Si Bourdelle doit beaucoup à Rodin et jamais il ne le nia, Rodin dut lui aussi beaucoup au praticien habile dont il avait immédiatement deviné les rares mérites. Sans Bourdelle, Rodin découragé, n'eût peut-être pas poursuivi J'étude de son Balzac jusqu'au point où il la poussa, après des années d'un labeur opiniâtre, dans l'hostilité et l'incompréhension de tous. Les deux hommes au fonds'estimaient, mais ils se gênaient mutuellement et Bourdelle surtout, avait l'impression que Rodin lui barrait la route. Ils sentaient ce qui les séparait plus vivement que ce qui les rapprochait.
A l'Ecole de Toulouse, écrit-il, j'effrayai mes professeurs par mes audaces de travail. Je demeurai six mois en arrivant aux Beaux-Arts, à quinze ans, sans qu'aucun camarade sache la couleur de ma voix. J'étais obligé de mettre ce masque sauvage pour cacher ma sensibilité de feu. Je le sais aujourd'hui: à côté des leçons des maîtres peu capables de créer, mais dont on avait de fortes traditions, c'est à l'adoration des jeunes filles que j'analysais toutes au passage, que je dus cette vie de mes premiers travaux.
L'artiste véritable est seul. Nul lie le comprend, nul ne voit l'or vivant de son regard et son cœur étoilé que lorsque la mort l'a touché.