Des bleus à l'âme aux corps rompus.
Pour certains, la vie est violente. Dès la naissance la vie peut-être uniquement un combat, entre la rage au coeur et tous les moyens de défense qu'ils peuvent s'approprier.
Sur ces situations de chaos viennent se greffer les intrus, ceux qui profitent des failles pour manipuler, entraîner, et la vie déborde des sécrétions de ces rencontres viles.
Au quotidien ce sont des combats le plus souvent contenus, silencieux mais qui irriguent les veines de ceux qui subissent. Mais il y a les explosions, les déflagrations qui entraînent toujours plus loin, plus fort.
Seule la société pourrait y remédier en mettant en place des règles, des lois pas seulement les édicter mais les appliquer à tous. Une seule justice. Mais surtout elle aurait un atout de taille pour juguler cette violence en éduquant, en cultivant et faisant en sorte de laisser le moins de personnes possible au bord de la route, en montrant l'exemple d'une transformation de l'énergie négative en énergie créatrice au sein d'une société fraternelle.
Quand fin avril 1962, par une journée aussi chargée en chaleur orageuse qu'en vapeurs d'alcool, se termine par une rixe dans un bar entre un jeune sans nom et un vieux.
Suit l'errance.
« Ma vie se résumait à ça, me débattre, encore et toujours, pour ne pas sombrer dans l'ennui. Vivre et s'ennuyer, c'était pire que tout, c'était mourir déjà, et moi je ne voulais pas crever de mon vivant. Je m'étais battu plus d'une fois, contre les autres, contre leurs règles et leur façon de vouloir me les imposer, leur façon de m 'obliger à marcher dans les clous. »
L'auteur avec beaucoup d'intuition, utilise le procédé du flashback avec subtilité. J'ai eu le sentiment que c'est l'amour qu'il porte à ses personnages qui ont induit ce doigté, qui fait que le passé trace le présent, et que ces retours en arrière sont fluides et donnent une lumière qui vient tempérer le présent.
Il y a le contexte, il est né en 1937 et en vingt-cinq ans il a vécu mille vies.
Avec Kalya ils sont deux canards boiteux dans ce paradis des vauriens qui leur appartient.
Mais le chemin suivit le transforme en bête sauvage, mais toujours lucide.
J'ai aimé que l'auteur en fasse un jeune lettré, intelligent.
Sans-Nom a une obsession Kalya.
« Je levai la main, observai mon pouce, la cicatrice s'effaçait avec le temps, je la devinai à peine, mais celle laissée par le manque ne guérissait pas. »
La vie continue, et se transmet :
« Je me sentais fou de joie, avec cette étrange impression que la vie ne m'en voulait plus, qu'on venait de signer un pacte, une trêve. Un sentiment de bien-être m'envahit, de sérénité. Je naissais en même temps que mon enfant. »
Le lecteur passe par toutes les émotions, n'excuse rien, mais ouvre les yeux.
C'est un roman noir, dans une construction habile qui sait dévoiler et ménager ses effets.
L'écriture montre un souci permanent de ne pas alourdir et noircir, il n'y a pas de surenchère dans le glauque.
Les personnages principaux sont attachant et laissent leur empreinte. Mais tous les personnages secondaires sont dépeints avec caractère ce qui renforce la réalisation de la trame.
Wendall Utroi est dans un registre différent de ses deux précédents livres, il a trouvé, sans dénaturer ce qu'il est, une façon encore plus expressive de dire une histoire, il y a plus de profondeur dans la psychologie de ses personnages.
Le noir ici à des nuances subtiles, il y a du souffle, pas d'atermoiement mais de la bienveillance.
Les apparences sont trompeuses, les illusions passent.
Jusqu'à la fin il nous aura happé dans sa toile, sur un demi-siècle d'existence, il aura su approfondir, rebondir, nous rendre fou avant de savoir, pour nous, lecteur ce couple d'adolescents seront dans nos mémoires. Et ils resteront adolescents. Couple éternel ? A vous de le découvrir.
Une belle réussite, un auteur qui sait se renouveler et il nous fait une belle démonstration de Hobbes « l'Homme est un loup pour l'homme » mais pas toujours du côté le plus visible.
Merci à l'auteur et aux éditions Slatkine pour cette lecture privilégiée.
©Chantal Lafon
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