Nous pensons avoir ainsi montré que l’intuition artistique, pas plus que l’entendement connaissant, ne renvoie à une « chose en soi », mais qu’au contraire elle peut être assurée, comme l’entendement, de la validité de ses résultats, dans la mesure où précisément c’est elle-même qui détermine les lois de son univers, ce qui signifie en général qu’elle n’a pas d’autres objets que ceux qui tout d’abord ont été constitués par elle. Nous devrons dès lors considérer comme relevant d’une « antinomie dialectique » l’opposition de l’ « Idéalisme » et du « Naturalisme », telle qu’elle a dominé toute la philosophie de l’art jusqu’à la fin du XIXe siècle et telle qu’elle s’est prolongée sous divers déguisements (Expressionnisme et Impressionnisme, abstraction et inspiration) jusqu’en plein XXe siècle. Mais nous pourrons aussi comprendre, à partir de là, le fait que cette opposition ait suscité une si longue agitation dans les théories de l’art et qu’elle ait contraint à chercher des solutions toujours nouvelles et plus ou moins contradictoires. L’approche historique ne devra donc pas non plus tenir pour dépourvue de valeur l’entreprise qui consiste à reconnaître les solutions dans toute leur diversité et à les comprendre par référence à leurs présupposés historiques, puisque la philosophie a reconnu que le problème qui est au fondement de ces solutions est un problème qui, par sa nature même, se refuse à toute solution.
C'est ce qui permet de comprendre aussi en quoi s'accordaient à l'idéal platonicien les oeuvres des peintres et des sculpteurs égyptiens, qui non seulement semblaient bien s'être immuablement tenues à des formules solidement établies, mais repoussaient aussi la moindre concession faite à la perception optique; et en fin de compte, pour Platon, ce n'était pas l'artiste mais le dialecticien qui avait mission de dévoiler le monde des Idées. Car, tandis que l'art se cantonne dans la production des images, la philosophie possède le suprême privilège de n'utiliser les "mots" que comme les premiers degrés conduisant à ce chemin de la connaissance qui demeure interdit à l'artiste, justement parce que celui-ci ne produit qu'une "image".