Quand on parle de poison, on pense à ces empoisonneuses célèbres comme La Voisin ou Violette Nozières, ou encore la marâtre de Blanche-Neige, mais de cette Hélène Jegado surnommée
Fleur de Tonnerre par sa mère, je n'avais jamais entendu parler
Jean Teulé a l'art de mettre sous la lumière des personnages historiques tombés dans l'oubli. Avec
Fleur de Tonnerre, il nous plonge dans une Bretagne mystique et crédule du début du XIXe siècle.
L'enfance d'Hélène est bercée par les légendes bretonnes et surtout par la figure macabre de l'Ankou dont lui parle sans arrêt sa mère.
« Tu ignores donc,
Fleur de Tonnerre, qu'un bruit fortuit répété trois fois prédit un malheur ? Ignores-tu que c'est ainsi que fait l'Ankou ? Avant de charger le corps d'une victime dans sa charrette, il l'appelle trois fois d'une voix sépulcrale. »
Toutes ces croyances bretonnes mêlant le païen à la religion marquent profondément Hélène comme ces Poulpiquets qui vivent autour des menhirs, « ces vilains nains velus et noirs qui vous prennent par la main pour vous entraîner dans une danse folle jusqu'à ce que vous mouriez d'épuisement. »
Jean Teulé va saisir toute cette mystique bretonne, légendes, langue, rites païens, pour plonger son lecteur dans un récit onirique et horrifique. S'il nous promène pas mal dans ces landes et ces croyances, il ne perd pas de vue la véritable histoire de notre empoisonneuse en série.
Après avoir fait ses armes en empoisonnant sa mère, sa soeur et sa tante,
Fleur de Tonnerre poursuit son chemin sans jamais se séparer de son flacon d'arsenic. de Bubry à Ploemeur en passant par Locminé, Lorient et d'autres villes, partout, elle sèmera la mort. Comment me direz-vous ? Facile ! Elle se fait embaucher comme cuisinière, sachant vanter sa soupe d'herbes et son gâteau à l'angélique confite. Puis, une fois dans la place, elle se met aux fourneaux. Une fois la confiance installée, elle ajoute une dose d'arsenic au plat et envoi sans barguigner ses victimes ad patres. Tout va très vite, et les médecins qui, en ce temps-là, avaient peu de moyens d'investigation, mettent ces morts brutales sur le dos du choléra qui sévissait souvent et dont les symptômes ressemblaient étrangement à l'empoisonnement par arsenic.
Ce choléra, qui a bon dos, va cacher les meurtres de
Fleur de Tonnerre jusqu'à ce qu'un médecin plus suspicieux demande une autopsie du corps.
Démasquée, la cuisinière sera jugée et condamnée à la guillotine. Elle est jugée pour les crimes non prescrits mais en réalité elle en aurait commis plus d'une soixantaine. On peut s'en faire une idée grâce aux objets dérobés à ses victimes et qu'elle transforme en amulettes. Elle est tellement monstrueuse que son avocat plaidera dans ce sens
« C'est un fléau. Elle n'est plus un être humain. Pour nous autre qui le sommes, elle est insaisissable, dépasse l'entendement. »
Point de repentir pour
Fleur de Tonnerre qui finira par avouer cette terreur provoquée par l'Ankou :
« Je suis devenue l'Ankou pour surmonter mes angoisses. Et ensuite, je n'en avais plus puisque l'angoisse ce fut moi. »
De cette histoire glaçante,
Jean Teulé a tiré un récit truculent et savoureux en bouche. Les dialogues qui mélangent le breton et les expressions anachroniques, sont drolatiques. L'auteur a aussi truffé son histoire de personnages cocasses et hauts en couleur comme ces naufrageurs ou encore ces perruquiers normands qui battent la campagne pour acheter les cheveux. Leur rencontre de façon récurrente avec
Fleur de Tonnerre et leur malchance m'ont fait penser à ces pirates qui croisent Astérix et Obélix.
Tout en racontant un fait réel et historique,
Jean Teulé nous divertit avec ses digressions et son style bien à lui.
J'ai aimé cette lecture à la fois érudite et plaisante.