whitehead (1861-1947), auteur sans doutes peu connu, notamment d'une audacieuse alternative à la théorie de la relativité, et plus tard auteur d'une singulière métaphysique. C'est donc une rare occasion de découvrir cette philosophie.
En choisissant de faire un bout de chemin avec ce philosophe, on s'évite la sempiternelle référence au kantisme et on se place à une époque très proche de la nôtre. Cette modernité est marquée par l'emprise de la science mais plus précisément par un mode d'abstraction dont le premier pouvoir est de mettre le public au pied du mur.
L'auteure, avec Whitehead et d'autres encore dans ce livre, témoignent de la volonté d'échapper à l'emprise de ce pouvoir bifurcateur. Elle adopte certes une attitude récalcitrante mais averti les activistes qu'il ne s'agit surtout pas d'adopter une attitude totalisante.
L'empêcheuse de tourner en rond est en fait à l'image de l'amarante, une espèce de plante apparue effectivement résistante au glyphosate. Cette créativité vitale, qui est précisément ce qui échappe aux scientifiques, inspire directement la métaphysique du procès de Whitehead.
« La biologie est le champ de bataille où s'affrontent le pouvoir des causes, lorsque tout s'explique par des processus biochimiques réputés régis par une causalité efficiente aveugle, et celui des fins, lorsque chaque processus est censé jouer un rôle ou avoir une fonction au service du tout. ». Deux modes d'explication ou d'abstraction que la « doctrine de l'évolution » a la « triste » responsabilité d'articuler.
La métaphysique du procès répond au sens radical de la « doctrine de l'évolution », qui ne connaît ni fondement ni idéal. «Elle travaille par le milieu au sens où elle ne s'enracine pas dans le sol d'une vérité qu'elle déploierait ni ne vise l'idéal qui donnerait sa vocation à la pensée ».
L'élément clé de cette métaphysique est l'occasion actuelle ou « res verae » : « En chaque occasion, les causes appellent la décision subjective car la manière dont chaque cause va causer est précisément ce qui doit se décider, ou se déterminer, en cette occasion et pour cette occasion. La décision ne contredit pas la causalité, elle est décision à propos de ce qui sera cause pour elle…. Les « causes » n'expliquent plus mais « s'expliquent » par leur participation à la décision occasionnelle qui seule leur confère leur pleine détermination. Ce pourquoi Whitehead parle également de processus de concrescence, ou de venue à l'existence d'une entité « réelle », c'est-à-dire « individuelle », irréductible à toute explication abstraite. »
La beauté de l'essai est de montrer comment cet artifice métaphysique parmi d'autres forment un art de la composition qui permet la venue à l'existence d'un « sens commun » non pas au sens d'accord unanime, de détermination unique ou totalisante, mais de sentir ensemble, chacun à sa manière mais avec les autres, par les autres, grâce aux autres.
On dira que « la décision a gagné son individualité en ce qu'elle est devenue inséparable d'un processus de composition qui a fait émerger de nouvelles possibilités de dire et de sentir, transformant des raisons antagonistes en contrastes qui importent ».
Cet art de la composition se retrouve dans la tradition des palabres africaines, et c'est justement ce type de traditions que la modernité a épuisées, qu'il s'agit de cultiver à nouveau. L'auteure expose plusieurs nouveaux modes de composition dans ce livre dont certains permettraient d'ailleurs de concrétiser le flou de la « démocratie participative ».
A l'opposé de l'occasion actuelle (res verae) et de son caractère irréductible à toute explication abstraite, Whitehead avait nommé « société » ce qui réussit à endurer, comme des organismes vivants ou des sociétés humaines. Mais si pour cette raison, ces « sociétés » ainsi nommées, fournissent aux sciences la possibilité de trouver plus de « lois de succession », alors il faut encore se garder d'expliquer le « tenir ensemble » par des parties définies « au service du tout ». Ce ne serait pas rendre intelligible ce tenir ensemble mais le rendre « normal ». La réponse ne doit pas tuer la question.
Whitehead ajoutait logiquement que toute « société » dépend de la patience de son environnement quant à la manière dont elle l'affecte. On peut dire que la Terre a perdu patience. Et c'est encore l'impatience générée par les appétits privés industriels et commerciaux qui affecte les scientifiques.
« Il ne s'agit plus ici de comprendre une société en tant que se maintenant à l'existence. Il s'agit, tout autre question, de s'adresser à ce dont l'appartenance à une société rend ses membres potentiellement capables.»
L'appartenance à une société se signale aussi par une tâche aveugle. C'est ce qu'on peut craindre lorsque Whitehead affirme que « les civilisations ne peuvent être comprise que par les civilisés ». D'autres signes de ce genre amènent donc l'auteure à répondre avec cette citation de Audre Lorde : « Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître ».
Toutefois l'enseignement de la métaphysique du procès comme l'art de la composition n'est pas de camper dans la dénonciation des généralisations indues, d'attendre l'intuition ou de tendre vers « un idéal mélancolique hors-sol », mais plutôt d'activer l'imagination et de poursuivre l'aventure autrement avec et au risque d'autres personnes.
Alors à mon tour, je dois dire que je n'ai pas été réellement touché par le mode de composition expérimenté par Donna Haraway dans l'art du dressage de sa chienne Cayenne, ni par celui du diplomate dans l'agora de Bruno Latour. Dans le premier cas je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir la simple domestication comme « outil du maître ». Dans le deuxième cas, j'ai surtout perçu le risque de retournement du dispositif expérimental dans un redoutable système de manipulation largement enseigné dans les business school et Sciences po. Si bien que « la survie du plus apte » se métamorphose naturellement dans un programme permettant aux intérêts privés de justifier l'injustifiable.
Un mot enfin sur le féminisme actif à travers ces pages et l'usage intensif du genre féminin : ce choix rappelle en effet qu' Isabelle Stengers fait partie des rares femmes philosophes et que cette situation réclame un certain activisme. En revanche je noterai que si le « jeu viril » évoqué par l'auteure, est aussi facilement adopté par les femmes dans les sociétés industrielles et commerciales, il ne signale peut-être pas une essence masculine ni la mascarade de celles qui l'adoptent, mais plutôt l'appartenance à une société avec sa tâche aveugle.
La « métamorphose des règles du jeu » ou « La voix moyenne, l'inséparabilité de l'agir et de l'être agi » n'est pas le programme d'un monde ré-enchanté visant à dissoudre le « relativisme sceptique ». Il s'agit au contraire d'apprendre et d'expérimenter un art de vivre dans un monde devenu globalement précaire, qui ne se conforme plus aux rôles que nos habitudes lui assignent: « Stay with the trouble » dit Donna Haraway. Ce mode d'existence “sympoiétique” consiste à gagner sa vie, certes, mais avec d'autres, par d'autres, et au risque d'autres.
Au fond il reste à échapper complètement, comme si Darwin n'avait pas été assez clair, à l'emprise de l' «exceptionnalité humaine» dans la morale. Mais c'est avec beaucoup d'égard que l'auteure traite par exemple le récit biblique du 6ième jour.
Dans la torpeur du règne végétal, des amarantes ont produit des sortes de mutation, comme des propositions non-conformes, qui leur ont valu de survivre au glyphosate. La vie semble asociale mais un art de vivre ensemble est possible dans un monde qui peut en faire douter.
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Philosophe des sciences, Isabelle Stengers engage le dialogue avec deux chercheurs pour interroger l'objectivité des sciences. « L'usage dominant instaure une répartition binaire du savoir : les scientifiques disent les faits, neutres quant aux valeurs, la société décide démocratiquement de la manière d'en tenir compte. Des scientifiques minoritaires ont depuis des années mis en cause ce trop confortable état des choses, qui sert de façade à des rapports bien plus intriqués. Mais en ces temps d'urgence climatique et sociale, la façade craque de partout. Des chercheurs sortent de leur rôle assigné, “entrent en rébellion “, “ bifurquent” ou “désertent “. Ils et elles s'adressent directement tant à leurs collègues qu'aux étudiants et au public, et font exister la possibilité d'autres manières de faire science, c'est-à-dire aussi la possibilité d'une mise en démocratie active des savoirs, scientifiques ou non, qui permette de penser ensemble et d'affronter ensemble les épreuves qui nous attendent. » I.S.
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