Citations sur Les gratitudes (425)
–Comment ça s’appelle ?
–Le film ?
–Oui
–La merditude des choses.
–Ah… La mercitude…
Elle réfléchit un instant, soudain très sérieuse.
–C’est un mot… poli… joli… Mais tu es sûre que ça existe ?
Vieillir, c’est apprendre à perdre ... Perdre la mémoire, perdre ses repères, perdre ses mots. Perdre l’équilibre, la vue, la notion du temps, perdre le sommeil, perdre l’ouïe, perdre la boule.
Voilà donc ce qui t’attend, Michk’ : des petits pas, des petits sommes, des petits goûters, des petites sorties, des petites visites.
Une vie amoindrie, rétrécie, mais parfaitement réglée.
Pourquoi dites-vous « les personnes âgées » ? Vous devriez dire « les vieux ». C’est bien « les vieux ». Ça a le mérite d’être fier. Vous dites bien « les jeunes », non ? Vous ne dites pas « les personnes jeunes » ?
Vieillir, c’est apprendre à perdre. (…) Perdre ce qui vous a été donné, ce que vous avez gagné, ce que vous avez mérité, ce pour quoi vous vous êtes battu, ce que vous pensiez tenir à jamais. Se réajuster. Se réorganiser. Faire sans. Passer outre. N’avoir plus rien à perdre.
Mais ce qui continue de m’étonner, ce qui me sidère même ... c’est la pérennité des douleurs d’enfance. Une empreinte ardente, incandescente, malgré les années. Qui ne s’efface pas.
Parfois il faut assumer le vide laissé par la perte. Renoncer à faire diversion. Accepter qu'il n'y a plus rien à dire.
Je regarde mes vieux, ils ont soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix ans, ils me racontent des souvenirs lointains, ils me parlent d'époques anciennes, ancestrales, préhistoriques, leurs parents sont morts depuis quinze, vingt, trente ans, mais la douleur de l'enfant qu'ils ont été est toujours là. Intacte. Elle se lit sur leur visage et s'entend dans leur voix, à l’œil nu je la vois battre dans leur corps, dans leurs veines.
–Bon, allez, Michka, au travail ! Écoutez bien : antiquaire, disquaire, librairie, ébéniste… Quel est le terme générique qui les relie ?
–La disparition ?
« Je suis orthophoniste. Je travaille avec les mots et avec le silence. Les non-dits. Je travaille avec la honte, le secret, les regrets. Je travaille avec l’absence, les souvenirs disparus, et ceux qui ressurgissent, au détour d’un prénom, d’une image, d’un parfum. Je travaille avec les douleurs d’hier et celles d’aujourd’hui. Les confidences.
Et la peur de mourir.
Cela fait partie de mon métier.
Mais ce qui continue de m’étonner, ce qui me sidère même, ce qui - encore aujourd’hui, après plus de dix ans de pratique - me coupe parfois littéralement le souffle, c’est la pérennité des douleurs d’enfance. Une empreinte ardente, incandescente, malgré les années. Qui ne s’efface pas. »