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On va encore dire que je le fais exprès, on va de nouveau m'accuser d'être volontiers dénigrant, me reprocher mes blâmes et ma désinvolture comme autant d'excès répétés : n'empêche, il faut admettre ce qui est, l'éditeur J'ai lu, avec ce roman de Trollope, a véritablement réalisé un travail de merde. Son seul mérite à peu près aura été d'empêcher le fabricant d'imprimer les pages de travers, défaut, certes, que les prestataires de chez Folio, payés probablement avec des restes de papier utilisables aux toilettes, n'évitent pas toujours.

D'abord, ce livre ne s'intitule pas du tout « Quelle époque ! » Non : ce titre en français est une « traduction » racoleuse et des plus approximatives pour The way we live now. Pour moi, je ne vois pas du tout quel inconvénient il y aurait, chaque fois que c'est possible, ou bien de conserver l'appellation d'origine – et, pour tout dire, je trouve tout aussi singulier d'aller à Londres et non à London, quand des anglophones vont à Pariss et non à Paris (J'imagine que pour aller jusqu'au bout de cette logique il eût fallu intituler Spoon River Anthology par « Anthologie de la Rivière Cuillère » !) – ou bien de la traduire aussi littéralement que possible – et quel problème majeur eût résulté par exemple d'un Comment nous vivons à présent (sans point d'exclamation) ? Car mon avis est que si l'on n'aime pas le titre d'une oeuvre dans la langue où elle a été écrite, il ne faut qu'en blâmer l'auteur, et ne pas faire accroire que celui-ci a été mieux inspiré que dans sa langue natale.

Ensuite, la couverture, pour toute colorée qu'elle est aux éditions J'ai Lu– et attirante peut-être à de très jeunes enfants – est encore une de ces horreurs de composition de studio sans le moindre rapport avec le roman : j'ignore pourquoi il faut qu'une femme en tenue victorienne y figure ainsi décapitée par une tache d'encre grise sur un fond d'hallucination rose bonbon (c'est peut-être ce qu'on appelle : « Art contemporain », c'est ma faute certainement d'être si handicapé à comprendre ce qui, du point de vue du créateur même, n'a jamais d'explication – bizarrement, je n'essaie pourtant pas de me soigner, estimant mon mal légitime, salutaire et mon cas désespéré) ; c'en est à regretter l'époque bénie où des artistes avaient lu l'oeuvre qu'ils avaient mission d'illustrer. Mais on peut penser que l'entreprise qui s'en est chargée était à son quinzième travail ce jour-ci, qu'elle rencontrait alors un cruel manque de personnel lié par exemple à une épidémie fulgurante de gastro-entérite, c'est pourquoi on peut la pardonner en cette circonstance, quoiqu'il y ait en l'occurrence quelque importunité, je crois, qu'une telle maladie paraisse si malencontreusement devenue contagieuse par les yeux.

Enfin, je suppose qu'il se trouve financièrement un vice rédhibitoire à proposer un ouvrage excédant 800 pages : c'est certainement un seuil inadmissible pour un éditeur, quelque chose comme une limite infranchissable et maudite susceptible de vous attirer les pires ennuis ou une déveine pas possible, c'est peut-être comme prononcer le mot « lapin » sur un bateau ou « corde » dans un théâtre. Or, ceci considéré et admis, comment faire pour qu'un livre de plus de mille pages « tienne » en seulement huit cents ? Des ingénieurs, je pense, ont sérieusement réfléchi au problème, et ils ont conclu qu'en réduisant la police d'écriture on doit mécaniquement être en mesure de diminuer le volume de l'ouvrage ; les ingénieurs, dit-on, sont des gens très intelligents ; eh sans doute ! mais ils ne lisent guère apparemment, et donc ils n'entendent point que faire tenir 43 lignes (quarante-trois !) sur une seule page de livre de poche est un supplice pour n'importe quel lecteur humain aux capacités oculaires normales.

Pour autant, si vous pouvez passer outre à la fois : le titre, la couverture et la taille des caractères, c'est-à-dire si vous ne faites aucun cas de traduction, d'esthétique ou de confort quand il s'agit d'élire un livre, alors peut-être prendrez-vous la peine d'essayer celui dont je propose aujourd'hui la critique, malgré, évidemment, mon tempérament si « ombrageusement négatif ».

Anthony Trollope, à ce que j'ai compris, est un britannique contemporain de Jane Austen et un auteur d'une certaine importance à l'époque, du moins d'une certaine prolificité – si l'expression n'est pas encore galvaudée. The way we live now passe, dit-on (ou plutôt « dit Alain Jumeau » : compte tenu de la compétence de l'illustrateur, je ne veux présumer de rien quant à celle du préfacier), pour l'un des meilleurs et des plus satiriques ouvrages du romancier.

Le livre relate, comme chez Austen qui feint seulement de ne pas s'en rendre compte, la quête frénétique et absolument nécessaire d'un mari ou d'une épouse, mais dans ce livre c'est à l'exclusion, en général, de la dimension mièvre et douceâtre de la romancière où l'étalage de sentiments nobles rencontre, curieusement (mais on vous fait comprendre que c'est absolument une coïncidence !), le besoin impératif d'entretenir des jeunes femmes désargentées ; or, là, chez Trollope, pas d'illusion : les couples se recherchent premièrement par intérêt, et Lady Carbury notamment ne désire « placer » son fils Félix auprès de Marie Melmotte que dans l'optique d'en obtenir pour lui la dot considérable – le père Melmotte, quoique d'une réputation très douteuse, passe pour un investisseur extrêmement riche –, à charge pour Félix de donner assez bien l'illusion d'être amoureux de la fille, une personne inconsistante et plein de préjugés évanescents et romanesques sur l'amour.

Et c'est tout l'attrait du roman, à mon sens, de plonger le lecteur dans un univers cynique d'intentions programmées, d'hypocrisies inassumées et de compromissions mondaines, dans une société londonienne d'aspect fort policé mais où les apparences les plus ordinaires et courtoises ont toujours des fondements dérisoires et turpides. Sur ce thème, d'ailleurs, on traverse avec une certaine curiosité bien des mondes, celui du journalisme, de la finance, de la religion, de la justice ou de la politique, mais quoique, certes, sans jamais y entrer vraiment, sans en pousser l'exploration jusqu'à un certain degré de connaissance approfondie, ce qui est inévitablement un défaut dans un roman de cette dimension qui prétend justement à dénoncer le superficiel.

On distingue aussi, dans cette oeuvre, une galerie réjouissante de personnages secondaires, des créatures aussi truculentes que vraisemblablement impossibles : des jeunes hommes comiques et d'une incroyable indolence, des avocats incompétents ou au contraire d'une rapacité active, des femmes étonnamment avides de mondanités à n'importe quel prix… Et, face à cela, les principaux jouent une partition de noblesse assez disparate et grandiloquente, avec leurs élans sincères, leurs sacrifices tragiques, leurs discours rationnels et leur dignité héroïque, au point de sembler appartenir tout à fait, eux et les premiers, à deux humanités distinctes. C'est, je trouve, un inconvénient que ces figures cohabitent si mal au sein d'une même intrigue, il y faut des tours de force littéraires et des ficelles trop sensibles, d'autant que l'auteur ne se départit pas d'accompagner sa critique sociale de bons sentiments trop tendres, et cela fait un mélange curieux où les ingrédients individuellement sapides font en tout une saveur bizarre et désunie. Et, au milieu de cela, le lecteur attentif devine et distingue des façons d'assaisonnement nécessaires à lier ces goûts : bien des transitions sont longues et forcées comme certains développements intérieurs – on pressent que le romancier s'est ennuyé à les écrire –, la fin est presque importune d'atermoiements et de facilités, et je soupçonne même l'auteur d'avoir accumulé des recettes comme on rédige un devoir de vacances, avec un sens consommé du style qui ne fait pas disparaître totalement l'ennui des passages obligés. On se retrouve avec un nombre considérable de personnages qu'il faut accorder au moyen d'astuces et de coïncidences étranges, et puis, pour chacun d'eux, trouver des péripéties qui les rapprochent et les éloignent tour à tour de leurs desseins particuliers, et, enfin, leur imaginer un dénouement éloquent correspondant à leur caractère – sans, par ailleurs, que ce caractère ait vraiment changé (il n'y a que Marie Melmotte qui va évoluer au cours du récit, mais c'est loin d'être, dans l'intrigue générale, une figure de premier plan). Ce que je décrie ici est peut-être, au fond, le vice foncier d'une certaine littérature britannique qu'une mode plus que temporaire a obligée à relater des sentimentalités mièvres mêlées de mondanités plus ou moins féroces : cette spécialité est à l'origine de nombreuses variations originales mais sans innovations impressionnantes, pour ce que j'ai lu ; on y perçoit toujours une certaine « parentalité nationale », mais sans identités nettement distinctes ; ces auteurs appartiennent tout à des traditions et à des courants plutôt qu'à eux-mêmes, ils font ce qu'on attend d'eux, et, dans ce Trollope, on distingue l'habitude et les trucs littéraires qu'il faut et qui servent à « vivre de sa plume ».

Il ne faut cependant rien exagérer, le roman est d'une grande élégance, un peu académique souvent – les délibérations des personnages « bons » sont notamment des modèles trop sagement caractérisés de dialectique organisée en trois parties –, mais aussi d'autres fois pittoresque et mordant, notamment à travers de vifs dialogues ironiques ou cruels (comme celui que je fais figurer en exemple ci-après) ou au moyen ponctuel d'aphorismes bien sentis sur la société et les gens. C'est seulement un peu long, peut-être, pour ce que ça raconte ou plutôt pour ce que ça « révèle », on en sort divertit mais sans beaucoup de surprises, la satire n'y est même pas si féroce puisque les mauvais hommes sont tous finalement punis ; c'est néanmoins soigneusement et rigoureusement construit, on suit avec intérêt ces mannequins guindés qui ne sont à peu près rien pour l'homme normal, c'est un film élaboré qui se laisse voir sans trop d'impatience mais à distance, pas du tout si vigoureux ni sagace ni précis ni intelligent ni drôle que Télérama l'annonce sur la quatrième de couverture (et « tout cela à haute dose » : dixit Télérama qui semble ainsi considérer des vertus par quantités mesurables un peu comme des bouchons ou des cuillerées ; à coup sûr, le critique qui s'est chargé d'un tel article a aimé Trollope « à haute dose », il faudrait du moins le lui demander !), mais toujours assez bien fait pour servir d'exemple de prose et de construction sérieuses aux professionnels médiocres d'aujourd'hui. On n'en lira certainement pas un second du même auteur – c'est qu'il nous faudrait, à nous autres passionnés et esthètes, un récit avec justement plus de vigueur, plus de sagacité etc. que ces doses qu'on y trouve « instillées » dans cet ouvrage –, mais on n'aura pas pris trop de déplaisir à celui-ci, ne serait-ce que dans son style élevé et sa manière plutôt aristocratique et désuète. Ce n'est pas que l'intrigue ait eu beaucoup d'intérêt pour moi, mais ne l'ai-je pas déjà dit ailleurs ? je me moque généralement des histoires, n'ayant pas eu le bonheur en ma vie d'en lire seulement une vingtaine qui m'aient véritablement surpris, encore moins épaté.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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En ce dernier quart du XIXe siècle, Londres est devenue la première place financière au monde grâce au pouvoir économique et politique de l'Empire britannique fort des richesses de ses colonies et de l'industrie qui a transformé le pays. L'avènement du capitalisme et l'essor à grande échelle du crédit vont attirer des escrocs en tous genres sans moral ni loi. La corruption gangrène rapidement tous les échelons d'une société qui cherche l'enrichissement et le profit rapides. Très marqué par ces changements, Anthony Trollope n'hésite pas à prendre la plume pour brosser le portrait d'une société où le monde de la finance a pris la première place en bouleversant les règles traditionnelles et les moeurs.

L'écriture parfois virulente de l'auteur est empreinte d'ironisme et de cynisme du début à la fin de ce roman fleuve dont le titre "Quelle époque!" donne le ton du roman.

Au coeur de cette intrigue au long court se trouve le personnage d'Augustus Melmotte, un financier véreux, aux origines incertaines, tout nouveau venu à Londres. Malgré les soupçons qui pèsent sur l'origine et l'état de sa fortune, une kyrielle de personnages issus de l'aristocratie tentent d'obtenir ses faveurs. Homme fort de la City, directeur de la filiale anglaise du très prometteur Chemin de Fer du Pacifique et du Mexique, candidat au Parlement, hôte généreux de l'Empereur de Chine son ascension est fulgurante tout autant que sa chute, six mois à peine après son arrivée à Londres. La brièveté de son règne financier contraste avec celle de l'aristocratie qui malgré sa fragilité financière et son manque d'évolution face au capitalisme survit tant bien que mal. Frileuses dans un premier temps, les familles aristrocratiques les plus désargentées sentent très vite quelles avantages elles peuvent tirer en gravitant dans la sphère de ce financier. de Lord Alfred qui le suit comme son ombre à Lord Longestaffe qui lui vend son hôtel particulier, tous sont en quête d'une fortune rapide et d'un train de vie à jamais perdu. Cependant, ils ne sont pas seulement des victimes innocentes des malversations de Melmotte car ils ont eux aussi leur part de malhonnêteté.

Fiancé de Marie Melmotte et endetté chronique, Sir Félix et ses camarades de jeux du club de la Fosse-aux-Lions incarnent cette génération de jeunes aristocrates ayant dilapidé leur fortune et en quête d'une jeune héritière à la dot généreuse pour les mettre définitivement hors d'atteinte de leurs débiteurs poussés par leurs progéniteurs. Sans morale ni coeur, Sir Félix n'hésite pas à entraîner à la ruine sa mère Lady Carbury et sa soeur Hetta. C'est poussé par ce besoin de nouvelles ressources financières mais également de reconnaissance que Lady Carbury se lance dans l'écriture de romans qu'elle souhaite à succès. Pour cela, elle joue agréablement de ses charmes auprès des critiques littéraires pour s'assurer le succès dans les journaux de l'époque plutôt que de viser l'excellence dans sa création.

Quelques personnages cependant apparaissent habités d'une droiture et d'une morale qui leur permettent de résister aux dérives du moment comme notamment Hetta Carbury, Marie Melmotte ou Robert Carbury.

Fourmillant d'histoires aux multiples rebondissements parallèles à l'intrigue principale, cette fresque se révèle passionnante par son intensité, les nombreux détails sur les manoeuvres financières de Melmotte, du monde politique et journalistique mais aussi sur les mariages arrangées et l'hypocrisie de l'aristocratie. L'humour de l'auteur innerve l'ensemble de ce récit intelligemment construit. L'intensité et la virulence des reproches de l'auteur envers ses contemporains sont très vives tout long du roman. Il s'amuse ainsi à caricaturer à l'extrême les sentiments ou la cupidité de certains personnages comme la pugnacité de Lady Georgiana Longestaffe à vouloir faire un riche mariage coûte que coûte même si c'est avec un homme plus vieux que son père, l'entichement absurde de Ruby pour Sir Félix ou encore l'amour inconditionnelle de Lady Carbury pour son fils. Cependant, il modère ses propos dans l'épilogue en ménageant une fin optimiste avec une valse de mariage, qui apparaît comme un retour à l'ordre traditionnel, une fois que la disparition ou l'émigration des éléments les plus perturbateurs du récit aient été effectives.

J'ai passé un excellent moment happée par le récit à l'atmosphère victorienne si particulière malgré les huit cents pages de ce roman qui au final se dévorent facilement.
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Qu'elle fait pâle figure, la littérature dite "victorienne", mise à la mode par Michel Faber et consorts, à côté des auteurs ayant réellement vécu cette époque. Parmi eux, Anthony Trollope mérite d'être (re)découvert par les lecteurs francophones. La remarquable traduction d'Alain Jumeau nous fait connaître une oeuvre magistrale, le regard acéré d'un fonctionnaire de sa majesté sur la bourgeoisie et l'aristocratie d'un dix-neuvième siècle finissant. le fonctionnement de la City, les mille et une combinaisons nécessaires à la création et à la transmission du patrimoine à une époque où le droit d'aînesse régnait encore en maître et où la femme, dès lors qu'elle était mariée, remettait la totalité de sa fortune entre les mains de son époux. Autres temps, autres moeurs, et pourtant le message reste bien actuel. L'ascension et la chute d'Augustus Melmotte, un aventurier de la finance à la moralité très "soluble", nous font penser à des personnages bien d'aujourd'hui : il n'hésite pas à contrefaire des signatures lorsque ses intérêts sont en jeu, et rachète pour un "shilling" symbolique, pour les revendre ensuite en pièces détachées et en tirer de grands bénéfices, des entreprises en difficulté. Non, vraiment, cela ne vous rappelle rien ni personne ? Cherchez bien... Autour de ce chef de guerre de la City gravitent nobles et roturiers en quête de fortune ou de pouvoir politique (le plus souvent les deux). Certes, on ne trouve pas le souffle d'un Zola ou d'un Victor Hugo dans ce portrait au vitriol de l'establishment britannique, mais le regard de l'auteur sur la société de son époque se veut le plus neutre et le plus crédible possible, ce qui en fait toute la modernité. À travers une galerie de personnages, masculins et féminins, dont on suit les péripéties financières et amoureuses sur une période relativement brève (quelques mois à peine), se dessine le passage d'un monde quasiment féodal au capitalisme féroce qui domine encore le monde aujourd'hui. L'argent est omniprésent, mais il n'est pas le seul ressort du récit, et l'on espère que les personnages auxquels on s'est le plus attaché vont enfin trouver le bonheur. La réponse est oui, mais lisez donc "Quelle époque !", et régalez-vous...
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Résumé du livre: Augustus Melmotte a trouvé racine à Londres, après avoir vécu, avec sa deuxième épouse et sa fille, Marie Melmotte, dans plusieurs villes d'Europe. Homme d'affaires charismatique de la City il va très vite être la personne qu'il convient de fréquenter dans cette Angleterre de fin du XIX* siècle. Son savoir-faire et sa connaissance du monde de la finance sont mis à profit de la grande construction du Chemin de fer du Pacifique Centre et Sud du Mexique, entrepris aux Etats-Unis. En qualité de décideur et de représentant des actionnaires anglais, il est propulsé à la tête de la City. Sa réputation le conduira même à se lancer dans la politique, et à recevoir le Grand Empereur de Chine, dans sa maison de Grosvenor Square. C'est dire la puissance et le pouvoir de cet homme! Pourtant un homme qui terrorise sa femme et bat sa fille en la réduisant en "chair à pâté" , peut-il être considéré comme un véritable gentleman?
Tous les nobles anglais admirent et reconnaissent ce nouvel arrivant, Melmotte, qui offre à Lord Alfred, Lord Nidderdal (un des courtisant de Marie Melmotte), puis Lord Longestaffe père, en plus de Sir Felix Carbury, Miles Grendall, Paul Montague et d'autres, un siège au conseil d'administration de la fameuse Compagnie.

Du coté de la famille Longestaffe, de grosses difficultés financières poussent le père de famille à se mettre en affaires avec Melmotte. Ses décisions sont mal acceptées par son fils, Dolly (ami de Sir Felix) et sa fille aînée, Miss Georgiana Longestaffe, pour laquelle il est important de se marier avec londonien, peu importe sa religion, du moment qu'il est riche pour lui assurer un train de vie digne d'une vraie Lady!

Lady Carbury, veuve, mère de deux enfants en âge de se marier, est une pseudo romancière qui attache la plus grande importance à l'image qu'elle renvoie à la société londonienne, en fréquentant journalistes et hommes d'affaires. Excellant dans l'art subtil du paraître et du plaire, son côté matérialiste la pousse à imaginer des solutions pour lui éviter la ruine, qui menace sa famille, à très court terme. Elle ambitionne de marier son fils, Sir Félix, jeune baronnet au physique avantageux, avec Marie Melmotte (la fille du grand financier Melmotte) qui est, selon elle, le meilleur parti du tout Londres. Seulement, l'amour incommensurable qu'elle porte à son fils ne suffit pas à donner une éducation à Félix qui ne pense qu'à jouer de l'argent aux cartes en buvant de la fine-à-l'eau à son club, la Fosse-aux-ours. Son train de vie est source de dépenses si importantes qu'il dilapide à vue d'oeil l'argent de sa mère. Eu égard à son côté égocentrique, son physique de jeune premier lui permettra de rencontrer la très courtisée Marie Melmotte et fera la fierté de sa mère. En plus de cette histoire, Lady Carbury essaie d'arranger un mariage entre sa fille, Henrietta Carbury -dit Hetta- et son oncle Roger Carbury. Roger Cabury est un homme sage, d'un certain âge, avec de vraies valeurs, qui attache la plus haute importance aux principes édictés par sa condition sociale. Il vit à la campagne, dans le château de Carbury, patrimoine familial des Carbury et loue quelques terres aux fermiers du coin. Amoureux de sa cousine, la jeune Hetta, il devra composer avec son meilleur ami puis rival, Paul Montague, pour gagner le coeur de sa dulcinée qui semble être sous le charme du fameux Paul.

Ce dernier, Paul Montague se trouve embarqué dans des histoires professionnelles (en qualité d'administrateur de la Compagnie du Chemin de Fer) et personnelles (avec le retour de Mrs Hurtle, une mystérieuse américaine qu'il avait promis d'épouser avant de rencontrer Miss Carbury) dont les issues semblent compromises.

Cette Mrs Hurtle, loin du pays dont elle est native, réside dans une pension à Londres chez Mrs Pipkin. Elle ambitionne d'épouser Paul Montague quoi qu'il arrive et se pose en véritable femme fatale. Femme donnant l'illusion de tout maîtrisé, et très sûre d'elle, elle est au fond d'elle détruite par le rejet initial de Paul, et déploie des trésors de reconquête comme seule une femme amoureuse, trahie et jalouse, peut le faire. Elle est admirée à son insu par sa logeuse Mrs Pipkin qui est une tante éloignée de Ruby Ruggles, une fille de la campagne vivant près des terres de Roger Carbury. Rubby a fui de son domicile afin de retrouver son amoureux, le baronnet Sir Felix, qui l'emmène danser aux music hall londoniens. Promise à un boulanger du nom de John Crumb au physique dégoûtant, on comprend aisément son attirance pour le beau Felix…Malgré elle, elle découvrira qu'on ne peut construire une vie uniquement sur le physique, mais l'amour ne rend-il pas aveugle?

Mes impressions: Grandiose! Si on dépasse les caractères minuscules de l'édition J'ai Lu et l'affreuse couverture, on est propulsé dans une Angleterre en pleine expansion qui traite de sujets complets et complexes à travers tous les personnages créés par Trollope. Ce qui est frappant, c'est de noter que les comportements actuels ne sont pas si différents des comportements du XIX* siècle: comme dit un homme que j'admire "nous croyons être supérieurs dans nos connaissances parce qu'il n'y pas d'autres sociétés plus avancées que les nôtres aujourd'hui; par conséquent nous avons tendance à juger le passé avec notre savoir, alors que…" Cependant quand je pense au scandale Madoff, on peut aisément faire des parallèles avec Melmotte. Les problèmes de religion et d'intolérance sont eux-aussi toujours d'actualité. La condition des femmes -même si on n'est loin des conditions du XIX* je vous l'accorde- laisse à désirer dans certains pays et mériterait d'être améliorée dans d'autres. D'ailleurs les femmes de Quelle époque! s'émancipent progressivement. Ainsi, l'auteur égratigne chaque pan de la société décrit avec brio, tout en ironie, satire et psychologie, et captive son lecteur qu'il n'hésite pas à interpeller régulièrement pour en faire un acteur à part entière du roman. J'ai beaucoup aimé les histoires sentimentales, le côté business de la city, l'influence de la presse, les diverses manipulations et corruptions, les rebondissements, les descriptions des us et coutumes de la société anglaise agrémentées des comportements des gentlemen, les combats intellectuels des hommes de loi, l'église anglicane et l'église de Rome qui s'opposent… le côté politique avec l'élection des parlementaires à la Chambre des communes a été une découverte pour ma part et me donne envie de mieux comprendre les mécanismes politiques anglais. Bref, je suis totalement sous le charme de Trollope (1815-1882), contemporain de Dickens qui gagne à être connu en France. J'espère que ce billet un peu long vous aura convaincu de vous plonger dans l'univers de Quelle époque! qui est mon premier coup de coeur de cette année 2013. Pour la petite anecdote, cette épopée a été publiée en plusieurs feuilletons dans les journaux en vigueur à ce moment là en Angleterre; l'histoire est donc accessible, et les chapitres relativement courts sont ponctués de rebondissements qui incitent à aller toujours plus loin dans la lecture. Séduite par l'auteur, j'ai Miss Mackenzie et le Docteur Thorne, dans ma bibliothèque, je lorgne sur La Vendée, oeuvre historique de l'auteur, et ne compte pas m'arrêter là dans sa bibliographie.
Lien : http://leslivresdecamille.wo..
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L'expérience était la suivante : Au 1er semestre de cette année, pour mon M2, je suis partie en Erasmus à Londres, et j'ai dû lire ce livre pour l'un de mes cours qui s'intitulait « On speed : accelerating culture since the 19th century ». le but de ce séminaire était d'étudier comment les nouvelles technologies, et le nouveau rapport à la vitesse et au temps depuis le 19ème siècle a influencé l'art et l'esthétique, ainsi que la littérature et toute la société. Dans le programme, chaque semaine il y avait une liste de lecture en fonction d'un thème précis (de l'impact du train, à l'impact de la télévision, en passant par le télégraphe, le téléphone, la voiture, etc…)
En ce qui concerne The way we live now,(Quelle époque ! en français) il s'agissait de le lire tel qu'il a été publié à la fin du XIXème siècle, c'est à dire, sérialisé. On n'avait le droit de lire que dix chapitres par semaine, pas plus. Ça peut sembler peu, mais en fait je me suis vite rendue compte que je ne lisais pas du tout au même rythme que n'importe quel anglais… et que donc dix chapitres par semaine c'était beaucoup (sachant que pour mes deux autres séminaires j'avais entre 1 et 2 livres par semaine à lire chacun, plus les lectures critiques…)!
L'expérience en elle-même était géniale, c'était vraiment une super idée, le but étant de faire une réelle expérience du temps par rapport à la lecture et d'essayer de s'imaginer comment les gens lisaient au 19ème siècle. On se rend compte au bout d'un moment que nos séries télévisées d'aujourd'hui sont peut-être l'équivalent de beaucoup de romans à l'époque qui étaient publiés dans des journaux, donc en série. C'est quelque chose qu'on peut carrément voir dans l'écriture avec les techniques pour tenir le lecteur en haleine, le faire passer au chapitre suivant et continuer à lire, les différentes scènes, comme dans un film ou série : le découpage des « épisodes » (multi-plot) ressemble vraiment à celui de n'importe quelle série aujourd'hui et c'est assez drôle quand on se rend compte.
Mais pour tout avouer, je n'ai pas fini ce livre. C'était un rythme de lecture qui allait quand même trop vite pour moi, et en essayant de rattraper mon retard, j'ai trop lu de pages d'un coup en une journée et j'en ai eu une overdose. Je ne pouvais avaler une page de plus au risque d'être malade. C'est fou quand même, parce que au début l'histoire m'intéressait vraiment et dès la première page on se sent happé par le style et les personnages – c'est pour ça d'ailleurs que j'avais choisi ce cours, justement parce que ce livre était dans la liste au programme et que l'idée d'étudier les notions de temps, et de vitesse et de progrès technologique et industriel en littérature et en art m'intéressait beaucoup aussi – mais, visiblement, la vitesse et moi ne faisons pas bon ménage !
Donc voilà, l'expérience était un échec, au moins en partie, parce que c'est assez difficile de caser un livre qui a été publié en série sous une période d'environ 20 mois en seulement 3… J'essayerai de le relire dans le futur, peut-être dans un an ou deux, plus calmement, parce que ça reste quand même un livre qui m'intéresse beaucoup, et que je conseille vivement. En ce qui concerne l'histoire, on y entre très vite, et on est très vite pris dans les intrigues politiques, amoureuses et sociales de ce roman. La place qui est donnée à l'argent est aussi très intéressante : tout se déroule dans les années 1870, mais entre le 19ème siècle et aujourd'hui, il n'y a pas grand-chose de changé à ce niveau là…
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Pas mal de longueurs et de digressions; j'avoue avoir sauté certains passages, mais une fois plongée dans ce "pavé", je n'ai plus pu le lâcher. Mon dieu! ces personnages! Ce troupeau de bons-à-rien et d'idiotes m'a bien fait rire.
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Ce roman fleuve victorien est une satire de la société londonienne de cette époque. Plein de rebondissements, d'humour, d'intrigues, il offre quelques heures de lecture divertissante et pleine de suspense.
A été porté à l'écran sous le titre anglais "The way we live now" sur un scénario d'Andrew Davies avec Matyhew Macfadyen, Cillian Murphy, David Suchet,...
A voir absolument, mais à condition de comprendre l'anglais, car pas de version ni de sous-titres français à ma connaissance.
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Très gros coup de coeur pour moi!
Dans le Londres des années 1870, Lady Matilda Carbury, veuve, tente tant bien que mal de faire parler de son livre Criminal Queens, pour subvenir aux besoins de sa famille et en particulier aux très nombreux vices de son fils le baronet Sir Felix. Elle aimerait bien marier sa fille Hetta au cousin Sir Roger Carbury, Esq., qui détient les biens de la famille dans le Suffolk. Mais Hetta n'aime pas Roger de cet amour-là, et n'entend pas se marier avec son cousin.

Dans ce même Londres débarque les Melmotte, famille inconnue, soupçonnée d'être d'origine juive et qui amène dans son sillage une certaine odeur de souffre. Banqueroute, escroquerie. Personne ne sait vraiment. Mais il semble qu'Augustus Melmotte soit très riche. Et il entreprend de conquérir la noblesse et la haute bourgeoisie de l'époque, par l'argent et le mensonge. Grâce à Paul Montague et Mr Fisker, deux Américains, Melmotte entre dans le projet d'une voie ferrée reliant la Californie au Mexique. Projet titanesque. Perspectives de profits illimités, selon Melmotte et ses partenaires. La « Haute », jusqu'alors méfiante face à la vulgarité de l'homme, se laisse appâter par des profits rapides et sans effort. L'homme atteint son apogée lors de la réception de l'Empereur de Chine, dans sa propre demeure, et son élection comme député de Westminster.

The way we live now (TWWLN, pour faire court) est un grand roman comme le 19ème siècle en produisait, chronique minutieuse et sans concession d'une époque. Ce roman d'Anthony Trollope tout récemment traduit en français sous le titre Quelle époque !, me fait penser à Bel-Ami de Maupassant, dans une moindre mesure, bien entendu, pour le sujet traité (la finance) notamment. Critique d'une société où l'apparence et les faux-semblants sont la norme, où l'hypocrisie est de mise en toute circonstance. Où l'argent est roi.
la suite de cette longue critique sur mon blog.
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