L'Histoire de Lapin Tur, suivi de l'histoire de la couleur

Lapin Tur est un petit lapin accommodant : il cherche toujours à plaire à tout le monde. Mais à force d'être consensuel, il finit par perdre en identité et en substance, ce qui n'est pas un gage de longévité. « Personne n'osant y toucher, depuis ce jour, Lapin Tur pend tristement au salon. Cela ne dérange pas Monsieur, mais Madame pense, vraiment, que Lapin Tur serait mieux dans l'entrée ou, à la rigueur, dans la salle à manger. » (p. 13)

Tout cela vous paraît très bizarre ? Si je vous dis que Lapin Tur coule, que Lapin Tur sent mauvais, que Lapin Tur à l'eau, c'est mieux que Lapin Tur à l'huile ou que Lapin Tur n'est pas sèche, c'est plus clair ? Avec ce texte fulgurant et d'une brièveté étonnante, Niele Toroni nous parle d'art. Ici, le lapin n'est pas une nature morte, mais plutôt l'accessoire d'un magicien des mots et de la théorie esthétique.

Suivi par L'histoire de la couleur. Texte de Georg Simmel.

Le Grülp est une couleur indéterminée, pas vraiment appréciée du reste du spectre et des palettes. Il se sent un peu seul, ce pauvre Grülp. « Quand il fut en âge de courir le monde, le Grülp vagabonda à la recherche de sa complémentaire. » (p. 18) Il rencontre le magicien Colorum et le peintre Clixorin. Chaque fois qu'il pense trouver sa place, il est confronté à sa propre inexistence. Pas de chance, Grülp, pas de place pour toi dans l'arc-en-ciel.

Absurde et loufoque, ce texte très court répond intelligemment au précédent en évoquant la vanité de l'art, mais surtout la vanité d'y chercher un sens ou de vouloir coller des étiquettes sur toutes les expressions artistiques.

2,80€, c'est pas cher : c'est tout à l'honneur d'Allia Éditions de publier ce genre de petits livres pour cultiver des têtes blondes comme moi (quand bien même bizarrement d'autres dans cette collection en font 8). Oui, mais.
Curieusement, même pour un prix pareil, on a l'impression d'avoir quelque chose d'extrêmement court, quitte à rester sur notre faim. Et de fait, l'histoire du Lapin Tur en question ne dure que cinq pages. Certes, plus long, elle aurait été lassante, car reposant sur une série de calembours. Niele Toroni parvient en-dehors de ça à nous délivrer son histoire loufoque, métaphore d'un art souvent pris de haut ou tourné en dérision, et qui s'avère à mon humble avis plus intéressant que sa carrière à BMPT (que j'ai tendance à raccrocher au mouvement fumiste...).
Bien évidemment, il faut en rajouter un peu pour que le livre ne se retrouve pas avec les dimensions d'un prospectus. "Histoire de la couleur" fait donc six pages et se voit greffée à sa suite, là aussi un conte léger et cette fois ouvertement enfantin. Reste qu'une fois l'amusement passé, il est dur d'y trouver un sens, quand bien même celui-ci serait qu'il n'y en aurait pas. La seconde moitié du livre est remplie par un catalogue volumineux des autres titres de la collection, qui, mieux garnis, s'en sont passés ; il s'avère cela dit extrêmement éclectique et rempli d'auteurs aux réflexions fouillées et stylisées... reste que des fois celui-ci coupe en plein milieu d'une phrase.
Bref, pas une déception, mais plutôt un espoir que les autres titres fassent mieux. Et quand on sait que la collection héberge aussi entre autres "Guerre aux démolisseurs", on ne risque pas de se faire de mouron...