« Je suis allé à la ville de Bruxelles / Demander un logement social / Ils m'ont donné leur parole / Et depuis j'habite la parole… » Ainsi commence le nouveau recueil de
Tomislav Dretar. L'auteur interrompt la reconstitution de son oeuvre éparpillée durant la guerre en Bosnie pour nous offrir ces poèmes écrits dans un Bruxelles qui, de lieu d'exil, devient sa deuxième patrie. le demandeur d'asile émargeant au CPAS, l'ex-professeur à l'université de Bihać devenu technicien de surface à Louvain-la-Neuve, arpente sa nouvelle ville et sa nouvelle vie, observe avec reconnaissance, perplexité, angoisse parfois (« Je verse des larmes sur mon pauvre Bruxelles, / Mais elle n'en verse plus sur moi, / Elle m'a envoyé une convocation / Grosse de l'éternelle angoisse / Qu'à l'heure dite au guichet je recevrai / L'ordre d'expulsion des personnes / Sans permis de séjour en règle ») Il s'étonne comme un faux Candide, s'amuse quelquefois (« le vicomte
Christian de Duve
dans La poussière de la vie / N'a trouvé que des bactéries
/ Et une pelisse en chinchilla pour sa femme / Lors d'une merveilleuse journée à Stockolm / À voir la lumière polaire se réveiller très loin / de l'existence de Dieu… »). Il philosophe, cultive l'autodérision (« le 2 mars chaussée de Boondael / le soleil avait les dents coupantes et l'oeil inquisiteur / Pour fixer sans pitié mon gargouillant estomac / Et fouiller ma poche en quête d'une thune et de deux trous. // le froid claquait des dents entre la caserne / de gendarmerie et mon cher CPAS / En ce jour où travaillant au noir j'avais accompli l'exploit / de mener à terme cinquante années d'une vie tortueuse… »). Et il refoule sa nostalgie en lisant en catimini « le Pain quotidien » de
William Cliff.
Chaleureux, drôle, émouvant.