J'avais déjà du lire ce livre il y a de nombreuses années. Je viens de le relire dans le cadre d'un challenge.
Colin vit une vie de rêve : il n'a aucun problème d'argent. Seul lui manque l'amour avec un grand A. Il va le découvrir en la personne de Chloé. Après un mariage grandiose, l'état de santé de Chloé va rapidement se dégrader en raison d'un nénuphar qui pousse dans un de ses poumons. L'ensemble du livre est farfelu et loufoque, mais une fois encore, j'ai beaucoup apprécié ma lecture. Colin, afin de pouvoir acheter un maximum de fleurs sensées guérir Chloé, va être obligé de travailler. Les conditions de travail dans le livre sont horribles et de nombreux travailleurs ne survivent pas. Préalablement, Colin avait donné 25 milles doublezons à son ami, Chick, afin qu'il puisse épouser Alizée. Mais Chick ne vit que pour Jean-Sol Partre et dépensera la totalité de cet argent à acheter des manuscrits ou des vêtements ayant appartenu à son idole. Jusqu'à ce que Alizée commette l'irréparable...
Livre à lire et à relire pour saisir les différents niveaux de lecture.
Commenter  J’apprécie         251
La profondeur abyssale de mon ignorance creusée par les lacunes qui caractérisent mon inculture me donne parfois le vertige. J'ai toujours pensé que "L'écume des jours" était un roman traditionnel. Ce titre très poétique évoquait, dans mon esprit brumeux, une histoire sentimentale basée sur une succession de scénettes, prétextes à une critique sous-jacente de la société. Pure intuition qui n'était pas loin de la vérité, sauf qu'il ne s'agit pas du tout d'un roman. Je me conforme à l'avis de la majorité pour admettre que ce livre est un conte même si cette définition me semble un peu restrictive.
Je n'avais pas vingt ans lorsque j'ai découvert Boris Vian (1920-1959) et ses chroniques musicales où il défendait le jazz moderne (le bebop) face à un autre grand spécialiste, Hugue Panassié, qui lui, dénigrait tout ce qui n'était pas le jazz traditionnel. Par la suite, j'ai bien compris que Boris Vian était un iconoclaste de la littérature, un poète surréaliste à l'humour déjanté, un être à part, un musicien plein d'originalité, un pataphysicien et pourtant, je ne m'attendais pas à un tel feu d'artifice en lisant "L'écume des jours". La faute en revient à l'éclectisme de Vian, homme orchestre, journaliste, écrivain, trompettiste, ingénieur, inventeur, chanteur, parolier et compositeur. Je suis entré dans le monde de Boris par le pavillon de sa trompinette il y a de cela des lustres et j'y suis resté longtemps. À l'époque, je venais de découvrir le jazz et je pratiquais en amateur la clarinette, j'étais un peu focalisé sur la facette musique de son talent. Boris Vian n'est pas une personnalité "Tour Eiffel", celle dont la vue d'un côté nous laisse deviner le reste. Il est plutôt du genre polygone asymétrique en quatre dimensions. Et pour bien comprendre cela, il faut avoir lu "L'écume des jours" et c'est chose faite, j'en suis très heureux. D'instinct, j'ai toujours aimé Boris Vian, c'est ce qui me fera pardonner d'avoir lu si tardivement son chef-d'oeuvre.
Que dire ? Il y a là tout un univers et surtout l'expression d'une grande liberté. le propre du jazz est d'être basé sur l'improvisation, on peut sans doute établir un parallèle entre la musique de jazz et son écriture. L'auteur ne cherche pas à nous donner l'illusion d'une réalité, il privilégie l'imaginaire, il ne lit pas une partition, il donne libre court à sa fantaisie. Il brode autour d'un thème. le mot qui résume le mieux son style, c'est, encore une fois, celui de liberté. L'histoire qu'il raconte est, d'une certaine manière, assez classique, c'est l'histoire d'un amour qui se heurte à une réalité à laquelle chacun tente d'échapper. Les personnages se conduisent d'une manière cohérente à l'intérieur de leur monde. L'écriture en elle-même respecte les règles et rien ne choque dans la construction syntaxique. Les chapitres sont équilibrés, le plan du récit est précis. Et cependant, ce livre est un OVNI littéraire. Les mots s'entrechoquent, s'entremêlent et cohabitent de manière inattendue. Les métaphores surgissent là où on ne les attend pas et sous une forme originale. L'humour, les sentiments, les idées s'expriment par un usage très poétique et surréaliste du vocabulaire. Boris Vian parvient à nous émouvoir et à nous faire rire et réfléchir en jouant avec le rythme de la phrase et en utilisant les mots comme des notes de musique, il détourne leur usage habituel pour mieux nous entraîner dans un univers absurde, onirique et féérique. Tel un alchimiste du langage, il mélange, retourne, frictionne, frotte les mots les uns contre les autres, il en résulte des étincelles qui allument l'imagination. Comme dans une recette où l'on mélange des ingrédients non compatibles, la conséquence est souvent d'obtenir une saveur qui est plus que la simple addition des éléments simples : "Un portecuir en feuille de russie...", "Une atmosphère bénigne...", "...leurs cris aigres se reflétaient dans l'eau...", "...Il leva vers Chick un regard désincarné et malodorant...". C'est une oeuvre inclassable et innovante pour l'époque (publiée en 1947). Livre culte pour toute une génération et qui possède encore aujourd'hui un grand pouvoir d'attraction. L'auteur y dénonce les formes aliénantes du travail, le consumérisme, il tourne en dérision les rituels religieux et exprime une certaine défiance envers les intellectuels médiatiques en prenant pour cible Jean-Paul Sartre (Jean-Sol Partre).
Le "prince de Saint-Germain-des-près", comme ses amis le surnommaient, s'est éteint un matin de juin 1959 terrassé par une crise cardiaque au cinéma le Petit Marbeuf alors qu'il regardait une adaptation de son roman "J'irai cracher sur vos tombes". Il venait d'avoir 39 ans. Une mort prématurée dont il avait eu sans doute la prémonition en écrivant "L'écume des jours".
Je vous recommande de lire cet ouvrage avec un fond musical tel que "Mood to be Wooed" de Duke Ellington avec Johnny Hodges au saxophone. C'est sans doute ce genre de morceaux qu'écoutait Boris Vian en écrivant.
Quelques extraits :
Un trait de personnalité :
"Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait." page 10.
L'origine d'une recette :
"- Ce pâté d'anguille est remarquable, dit Chick. Qui t'a donné l'idée de le faire ?
- C'est Nicolas qui en a eu l'idée, dit Colin. Il y a une anguille - il y avait, plutôt - qui venait tous les jours dans son lavabo par la conduite d'eau froide.
- C'est curieux, dit Chick. Pourquoi çà ?
- Elle passait la tête et vidait le tube de pâte dentifrice en appuyant dessus avec ses dents. Nicolas ne se sert que de pâte américaine à l'ananas ça à dû la tenter." Page 16
Comment Colin s'est rapproché de Chloé :
"Il réduisit l'écartement de leurs deux corps par le moyen d'un raccourcissement du biceps droit, transmis, du cerveau, le long d'une paire de nerfs crâniens choisie judicieusement." Page 36.
Description de l'intérieur d'une église :
"Partout, de grandes lumières envoyaient des faisceaux de rayons sur des choses dorées qui les faisaient éclater dans tous les sens et les larges raies jaunes et violette de l'église donnaient à la nef l'aspect de l'abdomen d'une énorme guêpe couchée, vue de l'intérieur." Page 61.
Bibliographie :
"L'écume des jours", Boris Vian, J.J. Pauvert, collection 10/18 (1979), 187 pages avec une postface de Jacques Bens.
Adaptation au cinéma :
"L'écume des jours", film réalisé par Michel Gondry (2013). Avec Romain Duris, Audrey Tautou, Gad Elmaleh, Omar Sy.
Commenter  J’apprécie         251
Je m'attendais à un roman très sérieux, philosophique et complexe dans le sens péjoratif alors qu'après lecture je luis trouve ces qualificatifs mais dans le sens positif.
Je lui trouve aussi d'autres qualités, c'est drôle, loufoque, pleins de curiosités qui piquent la mienne, j'adore les jeux de mots comme Jean-Sol Partre ou manuscripte.
Les personnages sont bons, peu nombreux mais suffisant pour avoir de la diversité, sans oublier la souris, tous trouvent leur place naturellement dans l'intrigue. J'adore les tournures de phrases de Nicolas !
Des thèmes résolument modernes, le nénuphar dans le poumon, la version poétique du cancer, les agents de force qui abusent de leurs pouvoirs, les conditions de travail dégradantes. En lisant entre les lignes, en faisant attention aux détails, ce qui ressemble à un conte, un Alice aux pays des merveilles pour adultes, dévoile sa complexité. le champ lexical change « bruit de baiser sur l'épaule nue » à « son coeur éprouvait une angoisse étrange », la couleur aussi, celle de la vie puis celle grisâtre de la vie.
L'idéalisme du début se change en rage à l'annonce de la maladie de Chloé, par elle d'abord, elle en perd sa joie de vivre peu à peu, Colin également sombre dans la mélancolie et l'alcoolisme. Intéressant à suivre, sans être déprimant pour autant, il y a toujours des pointes de légèreté. le romantisme moderne qui est décrit dans la première moitié n'est pas du tout ennuyant, moi qui n'aime pas trop les romances, il fait désormais parti de mes exceptions.
Sur une autre note, le livre est musicale, par ses titres de jazz déjà et par son rythme, le roman est écrit comme une partition, cela m'a sauté aux yeux quand je l'ai commencé. La musicalité du début sonne comme une balade idyllique, cette belle symphonie tantôt s'accélère, tantôt se repose pour repartir de plus belle, quelques silences utiles.
Commenter  J’apprécie         240
Quand j'ai découvert ce roman en 67 , je crois , sous la couverture pastel de 10/18 je n'avais retenu que la poésie de l'invention et les élégances de langage . Plus tard , à la relecture , c'est l'aspect noir , presque tragique qui m'a frappé . maintenant , l'âge venant (en fait il est déjà venu) j'emploierais plutôt le terme de mélo. Mais j'ai toujours de la tendresse pour ce texte et Chloé et Colin. Et de la reconnaissance à Alise qui tue Jean Sol Partre .
Commenter  J’apprécie         240