La Guerre et la Paix, tome 1

"(...) Ce n'est pas aux hommes de juger de ce qui est juste ou injuste. De toute éternité, les hommes ont été dans l'erreur à ce sujet et ils continueront de l'être, et c'est dans ce qu'ils considèrent comme juste et injuste qu'ils le sont le plus. Il faut seulement vivre en sorte qu'il n'y ait pas de repentir. Joseph de Maistre a dit vrai en écrivant : "Il n'est dans la vie que deux maux bien réels : c'est le remord et la maladie. Il n'est de bien que l'absence de ces maux." "

C'était l'une de ces premières journées chaudes d'avril où tout pousse si vite que l'on craint que ne disparaisse trop tôt cette joie printanière.

"Que suis-je, qu'est-ce que la vie, qu'est-ce que la mort, quelle force gouverne toute chose ?" se demandait-il. Et une réponse unique et illogique à toutes ces questions le satisfaisait : "la sérénité n'est possible que dans la mort". Il percevait tout en lui même et autour de lui dans le monde entier de façon si embrouillée, si insensée et si laide qu'il avait peur d'une seule chose : qu'on ne l'attire à nouveau dans la vie, qu'on ne le fasse sortir de ce mépris universel, le seul état où il trouvait une sérénité provisoire.

(...) et soudain quelque chose s'affaissa dans tout son corps (c'était le bonheur, l'intérêt, l'amour de la vie ; à l'instant, plus rien de tout cela n'exista), ses yeux se voilèrent.

(...) avec cette allure particulière de lassitude extrêmement polie qui signifiait clairement que, n'eût été son devoir, n'est-ce pas, jamais il ne vous aurait adressé la parole (...)

Elle n'avait besoin de personne, et c'est pourquoi il sentait qu'il ne pouvait vivre sans elle. Les ténèbres tremblantes lui dissimulèrent impitoyablement son image, il se mit à pleurer dans son rêve sur l'impossibilité d'être avec elle. Il pleurait sur ce bonheur passé et sans retour, sur l'impossibilité d'un bonheur futur, mais dans ces larmes, il y avait déjà le bonheur du moment présent.

Il n’y a pas et ne peut y avoir de cause d’évènement historique en dehors de l’unique cause de toutes les causes.

En considérant l’histoire d’un point de vue général, nous sommes persuadés que les évènements sont régis par une loi éternelle ; mais les considérons-nous de notre point de vue personnel, nous sommes convaincus du contraire.

La responsabilité apparaît plus ou moins grande selon la plus ou moins grande connaissance des conditions dans lesquelles se trouvait l’homme dont l’action est jugée, selon le plus ou moins grand laps de temps écoulé entre l’acte et son jugement, et selon la plus ou moins grande compréhension des causes de l’acte.

Quelle est la cause des évènements historiques ? Le pouvoir. Qu’est-ce que le pouvoir ? Le pouvoir est l’ensemble des volontés transférées sur une personne. A quelles conditions la volonté des masses est-elle transférée sur une personne ? A la condition que cette personne exprime la volonté de tous les hommes. Autrement dit, le pouvoir est le pouvoir. Autrement dit, le pouvoir est un mot dont le sens nous est incompréhensible.