Ginevra du Haut-Château

Cet appel inconscient trouvait une réponse dans la venue d’André Darmoise. A présent, son admiration lui faisait découvrir sa propre beauté comme une sorte de magique pouvoir. Elle se sentait joyeuse, excitée, comme elle ne se souvenait pas de l’avoir jamais été. Son existence, jusque-là terne et monotone changerait. Elle allait vivre vraiment et non pas en fonction d’un ordre établi.
Séduisant, venu d’ailleurs, habitué à une autre vie, André Darmoise éveillait en elle une sorte de combativité, l’envie de se mesurer avec lui.
Entre eux, un duel s’engageait et, pour s’être conduit avec lui comme avec un quelconque admirateur de son entourage, elle éprouvait l’orgueilleuse satisfaction d’avoir gagné la première manche.
Elle voulait oublier son trouble, oublier que son cœur s’affolait sous le regard clair de l’étranger.
Qui donc, dans ces sortes de combats, peut prévoir qui sera vainqueur ou vaincu ?…

Ginevra n’avait pas eu le temps de connaître son père, de le comprendre, de se faire aimer de lui. Elle en gardait un regret poignant et une sorte de remords.
N’aurait-elle pas dû se montrer moins timide, plus hardie, lui dire :
« Père, je vous aime, j’ai besoin de votre affection… Pourquoi ne m’aimez-vous pas ? »
Elle n’avait jamais osé.
Il lui semblait pourtant qu’il s’en était fallu de peu pour que naisse la tendresse, que disparaisse cette espèce de méfiance qu’il lui témoignait, que fonde cette carapace de froideur dont il s’entourait.
Les derniers temps de sa vie, il se montrait envers sa fille sinon affectueux, du moins plus proche.

— Jolie fille ! ...
La jeune fille méritait pleinement cette appréciation. Comment ne pas remarquer l’élégance de ses proportions, la manière dont elle portait avec une grâce antique, une tête petite, couronnée de cheveux d’un brun roux, qui se gonflaient en souples volutes. Du visage, on distinguait des traits réguliers un ovale allongé où les yeux sombres tenaient une large place.

Ce n’est pas parce qu’il me fait des sourires que je changerai d’opinion sur lui. Il ne m’inspire pas plus confiance aujourd’hui qu’hier. Quant à toi, ma fille, tu es trop sûre de toi. La vanité est un piège dans lequel tu es en train de tomber. Il ne faut jamais braver le sort.

Cette tendresse non obtenue lui laissait comme un vide, un bien perdu qu’on sait ne jamais retrouver. Elle ne pouvait voir une fille suspendue au bras de son père sans que son cœur frustré lui fît mal.