Dix ouvrages, pas un de plus. C'est le nombre de romans auquel l'auteur a droit pour développer un personnage récurent. Cette règle, ce n'est pas moi qui l'énonce, mais
John Harvey dans l'interview « en roue libre » de Velda dont vous découvrirez l'intégralité sur son blog que l'on peut considérer comme l'une des références dans l'univers des sites dédiés à la littérature policière. Dans cet entretien édifiant, l'auteur britannique se livre avec une franchise presque déconcertante sur l'aspect commercial de ces séries. La règle, qu'il n'a d'ailleurs pas respectée (et c'est bien dommage), se base sur les dix ouvrages mettant en scène Martin Beck dans le Roman d'un Crime. Même si cette série s'est achevée à la suite de circonstances tragiques, on s'accordera pour dire qu'il s'agit effectivement d'une règle parfaitement valable puisqu'elle fait référence à l'un des chefs-d'oeuvre du roman policier. C'est peut-être à cause de la « règle des dix » que
Fred Vargas a mis tant de temps à livrer
Temps Glaciaires, la onzième enquête du commissaire Adamsberg si l'on compte les trois affaires que l'on peut retrouver dans le recueil de nouvelles
Coule la Seine. La crainte de fournir l'ouvrage de trop.
Que l'on se rassure avec
Temps Glaciaires, nous allons retrouver tous nos personnages hauts en couleur. le commissaire Adamsberg reste toujours aussi décalé et rêveur, Danglard l'hypermnésique est toujours aussi porté sur la boisson et Veyrenc continue de déclamer ses alexandrins. Oui vous pouvez compter sur la présence de tous les personnages qui sont chers à votre coeur. Même le chat du commissariat fait son apparition. Au final, vous en aurez pour votre argent. Et c'est en cela que l'on rejoint les propos de
John Harvey évoquant la facilité et l'absence de créativité. le problème désormais de
Fred Vargas est que son univers décalé est devenu, au fil des onze enquêtes de son commissaire fétiche, terriblement convenu. Il ne nous reste donc que l'intrigue et c'est peu dire qu'elle s'avère bringuebalante, tant l'auteur peine à conjuguer les deux univers que sont l'Islande et la reconstitution des périodes de la Terreur. L'enquête se déroule sur trois lieux à savoir Paris, le Creux dans les Yvelines et l'Islande et si l'auteur admet n'avoir jamais « foutu les pieds » dans ce pays c'est paradoxalement la partie du roman la plus aboutie. On y retrouve le souffle du mystère et une atmosphère décalée qui fait particulièrement défaut lors de la partie parisienne de l'enquête. Ce qui faisait le charme de Vargas c'est qu'elle convoquait l'histoire au travers des lieux comme dans Pars Vite et Revient Tard ou
L'Armée Furieuse et que l'aspect historique de la Terreur en est totalement dépourvu pour se concentrer sur le personnage de Château/Roberspierre qui manque terriblement d'épaisseur. On s'y ennuie à mourir et les anecdotes concernant ce fameux personnage historique n'amènent que très peu d'éléments pertinents pour compléter une intrigue assez bancale dont le dénouement s'avérera peu convaincant. Sans vouloir dévoiler quoique ce soit de ce dénouement, je vous laisse imaginer Maigret dégommant ses adversaires à coup de flingue pour avoir une idée de l'incongruité de la confrontation finale.
On pouvait espérer que l'auteur démonterais la mécanique bien huilée qui régit l'équipe du commissaire Adamsberg avec ce petit vent de contestation soufflant dans le commissariat. Mais ce vent s'avérera n'être qu'une légère brise qui n'interfèrera guère sur l'architecture des relations qui lie le personnage principal à ses acolytes. Il faut bien que la série continue sans mettre le lecteur dans un inconfort trop perturbant. Car l'enjeu est de taille. On a pu le percevoir avec la confrontation entre l'auteur et son ancienne éditrice Viviane Hamy lors du changement de maison d'édition orchestré par son agent
François Samuelson. Car si l'auteur s'en défend, il y a tout de même une histoire de gros sous qui se cache derrière la série Adamsberg. Et à nouveau on peut mettre en perspective les propos de
John Harvey évoquant les tentations financières des auteurs qui se retrouvent prisonniers de leurs personnages.
Fred Vargas ne dit pas autre chose lorsqu'elle déclare à la presse «qu'elle n'en a pas finit avec Adamsberg ». On imagine la tête de l'équipe Flammarion si elle avait évoqué la conclusion de la série avec
Temps Glaciaires. Mais que l'on se rassure, rien ne pourra perturber l'attente des lecteurs, pas même la couverture de l'ouvrage qui ressemble furieusement aux couvertures précédentes, des fois que le consommateur louperait la muraille de livre qui trône régulièrement en bonne place dans les librairies. Il va bien falloir les écouler ces centaines de milliers d'exemplaires … même si les moyens manquent parfois d'une certaine élégance.