AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,31

sur 18 notes
5
6 avis
4
6 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis
Savoir cultiver son jardin intime même si les fleurs, de verre, se font dangereux et douloureux tessons…Coup de coeur pour ce livre moldave à mi-chemin entre le conte fantastique et le conte gothique, entre le roman noir et le roman historique!

La petite Lastotchka, moldave, est adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles, à Chișinău, en Moldavie. Adoption motivée davantage pour s'en servir et augmenter son butin que par charité et compassion semble-t-il de prime abord. Tamara fait en effet de la petite une ramasseuse de bouteilles comme elle, pouvant la seconder alors qu'elle vieillit. Ce n'est pas vraiment un métier mais pas rien non plus, une activité, sur l'échelle des activités « située en-dessous des postiers mais au-dessus des vendeurs de kvas ». Elles ramassent, inlassablement, les mains raides de froid, l'estomac retournée par la nausée au contact des bouteilles d'ivrognes nauséabondes, les échangeant ensuite comptant contre des sous sur un terrain vague, au fond d'une ravine. La fortune à partir de rien. Une vie en machine continue qui est source de coupures, de blessures à l'épaule tant la charge peut devenir lourde, de morsures du froid, de moqueries des autres enfants aussi, d'insultes de la part des ivrognes sur le dos desquels elles gagnent leur vie. C'est là que la petite fille a appris le russe entre les bouteilles et les ivrognes, le russe prenant le dessus sur le moldave, les langues se mêlant, bilinguisme source d'hésitations, de compromis. Par ailleurs, leur tâche ne se limite pas à faire la collecte des bouteilles, il faut aussi les laver pour qu'elles soient plus chères et ce n'est pas une mince affaire…elle a toujours les épaules pleines de pus et les mains bouillantes ou coupées…

« La première année, les bandes de savon sortaient rouges, mélangées aux morceaux de doigts. Mais avec le temps, j'ai appris à ne plus me tromper, à ne pas poser de questions, et surtout, à répondre comme il fallait.

Tiraillée entre la reconnaissance que Lastotchka doit à Tamara de l'avoir sorti de l'orphelinat, la colère qu'elle ressent aussi pour l'exploitation qu'elle fait d'elle, pour ses méthodes éducatives très sévères et uniquement guidées par l'appât du gain - « Son coeur réclamait de l'or ; le mien des étoiles » - et par ailleurs la haine vouée à ses parents biologiques à qui elle destine ce récit, la petite fille décrit sa vie, son ressenti, son monde, ainsi que l'histoire de ce territoire. C'est une vie faite de bric et de broc, une vie qui m'a fait penser par moment à la vie des enfants dans les bidonvilles où la débrouille, les vols et autres combines, les dangers que courent surtout les petites filles face aux hommes, et l'insécurité les fait grandir plus vite.

« Peut-être, en me jetant dans la fosse, comme vous l'auriez fait d'un déchet, avez-vous pu voler dans la vie, comme vous l'avez rêvé : haut, libre. Peut-être, peut-être, peut-être. Pendant toutes ces années, ce qui m'a perturbé le plus, c'est de penser que vous avez bien fait de m'abandonner. Que cela valait le coup. Même le mensonge, vous n'avez pas su le choisir comme des humains. Vous avez été des chiens, du début à la fin. Et vous avez voulu que je sois une chienne, moi aussi. A Bucarest, il neige sans discontinuer, et dans ma tête les langues s'embrouillent et m'engourdissent le cerveau. Dans quelle langue dois-je vous chercher ? Dans quelle langue puis-je vous pardonner ? ».

Elles habitent un immeuble vétuste disposant d'une cour défoncée dans lequel vivent des personnages haut en couleur, marginaux, pauvres, qui marqueront son enfance. La description qu'elle fait, soit à hauteur d'enfant, soit une fois adulte lorsqu'elle ressasse ses souvenirs, de cette communauté cosmopolite est emplie d'humanité. C'est par moment très touchant.

« Nous nous sommes demandé plus d'une fois, à la suite de quel naufrage nous nous étions retrouvés, au petit bonheur, ici. Moldave, Ukrainiens, Juifs, Russes. Militaires démobilisés. Braves femmes seules. Hommes en pleine force mais dont personne ne voulait. Et il y avait moi. Gosse effrayée et seule qui, à l'instar des oiseaux, a entrepris de construire son nid avec des saletés et des restes. Ils m'appelaient tous Lastotchka (« hirondelle ») et il n'y avait aucun couteau au monde qui puisse décoller ce nom de moi ».

Leur activité de ramasseuses de bouteilles va un peu diminuer pour Lastchocka lorsqu'elle va rentrer à l'école puis s'arrêter pour toutes deux, suite à la « période sèche » mise en place par Gorbatchev durant la Pérestroïka, réglementant strictement la consommation d'alcool. Intéressante la manière d'aborder l'histoire de ce territoire et de voir comment la grande Histoire a des conséquences directes sur les petites histoires de ces pauvres hères. Il faut dire que la Moldavie a été quelque peu tiraillée, héritière de deux histoires, celle de l'ancienne Principauté de Moldavie fondée au 13ème siècle et dont le passé local est aussi celui de la Roumanie et celle de la République socialiste soviétique moldave dont le passé est soviétique. Chacune de ces histoires a laissé dans le pays des populations et des identités, dont les aspirations et les cultures n'ont pas encore trouvé de compromis pleinement satisfaisant pour toutes les parties et ce tiraillement se sent vraiment dans le récit, cette petite fille se considère moldave par les racines mais elle tombe totalement peu à peu sous le charme de l'âme russe, de sa langue notamment, tiraillement joliment mis en valeur. On vit dans ce récit l'arrivée de Gorbatchev alors que la Moldavie fait encore partie des Etats membres de l'Urss puis son indépendance, on entrevoit la catastrophe de Tchernobyl, le tremblement de terre venant de Roumanie…

La poésie est omniprésente, renforcée par le fait d'avoir un récit à hauteur d'enfant. de ces bouteilles qui envahissent leur logement, leur bras, leur esprit sans relâche, l'enfant en fait un jardin : lorsqu'elle est seule, ce qui est rare, elle ouvre largement la porte afin de faire entrer la lumière. Alors les bouteilles se mettent à vivre. Leurs couleurs simples se mêlent et en produisent d'autres, plus surprenantes :

« un rang couleur cerise, un rang blanc : rose
Un rang couleur brique, un rang marron : couleur miel
Un rang vert, un rang blanc : couleur turquoise.
Les blanches seules : couleur argent.
Mon jardin de verre »


Roman sur les traumatismes de l'enfance, sur la douleur de l'abandon, sur l'absence de douceur maternelle, sur la quête d'identité dans un environnement, qui plus est, multiculturel, « le jardin de verre » de Tatiana Tibuleac, auteure moldave mais qui a écrit ce livre en roumain, m'a marquée par sa poésie, sa dureté, sa cruauté par moment, étant narré tantôt par une enfant, tantôt par l'enfant devenue adulte, une coriace fleur de bunker, une fleur toute fissurée cependant, qui semble certes aller bien, réussir même (elle va devenir gynécologue) mais brisée à l'intérieur à l'image de ce jouet rêvé, ce kaléidoscope, ramassé – à quel prix - sous les roues d'une voiture…des tessons provoquant des cicatrices qui ne se referment jamais.


Commenter  J’apprécie          9323

Dans nos bibliothèques et librairies les oeuvres d'auteur-e-s de la lointaine Moldavie sont rarissimes et devraient donc susciter notre curiosité. Ce livre répond à ce souci avec succès, puisqu'il a obtenu l'année dernière le prix de l'Union européenne de littérature. Ce prix a le considérable avantage de stimuler des traductions de livres qui autrement, à cause de la langue dans laquelle ils ont été écrits et publiés, resteraient probablement inconnus en dehors de leur pays d'origine, comme "Le jardin de verre" publié en Moldavie et rédigé en Roumain.

Pour cette dernière langue, nous avons sur Babelio le grand privilège de bénéficier parmi nous de la grande expertise de "Tandarica" ou de Gabrielle Danoux, de son vrai nom et qui très souvent nous offre des critiques, toujours intéressantes, de livres qui nous auraient autrement échappé.

Tatiana Tibuleac est née en 1978 à Chisinau, la capitale de la Moldavie, où à l'université d'État elle a été diplômée en journalisme et communications. Elle a démarré sa carrière littéraire en 2014 avec un recueil de nouvelles "Fabule moderne" qui n'a pas encore été traduit en Français (mais dont le titre ne nécessite pour nous guère de traduction). Trois ans plus tard a suivi "L'été où maman a eu les yeux verts" qui a été traduit dans de nombreuses langues et en 2019 donc ce roman-ci.

Un bref mot sur le pays : la Moldavie a une superficie comparable à la Belgique, mais nettement moins d'habitants 3,5 millions. Jusqu'en 1991 la Moldavie a été une république soviétique que de nombreux Moldaves ont fui pour chercher leur bonheur plus à l'ouest. C'est un des pays les plus pauvres d'Europe, ce qui explique peut-être l'influence importante actuellement des slavophiles. Au musée national à Chisinau, la louve romaine a été dérobée en tant que symbole latin. Les voisins ukrainiens y vont faire leurs courses à cause du niveau très bas des prix. le sinistre président Igor Dodon veut dénoncer l'accord avec l'UE pour le remplacer par une union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan ! Dodon est bien sûr une marionnette de Poutine, qui pratique son jeu habituel avec ses voisins !

Le début du roman surprend le lecteur non averti, à cause de l'environnement, Chisinau ne ressemble en rien à Paris, Marseille, Lyon ou Bruxelles et à cause de l'héroïne qui n'a que 7 ans et voit cet environnement avec des yeux de gosse de là-bas, ce qui pour le lecteur occidental ne simplifie nullement les données.

En plus, il y a plein de mots et d'expressions russes, qui bien que très soigneusement expliqués en notes de bas de pages ne contribue pas exactement à faciliter non plus la compréhension.

L'imagination, le style et le langage de Tatiana Tibuleac sont cependant tellement riches et poétiques que l'on prend volontiers ces petits inconvénients en patience,

La petite gamine de 7 ans, surnommée Lastotchka, Russe pour hirondelle, se trouve, tout au début du recit, adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, qui gagne sa vie comme ramasseuse de bouteilles de verres. Cette occupation plutôt insolite ne l'empêche aucunement de prendre soin de notre Lastotchka.

Pavlovna veux que notre petite hirondelle apprenne pour son avenir le Russe, mais la môme préfère son Moldave. le Modave et le Roumain est en fait la même langue, mais était jusqu'en 1989 écrit en lettres cyrilliques. J'ignore si Tamara Pavlovna est slavophile comme son triste président ou si elle estime que ses possibilités professionnelles seront beaucoup plus larges si la gosse maîtrise la langue de Pouchkine et Dostoïevski.

D'où elles habitent, en haut de leur immeuble, elles ont à travers la fenêtre une vue panoramique de la grande cour où vivent les autres locataires. C'est cette réalité qui explique le titre du roman : "Le jardin de verre".
Et dans ce jardin habite une communauté colorée : il y a Zakhar Antonovitch avec sa seule main toujours appuyée sur sa médaille de guerre, mais c'est un amour de vieillard qui a toujours des bonbons dans ses poches. Il y a Chourotchka que tout le monde aime et qui aime tout le monde. Et l'auteure de conclure : "La cour de tout immeuble a besoin de quelqu'un pour aimer le cheptel qui l'habite."

Après ce long confinement, Tatiana Tibuleac vous invite à un dépaysement peut-être pas excessivement exotique, mais ... spécial et littéraire !
Commenter  J’apprécie          717
L'invasion de l'Ukraine a sorti de l'ombre sa voisine la Moldavie, ainsi que la Transnistrie sa région séparatiste pro-russe.
Qu'ont été ici les années Gorbatchev, la perestroïka et la glasnost, puis l'éclatement de l'URSS et l'heure de l'indépendance ?
Nous sommes à Chișinău pendant ces années-là.
Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles, "achète" pour l'aider une enfant à l'orphelinat : Lastotchka, l'hirondelle. Tamara est avare d'affection, mais veut du bien à cette enfant, elle a de l'ambition pour elle.
C'est la voix de Lastotchka qui raconte.
C'est l'écriture délicate d'une petite fille qui observe, qui s'interroge ("Pourquoi tu m'as choisie moi ?")
C'est le petit monde de cette cour de Chișinău, les voisins et voisines qui ont leur propre histoire, illustrant toutes les facettes des violences sexistes, des horreurs de la guerre, des espoirs d'avenir.
C'est l'affirmation d'une culture nationale, avec la langue moldave que parle Lastotchka, et son apprentissage difficile du russe qu'elle aime, mais qui devient le symbole de l'oppression.
C'est également un tour de force du traducteur Philippe Loubière, qui a fait des choix judicieux et a réduit au minimum les notes en bas de page, indispensables toutefois pour bien saisir le conflit entre les langues.

Challenge ABC 2023-2024
Challenge Globe-trotter (Moldavie)
Commenter  J’apprécie          344
J'ai eu envie de faire connaissance avec Tatiana Tibuleac, attirée par la magnifique peinture de Lulia Schiopu mais aussi pour découvrir un peu la littérature moldave. Je ne le regrette pas car c'est un très beau livre mais dont je suis certaine de n'avoir pas été capable de tout percevoir. le style d'écriture m'a parfois déroutée car il n'y a pas de linéarité, la narratrice parle parfois en tant qu'enfant,puis adulte. S'adresse à ses parents inconnus ou est dans l'introspection. Mais j'ai aussi parfois été émerveillée par sa poésie. L'histoire nous raconte la quête identitaire de cette petite fille abandonnée par ses parents et recueillie par Pavlona,une femme dure qui va l'entraîner avec elle au ramassage de bouteilles de verre afin d'amasser " des sous" pour plus tard. Ce besoin d'accumuler en vivant chichement est une obsession. le bonheur n'est pas permis au présent,il doit d'amasser pour un jour être vu, étalé et englouti avec ostentation. La folie finit par habiter entièrement cette femme. le parcours de Lastotchka est constitué de souffrance. le récit n'en délivre que des indices,des morceaux dans le désordre, comme des éclats de verre. La quête identitaire de cette enfant est en miroir de celle du pays et je n'ai pas tout saisi du contexte géo politique de cette époque qui imprègne profondément l'histoire. J'ai porté la lourdeur,la honte,la culpabilité de Lastotchka tout au long de ma lecture comme un poid mort,car il n'y a pas de tendresse,pas d'amour,pas de lumière,juste de la solitude et de la souffrance. Tous les conflits intérieurs de Lastotchka se traduisent par sa lutte perpétuelle avec la langue qui lui est permise d'utiliser au gré des mutations sociales et politiques,sa langue maternelle,le russe, le roumain....un livre qui marque par sa profondeur . Je pense que la traduction a dû être un exercice très complexe !
Commenter  J’apprécie          272
Des bouteilles de verre de couleurs différentes forment un arc-en-ciel.
Mais il faut bien les récurer les bouteilles parce que la ramasseuse les ramasse dans la rue ou dans les poubelles mais les bouteilles des poubelles sont plus belles une fois lavées et on peut les revendre et convertir les déchets de verre en argent ... le jardin de verre de l'orpheline se forme dans ce quartier sordide de Moldavie à partir de ces bouteilles accumulées, stockées au fur et à mesure ... Et le verre se brise, parfois, et la blesse ... Mais des tessons de bouteille, elle en fait des composants pour son kaléidoscope ... Et les éclats de verre attirent sur elle la lumière ... Et l'orpheline en a besoin de lumière pour s'épanouir, elle qui moisit dans l'humidité, le froid, dans la nuit ... Car elle voit le monde à travers un hublot, à travers une fenêtre, l'orpheline, car la souffrance, la honte, l'ont comme retranchée du monde ... Et elle se retrouve comme la peinture de la couverture de ce livre, elle se retrouve comme une bouteille vide ... comme une fillette maladive, chétive, fragile, comme une enfant qui serait atteinte de la maladie des os de verre ... Oui, c'est un récit de misères et de petits bonheurs, aussi, de malheurs qui se convertissent par le miracle de l'écriture fragmentée, par cette écriture si particulière en éclats de verre.
Commenter  J’apprécie          110
Lastotchka est seule, seule dans un monde réduit aux grilles de l'orphelinat de Moldavie qui est son foyer, si l'on peut appeler ce lieu ainsi. Maltraitance, pénurie, la vie est une épreuve quotidienne.

Sa vie change lorsqu'elle est adoptée par Tamara Pavlovna, une ramasseuse de bouteille.

Pour autant pas d'effusion de tendresse au programme. Une vie toute aussi rude l'attend, à récupérer des bouteilles vides, les récurer à l'eau bouillante. Apprendre le russe. À la dure. Tamara souhaite que sa Lastotchka ait une belle vie, sans soucis d'argent et si pour y arriver elle doit la cogner, elle le fera.

Autour d'elles deux, c'est tout un microcosme qui s'organise autour de la cour de leur immeuble. Ancien soldat, femme « légère », famille… les saisons s'égrènent et notre petite héroïne grandit.

Les années défilent, pourtant le vide intérieur de Lastotchka ne se comble pas.

Comment grandir avec un vide de parents, sans savoir si l'on a été abandonné par choix ou par nécessité.

Comment devenir mère lorsque l'on se sent seule et méchante ? Lorsqu'en prime le père de l'enfant est parti – ne supportant pas la maladie incurable du nouveau-né ?

Autant de questions qui tourmentent la jeune puis la moins jeune Lastotchka…

Ce roman est un immense coup de coeur pour moi, par son histoire mais aussi par le style, si magnifique de Tatiana Tibuleac.

Sa plume demande des efforts, les chapitres se succèdent, plutôt brefs, sans forcément de contexte, parfois avec des sauts dans le temps, sans forcément d'explications et portant il ressort une beauté âpre de ces pages.

Moi qui dévore les romans, je me suis obligée à une autre temporalité avec celui-ci, pour en savourer les pages et prendre le temps de comprendre ce que voulait nous dire l'autrice.

Ce roman interroge la maternité, l'amour, deux thèmes si chers à la littérature, mais pas seulement. Tatiana Tibuleac interroge la langue, la langue maternelle et celle que l'on doit adopter, les liens qui nous unissent à elles, qui retranscrivent également, dans le cadre de la Moldavie, une réalité politique complexe.

En bref, un coup de coeur pour ce roman magnifique et son héroïne si touchante dans ses doutes et ses échecs, vous l'aurez compris, je vous le conseille !
Commenter  J’apprécie          90
Roman recommandé par une de mes bibliothécaires, j'ai de suite été séduite par la première de couverture.

Cette image reflète assez bien ce qu'est Lastotchka, la partie supérieure du corps qui "fonctionne", et la partie inférieure qu'elle tente d'oublier, salie à plus d'une reprise.

Il m'a été parfois difficile de suivre le cheminement de l'auteure, qui passe d'un présent à un passé, mais souvent ceci explique cela.

Lastotchka, partagée entre deux langues, si pas trois, qui cherche son identité, qui oscille entre toutes.
Ce roman inclut beaucoup de phrases en russe, et étant russe à l'origine, je me suis plue à retrouver certaines expressions !
La recherche d'identité est pour ma part la trame de ce livre. Comment intégrer une culture différente de la nôtre, comment survivre ou vivre ?

Bref, un livre empreint de beaucoup de poésie, d'âme slave et qui m'a laissé "scotchée" du début à la fin.
Commenter  J’apprécie          70
Après la lecture de "L'été où maman a eu les yeux verts", relire Tatiana Ţîbuleac était une évidence. "Le jardin de verre" est aussi une histoire d'enfance fracassée, douloureuse.
Lastochka, la narratrice, revient sur les années vécues aux côtés de Tamara Pavlova qui en l'adoptant l'a sortie de l'orphelinat. Elle a alors sept ans, est éblouie par sa nouvelle vie, éperdue de reconnaissance envers sa sauveuse. Mais elle déchante vite, ou du moins relativise (il n'y a sans doute pas pire que l'orphelinat). Si Tamara l'a "achetée", comme elle l'apprendra par la suite, c'est parce que prenant de l'âge elle a besoin de main-d'oeuvre pour l'assister dans sa dure besogne de "bouteilleuse". Lastochka passe ainsi une grande partie de son enfance à ramasser des bouteilles dans une ravine, à vaincre la nausée provoquée par les odeurs de vomi, à supporter les ampoules aux pieds, les plaies à l'épaule, les brûlures aux mains provoquées par le nettoyage à l'eau bouillante de leurs collectes. Une enfance à compter sa petite monnaie sous la houlette d'une tutrice obsédée par l'argent. Car Tamara a des ambitions pour sa protégée, construisant avec le moindre kopeck l'empire qui un jour deviendra le sien. Il faut s'élever, même si c'est au prix d'un labeur dégradant, usant.

Cela passe d'abord par l'apprentissage du russe, qu'elle s'efforce de faire rentrer dans la tête d'une Lastochka rétive, dont les oreilles et la bouche sont en lutte perpétuelle, la bouche gagnant rarement. La petite se raccroche au moldave, par un inconscient besoin de révolte, traquant sans doute dans sa langue maternelle les traces d'une identité morcelée, à l'image de ce petit pays parmi les plus pauvres d'Europe, culturellement très proche de la Roumanie mais dont l'identité a été profondément malmenée, et constituant au début du roman l'une des quinze Républiques Soviétiques.

Les épisodes se succèdent, convoquant les souvenirs au fil d'une narration spontanée, faisant surgir tout un univers, celui d'un immeuble où, comme dans une cour des miracles, se sont retrouvés là au petit bonheur, à la suite d'on ne sait quel naufrage, Moldaves, Ukrainiens, Juifs, Russes, militaires démobilisés, braves femmes seules, jeunes et vieux, partageant un destin de misère et de débrouille entre entraide et conflits, formant une communauté animée et haute en couleurs. On retiendra notamment les figures de Zakhar Antonovitch, le vieil invalide de guerre veillant à toujours avoir des bonbons dans sa poche pour les enfants du quartier, Chourotchka et ses jambes éléphantesques, se faisant l'écho du monde sans quasiment mettre les pieds hors de chez elle, Pavlik l'enfant borgne, dont l'oeil droit a été arraché par d'autres enfants avec une pique, Marina, qui malgré la violence des coups maternels n'en fait jamais qu'à sa tête... et tant d'autres.

Et parmi eux Lastochka, "l'hirondelle", gosse effrayée et seule, portée à la fois par une profonde mésestime d'elle-même et un puissant instinct de survie, qui entreprend de construire son nid avec des saletés et des restes, fait le rude apprentissage du monde, et s'y adapte finalement, troquant l'innocence contre le pragmatisme, les rêves contre la dureté, s'interrogeant sur la difficulté en tant que fille, à acquérir son intégrité. En quête inconsciente d'une improbable beauté dans ce sordide environnement, elle parvient toutefois à débusquer quelque lumière, quelque joie, au cours des longs étés qui jette les habitants dans la cour de l'immeuble, dans le spectacle du châtaignier en fleurs, les jets d'eau, les cornets de glace, le jus de bouleau… A l'école -moldave, la fillette a obtenu au moins sur ce point gain de cause-, elle est la première de sa classe, et souscrit aux espoirs d'élévation sociale de Tamara Pavlova : elle sera docteur sinon rien…

L'ensemble reste pourtant baigné d'une profonde désespérance, alimentée par la détresse fondamentale de l'abandon et l'horreur d'actes de violence -abus sur les stigmates desquels les adultes détournent les yeux-, souvent évoqués de manière allusive, laissant l'imagination et la sensibilité du lecteur se dépêtrer avec les images ainsi convoquées. Et le présent, dont nous sont parcimonieusement livrées quelques bribes, n'apporte ni salut ni réparation. Bien que devenue chef de service dans un hôpital de Bucarest, Lastockha est poursuivie par le malheur, mère d'une fillette atteinte -tragique ironie du sort- de la maladie des os de verre. le besoin même qu'a la narratrice de dérouler son passé à l'attention de ces parents (désignés par un "vous" rhétorique) auxquels elle n'a jamais pardonné leur défection, révèle son incapacité à faire le deuil de son enfance brisée, de son innocence.

Cette fois encore, l'écriture de Tatiana Ţîbuleac donne à son texte une intensité et une singularité qui frappent le lecteur, en même temps que les sinuosités qu'emprunte la narration maintiennent sa curiosité en éveil.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
Commenter  J’apprécie          60
Lastotchka a sept ans lorsque Tamara, une femme russe ambitieuse, décide d'adopter la fillette moldave. D'un orphelinat où elle connait la violence et la misère, l'enfant devient alors ramasseuse de bouteilles vides pour quelques sous. Davantage exploitée qu'aimée, les épaules lacérées par le poids de sa tâche, Lastotchka tente de se construire entre deux langues, deux cultures et sans parents.

Une enfance rude, sans une once de tendresse,  mais entourée par les habitants de son quartier que l'on découvre tour à tour au gré de ces bribes éparses que nous conte Lastotchka.

«Je me serais collée à une lame de rasoir, si elle m'avait fait des caresses et jeté du pain. Derrière cette porte étroite et sale, un monde s'est ouvert devant moi. Je l'ai franchie sans y penser, avec la peur d'un enfant qui n'a vécu, jusqu'à présent, que de restes.»

J'ai été décontenancée au départ par les premières pages de ce récit, par ces multiples fragments aux temporalités difficiles à démêler. Mais, très vite, le flot des mots de la romancière moldave m'a transportée dans les rues de Chisinau et je me suis retrouvée happée par l'histoire douloureuse de cette enfant qui grandit seule, sans amour, par cette existence jonchée de questions, d'épreuves et de souffrances.

La plume se démarque par son authenticité, sa poésie, sa richesse.  Un roman noir, âpre, difficile à lâcher, avec une toile de fond politique et historique passionnante alors que la Moldavie est encore sous le joug soviétique.

C'est terriblement sombre, triste mais incroyablement beau. Une lecture forte, envoûtante, cruelle et troublante.
Lien : https://mesechappeeslivresqu..
Commenter  J’apprécie          60
Un roman sur l'identité, prise dans un sens très large. le contexte moldave y ajoute une dimension supplémentaire très forte : la langue, si importante pour se penser et s'exprimer, et en même temps si déstabilisante quand, comme pour l'héroïne Lastotchka, il faut en changer et vivre entre deux étiquettes linguistiques.

Chronique entière à retrouver sur mon blog...
Lien : https://passagealest.wordpre..
Commenter  J’apprécie          60




Lecteurs (86) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3180 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}