Une petite plongée dans
L Histoire vous dit ? L'histoire napoléonienne précisément.
Mais ne vous attendez pas à un récit conventionnel, c'est
Sylvain Tesson qui se propose de vous emmener.
Pour commémorer le bicentenaire de la retraite de Russie, l'écrivain-voyageur a eu envie de refaire la route suivie par l'armée française, désireux qu'il était de "faire offrande de ces quatre mille kilomètres aux soldats de Napoléon."
Voilà déjà un point de départ original, mais comme si cela ne suffisait pas, le voyage va se faire à bord d'une Oural, moto soviétique équipée d'un side-car. La photo de couverture montre le véhicule portant fièrement une copie de drapeau d'époque, et ce cliché qui prête à sourire, voire à rire, illustre bien le côté un peu fou de cette aventure.
Sylvain Tesson ne s'attend pas à une partie de plaisir (ce n'est certainement pas ce qu'il recherche) et prévient d'emblée : "Ça n'allait pas être le cauchemar de 1812, certes, mais ce serait plus sportif qu'un pique-nique en Toscane."
L'auteur s'est choisi des compagnons de route à son image : des originaux.
Les portraits qu'il en dresse sont savoureux et donnent le ton du livre. Je ne résiste pas au plaisir d'en copier quelques extraits :
"Gras, 30 ans, avait conservé des comportements infantiles. Il buvait trois litres de jus d'ananas par jour, nageait deux heures à la piscine, se nourrissait de chocolat, et ressemblait à un champion de hockey neurasthénique. Il vivait depuis huit ans dans l'ancien Empire soviétique, il avait appris le russe à Omsk, séjourné quatre ans à Vladivostok. Il aimait le silence et avait trouvé la Sibérie à la mesure de sa mélancolie. [...] Quand nous partions marcher dans la forêt ou que nous nous lancions dans l'ascension d'un sommet, il mettait un point d'honneur à ne pas emporter assez d'équipement. Il prenait la prévoyance pour une vulgarité. [...]
Goisque, lui, offrait un archétype plus terrien. Il n'aurait pas déparé dans une tranchée du Soissonnais. Il était picard, attaché à sa terre comme un soulier à la glaise. [...] Depuis vingt-cinq ans, il photographiait le monde pour la presse française. [...]
En reportage, Goisque n'avait qu'une obsession : la lumière. C'était sa passion, son obsession. Si le ciel avait été beau pendant la journée, il pouvait se coucher par terre, dans le froid, avec un os à ronger et un sourire de bienheureux. Mais, si la lumière foirait, le plus luxueux des hôtels et la plus amicale compagnie ne pouvaient le distraire de sa ratiocination. [...]
J'avais donc à mes côtés un dandy pessimiste et un monomaniaque du photon.
La fine équipe."
Dans le récit, la tragédie de la retraite napoléonienne et l'exubérance du périple moderne ne sont pas simplement juxtaposées, mais entremêlées, l'écrivain passant avec sa verve et son inventivité habituelles d'une époque à l'autre. Les réflexions de tous ordres fusent et le lecteur a l'impression de voir une pellicule photo d'antan qui aurait été exposée deux fois.
La faille spatio-temporelle est vertigineuse et l'ensemble du texte est jubilatoire.
Une savoureuse plongée dans
L Histoire, la culture et la fantaisie de
Sylvain Tesson en plus, faisant de ce livre à la fois cocasse et instructif un excellent cocktail.
Par exemple, connaissez-vous le rôle joué par les chevaux lors de cette désastreuse retraite ?
Eh bien, je ne vous en dirai rien, et vous invite à monter à votre tour dans le side-car : vous découvrirez tout.