Les thèmes et les images abordés sans
grandiloquence ne manquent pas :
Dimanche, septembre, tristesse,
feuilles du soleil, repos au creux
de la pluie, vivants et la vie, amour,
partage d'un moment où l'on peut
rencontrer au détour d'un poème
ce « sourire caillé » interscapulaire.
Monde étrange dans lequel les objets vivent
sans bruit, où l'oreiller raconte ses nuits pas-
sées ailleurs, où les taches, la poussière ac-
cablent leurs créateurs.
Monde surprenant encore où l'homme reste
seul avec ses craintes, avec sa tête, avec ses
cris de l'escaler.
Monde singulier toujours, dans lequel l'aurore
lit les signatures, où les îles portent sur la carte
des noms de jeunes filles, où des îles sont rondes
pour mieux tenir dans les mains d'un roi.
Monde ordinaire pour finir, où ceux qui
aiment ne font qu'un.
Ainsi :
" LETTRE
Tu portais, ce dimanche-là,
Ma tristesse à fleur de visage,
Et Septembre était comme la
Vingt-huitième année de ton âge.
Il avait plu. le boulevard
Coulait vers la ville, pareil
À la rivière quand le soir
Y perd les feuilles du soleil.
La corde à l'épaule, halant
Mon tirant d'eau lourde vers Cannes,
Je descendais au gré du lent
Échelonnement des platanes.
Pressentais-je alors quelle voix
Commanderait l'écluse ? Quelle
Force ferait crier le bois
Pour une descente nouvelle ?
Et tes bras m'ont ouvert sans le
Savoir les vannes d'une vie
Dont je n'attendais plus qu'un peu
De repos au creux de la pluie.
" LES VIVANTS ET LA VIE
Les vivants et la vie
ne se ressemblent guère,
mais parfois ils se croisent
et s'aiment un moment.
J'en ai vu, sous la pluie,
se partager le vin.
Les solitaires parlent
avec leur destinée.
Et d'autres qui se battent
et qu'on ramasse morts,
un sourire caillé
entre les deux épaules.
" LES OBJETS RENVERSÉS
On peut mentir à ses amis,
rester muet devant les femmes,
mais à l'objet qui vit sans bruit
comment lui dérober son âme ?
L'oreiller gonflé, bien en place,
parle des nuits passées ailleurs.
Un tapis alourdi de traces
trahit la bête et la fureur.
Taches, cendres, poussière, odeurs,
monceau de signes sur la table,
vous accablez vos créateurs
de témoignages implacables.
Ni la peur ni la récompense
ne vous poussent à déposer,
hors l'étrange et sûre vengeance
contre qui vous a méprisés.
Vous démontez les alibis,
verrous tirés, vieilles empreintes.
Parmi les meubles ennemis
un homme est seul avec ses craintes.
Il sort et court et dans le sable
inscrit ce peu de profondeur
par quoi des molosses l'accablent,
dressés à vendre leur seigneur.
Quand la nuit, le vent, les volets,
ne confondent plus sa retraite
avec les cris de l'escalier,
un homme est seul avec sa tête !
Seul sous le poids de ses desseins
qui le font se cogner aux chaises.
Ils allaient flamber, les témoins…
Le froid du jour éteint la braise.
Sur les vitres et les tentures,
à livre ouvert dans la maison,
l'aurore lit les signatures,
le matin souligne es noms.
Et jamais vivant ne fut mieux
gardé par la prudence humaine
que ne l'est ce mort au milieu
des objets qu'il aimait à peine.
" LES PROVERBES DU TEMPS
à
René Bertelé.
Tant que les îles porteront
sur les positions de la carte
des noms de jeunes filles,
— les Mariannes, les Marquises,
les Carolines, les Célèbes —
toutes les marines du globe
pourront s'envoyer par le fond
sans ébranler l'auberge de corail
où la mousson fait halte et change d'équipage.
Terre il fallait que tu sois ronde
pour tenir dans la main du roi.
Il s'en trouvera bien un autre
pour aller crier après nous
que nos murailles étaient basses
et notre porte sans verrou.
Ceux qui nous aiment ne font qu'un.
Une place, encore une place,
et la dernière pour celui
que nous appelions en nous-mêmes
par le prénom de notre amour.