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Bernard Banoun (Traducteur)Minori Matsuouka (Traducteur)
EAN : 9782367441467
120 pages
Editions Le Bec en l'air (22/10/2020)
4.25/5   2 notes
Résumé :
La catastrophe nucléaire de Fukushima a durablement bouleversé les relations autrefois intenses entre les individus, leur communauté et les cycles de la nature. Comment vivre alors dans un nouvel environnement ? Telle est la question qu'évoque ce livre dans un dialogue à plusieurs voix : celle de la photographe Delphine Parodi, dont les diptyques, entre paysages intimes et portraits d'habitants, suggèrent l'altération de leur rapport au lieu et l'importance de la mé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
J'ouvre la première page, deux photos qui se font face, une mère et sa fille, à gauche, des buissons à droite. Est-ce qu'elles jouent, est-ce qu'elles interrogent ? Je ne vois pas leur visage, leurs cheveux fouettant leurs regards, leurs sourires, leurs perplexités. Je me mets à la place de ce couple, la fille a envie de jouer, la mère a envie de la protéger. La protéger de quoi, de cet ennemi totalement invisible que les buissons ne laissent même pas entrevoir. La radioactivité. Il est un lieu où l'on ne peut plus aller, laissant à la dérive les souvenirs de sa vie, de ses ancêtres. Il est un lieu, où il est nécessaire d'avoir son compteur sur soi et vérifier que l'on peut sortir prendre l'air, prendre le vent qui emporte ou dépose quelques poussières invisibles mais radioactives.

Je tourne la page, deux autres photos, des enfants qui regardent à travers la vitre, un jardin mi-vert mi-ombragé presque abandonné. Et toujours cette même réflexion, comment continuer à vivre dans cet environnement. Pour soi, pour sen enfants, pour ses ancêtres. Delphine Parodi, photographe installée au Japon depuis 2010, montre le visible et l'invisible, des photos humaines où l'homme, la femme, l'enfant sont présents au coeur de son regard, tout comme la nature qui elle, continue, comme s'il ne s'était rien passé, à survivre dans cet environnement.

Entre des séries de photographies, Yoko Tawada, poétesse japonaise installée en Allemagne, (d)écrit quelques mots, peurs, questionnements sur cette vie là-bas, après ce 11 mars 2011. Il y est question là-aussi, d'enfants, de nature et de peurs invisibles. Je n'ai pas tous les codes pour comprendre tous ces poèmes mais ces derniers permettent de respirer entre deux séries de photos, de les appréhender, de réfléchir à ces sujets, ces hommes, ces pécheurs, ces mères de famille, ce moine ou cet enfant-là qui se demande encore pourquoi il n'a pas le droit de jouer pieds nus dans les herbes vertes.

Je prends un verre, whisky sans glace, eau contaminée, un Suntory Whisky Toki qui ne vaut pas un Nikka Coffey Grain, en feuilletant ce beau livre introspectif et silencieux. D'ailleurs, mon verre est peut-être lui aussi contaminé, il faut que je regard où se trouve ma distillerie. Mais j'ai compris, bien au-delà des poussières invisibles, là-bas, la vie continue. Même sans poissons, même sans vaches, troupeaux abattus, même sans eau. D'ailleurs, c'est pour cette raison que j'ai arrêté de boire de l'eau.
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Out of sight (à l'abri du regard), est le fruit d'une initiative franco-japonaise originale, mariant les talents de photographe de Delphine Parodi vivant au Japon et de la célèbre écrivaine installée en Allemagne, Yoko Tawada. Ce livre est d'abord un bel objet, qu'on a plaisir à avoir en main, de par sa couverture à la fois sobre et élégante, son format insolite, sa composition intérieure soignée et attractive.

Dans une belle synergie, les deux auteures se sont alliées pour sonder, peut-être mieux que dans un classique reportage, l'âme meurtrie de ces habitants de la zone d'évacuation de Fukushima. Sur chaque double page, Delphine Parodi capte ces hommes, ces femmes, ces enfants dans des poses pensives, et leur associe un paysage à l'allure finalement banale, sûrement celui qui leur était le plus immédiat et familier. de cette banalité, de cet anonymat des êtres et des choses émane le charme de la simplicité, qui parle d'autant plus au coeur du lecteur que Yoko Tawada scande d'éloquents poèmes, messagers des sentiments mêlés de ceux qui les ont inspirés. Ces poèmes qu'on nous offre (cadeau !) en japonais, en français, en allemand et en anglais, répondent dans une parfaite résonnance aux humeurs et émotions diverses qu'éprouvent ces gens photographiés : mélancolie et tristesse, désespoir, indéniablement, mais aussi anxiété, incrédulité non seulement face à une réalité qui peine parfois à s'imposer à eux (tout cela nous est-il vraiment arrivé ?), mais aussi une incrédulité face aux affirmations des autorités, soupçonnées de mensonges, de privilégier des intérêts économiques sur les vies humaines, et de minimiser les terribles conséquences potentielles du mal invisible, qui corrode tout, l'air, la terre, l'eau, les pierres, les végétaux et les animaux.

Ayant souvent vécu durant des décennies sur cette terre du Tohoku, et de la mer, hier encore parmi les plus nourricières du Japon, ces êtres s'interrogent, mais ne se posent que rarement en victimes. On aimerait parfois un esprit plus contestataire chez le peuple nippon, bien docile et soumis face à une classe politique décidément pas à la hauteur ! Dignes et attachants, les témoignages de quelques-uns de ces déracinés, judicieusement proposés, en fin d'ouvrage, nous éclairent. Ils nous montrent une capacité de résilience admirable, confortée par une foi bien ancrée dans la force de la nature, dans l'intelligence des arbres et dans l'inaltérable cycle des saisons.

Un très beau livre, où une poignée de photos, de courts poèmes et de témoignages, en disent davantage qu'un verbeux discours sur ce qui, au-delà de la catastrophe technologique et de ses irrémédiables conséquences écologiques, est également, et peut-être d'abord, un drame humain.

Je remercie babelio pour m'avoir fait découvrir ce « petit » éditeur marseillais et indépendant, le Bec en l'air, qui met de belle manière la photographie à l'honneur, et a le bon goût d'adresser un petit carton individualisé pour accompagner son envoi et vous souhaiter une agréable lecture. Et elle le fut !
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Masse Critique est très souvent l'occasion de découvrir un éditeur. Ce fut à nouveau mon cas, espérant, puis ayant reçu, Out of sight, livre de photographie et de poésie paru chez le bec en l'air.
Merci à eux.
Une très belle découverte était au rendez-vous.

Le livre d'abord. Bel objet, cartonné, couleur grise et format dans le sens de la hauteur. Une photo est collée en haut de la couverture, et le titre, en japonais et en anglais, est incrusté dans cette couverture. Première approche, en feuilletant rapidement, vous découvrez que les photos sont en couleurs, et vous repérez des kanjis. Les poèmes, en effet sont traduits en quatre langues. L'auteure, Yoko Tawada, écrit en allemand, et a traduit elle même les poèmes dans sa langue natale, le japonais, et ses fameux kanjis. Les éditeurs y ont ajouté une traduction anglaise et française. de même, en fin de volume, sont rassemblés des témoignages d'habitants (toujours en quatre langues).
Le soin apporté à l'édition du livre méritait plus que d'être signalé.

Titre en anglais, Out of sight, traduction littérale, hors de vues.
Sujet japonais, puisque le livre est consacré à Fukushima. 10 ans bientôt pour le 2011-3-11. Dans quelques semaines en effet, un triste anniversaire ; désolant. Dix ans après la triple catastrophe : tremblement de terre, tsunami et accident nucléaire – Colère nucléaire pour reprendre le titre d'un manga de Takashi Imashiro.

Plus rien n'est comme avant au Japon.
Pour les déplacés, les « évacués », celles et ceux qui ont quitté cette région dévastée et endeuillée, en sortant du périmètre d'évacuation défini.
Delphine Parodi, photographe installée au Japon de longue date, est allée à leur rencontre (ce travail ayant été exposé en 2014 à Berlin). Sur le site de l'éditeur on apprend que Yoko Tawada a à son tour rencontré ces mêmes personnes. Puis les deux artistes sont retournées dans le Tohoku, mais le plus souvent séparément. le livre propose 24 poèmes écrits par Y. Tawada. Chaque travail est présenté séparément. Un ensemble de photos puis un ensemble de poèmes, etc. jusqu'aux paroles des évacués rencontrés.

A l'exception de quatre photos, occupant chacune une double page quasi complète, le travail de Delphine Parodi se compose de dyptiques. Sur deux pages, un portrait dialogue avec un paysage, un morceau de nature. Mais si chacune de ces vues de nature baigne de lumière et de couleurs, on ne peut cesser de penser à ce qui est invisible : la radioactivité. Les portraits d'habitants se font sur leurs lieux de vie, des photos d'intérieur ou d'extérieur. Je ne me hasarderais pas à vous livrer une possible interprétation, chacun-e y verrait des correspondances différentes. Mais souvent, le regard se heurte au cadre, à une impasse. le désarroi n'est jamais loin. Si la perte matérielle est bien réelle, la perte d'un lieu de vie et des émotions qui s'y rattachent est encore plus forte. Les photos de ces habitants perdus sont extrêmement touchantes, d'autant qu'on est aussi décontenancé : la nature, elle, sait ce qu'elle doit faire, suivre son rythme, pousser, fleurir, grandir… Mais quelle confiance lui accorder ? Qu'offre-t-elle à son insu ? Sur une photo, les oiseaux noirs volent au-dessus des champs de sacs, lisses et noirs dont on a bâti « le mur de la sécurité »...

Plus rien ne peut être comme avant. Les disparus (« mon père qui était-il ? » s'interroge un enfant dans un poème en forme de comptine) ; le foyer perdu : « verrouillées et brisées, les fenêtres ternes », ou encore : « Moi, je vais bien, mais sur mon bien se dresse ma maison vide, depuis longtemps, longtemps » ; l'activité professionnelle arrêtée. le quotidien est détruit, et c'est par petites touches que Yoko Tawada nous dit cette perte, ce changement, l'adaptation forcée : les repas livrés, le poisson, la terre contaminée, « un bout de peau de monstre ». L'écrivain dit aussi l'eau contaminée, cette eau du robinet que jamais la fillette ne donnera aux fleurs dont elle prend soin : « aller chercher avec l'arrosoir l'eau du robinet, que j'évite, ce serait absurde » !

Plus rien ne sera comme avant.
La dernière série de poèmes est plus mordante et désabusée tel cet homme désoeuvré qui dilapide au pachinko les indemnités qu'il a reçues. Y. Tawada trouve avec le quotidien à dire la catastrophe : « le lait est blanc, mais pas innocent », dénonçant aussi la corruption, les politiciens.
Nous sommes face à ce qui reste, comme le supermarché Sunplaza, lieu de sociabilité, aujourd'hui désert : les herbes folles poussent devant ses vitrines, tout comme le salon de coiffure dont le « jour de fermeture n'en finit plus ».
Out of sight est un projet d'une grande finesse, témoignage artistique et sensible sur une catastrophe en cours... toujours...
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Je vivais dans un temple emblématique de la région, à environ 17 kilomètres au nord-ouest de la centrale nucléaire. C'était un lieu paisible à la nature abondante, où l'agriculture et la pêche prospéraient.
Beaucoup de familles vivaient sous le même toit à trois ou quatre générations et appréciaient l'histoire et la culture de leurs ancêtres. Dans cette ville a lieu le festival de Sôma Nomaoi, que l'on dit vieux de 1000 ans. En un instant, nous nous sommes retrouvés perdus dans une réalité dure et inacceptable.
Mais petit à petit, nous nous sommes relevés, nous avons fait face à la réalité et recommencé à marcher.
Nous réalisons vivre dans une époque de commodités, où nous sommes "à la fois victimes et agresseurs" ; nous le regrettons à présent.
Comment se sentir concernés non seulement par la question du nucléaire, mais aussi par celles, majeures, des catastrophes naturelles, du dérèglement climatique, des problèmes environnementaux, de la pollution marine, de la guerre, des réfugiés, de la sécurité alimentaire, des disparités économiques, ou encore de façon tout aussi importante de leurs conséquences psychologiques sur notre psyché ?
Nous devrions ne pas oublier de rester humbles, prendre le temps pour une réflexion juste.
Pour moi, le plus important est de s'arrêter et d'écouter la voix de la Terre.
Comprendre que nous en faisons partie, ainsi que de l'environnement.
Pour prendre l'exemple du pommier, chaque personne serait un fruit et la Terre, l'arbre. L'éveil de cette conscience est nécessaire pour découvrir notre vraie nature.
De même que la chenille se transforme en papillon, cet éveil amène à une transformation et une possible résolution de nos problèmes.
Aujourd'hui, demandons-nous comment vivre.
De la croissance à la maturité, laissons-nous faire partie du changement.

Tanaka Tokuun, Moine bouddhiste au temple Dôkeiji, ville de Minamisôma, département de Fukushima.
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"La centrale a toujours fait partie de nos vies, mais je n'avais jamais réfléchi aux conséquences d'habiter tout près. Je n'avais jamais pensé que ce que je considérais être une source d'emploi et de développement économique pour notre ville changerait irrémédiablement nos vies. J'ai décidé de travailler pour une ONG qui apporte son soutien psychologique aux évacués comme moi. Je veux être active, je refuse d'être une victime."

" On a dû quitter nos villes, abandonner nos maisons, laisser nos vies derrière nous. Mais les arbres sont restés. Ils ne savent pas que tout a été contaminé, mais ils savent quand ils doivent fleurir et quand perdre leurs feuilles, en suivant le cycle des saisons."

"Chaque printemps les cygnes revenaient, le lac en face de notre maison était sur leur route migratoire, vers le nord. Je leur avais donné un nom à chacun, ils me reconnaissaient. Ils volaient en cercle au-dessus de chez nous comme pour nous dire "au revoir, au printemps prochain !". On avait acheté notre maison à Namie trois ans avant le 11 mars, c'était toutes nos économies, maintenant c'est pour nous impossible de racheter une nouvelle maison."

Trois témoignages, parmi d'autres, d'habitants évacués de la zone d'exclusion autour de la centrale de Fukushima-Daiichi.
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L'eau a cinq secrets.
Sagesse liquide que le maître lui avait révélée dans une forêt.
L'enfant l'a gardée
dans son second cerveau derrière le quotidien fripé.
A la table rutilante près du lit d'infirmerie
il couche la cascade sur le papier.
Puisse l'eau se mettre en mouvement d'elle-même et mouvoir pierres et arbres.
Couler infatigablement et ne jamais s'arrêter. Si elle rencontre un obstacle, puisse
sa vitesse croître. Puisse l'eau être pure, purifier l'impur, unissant ainsi le pur
avec l'impur. Océans, vapeur, nuages, neige, brume, glace ou tsunami : puisse l'eau
prendre diverses formes, et toujours rester eau.
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Une fillette arrose ses ipomées
avec l'eau non gazeuse,
La terre glougloute dans le parterre mouillé.
Sa mère accourt à toute allure.
L'eau achetée, je n'en gaspille jamais !
L'enfant répond calmement :
Contaminé, le mot que j'ai entendu de toi.
Aller chercher avec l'arrosoir
l'eau du robinet, que j'évite, ce serait absurde,
alors que ma fleur me fait confiance.
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Depuis, les cerisiers fleurissaient comme jamais.
Les gens disparaissaient avec leur fierté.
Flore tombe à genoux,
Elle prie pour le silence qui fit fondre son cœur.
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