Donbass, un nom qui claque comme une rafale de kalachnikov. Un territoire presque inconnu aux yeux de l'Occident il y a encore quelques mois et que beaucoup d'entre nous savent désormais situer sur une carte d'Ukraine depuis un fameux 24 février 2022 où la Fédération de Russie a lancé ce qu'elle nomme « une opération spéciale » contre l'Ukraine.
Le conflit qui déchire ce grand bassin minier et sidérurgique d'Ukraine existe pourtant bel et bien depuis le printemps 2014, opposant soldats pro-européens de la République d'Ukraine et séparatistes prorusses soutenus par Poutine sur une ligne de front qui divise autant un territoire désormais abîmé que des familles qui le sont tout autant.
Lorsque le roman commence, nous sommes en 2018. Quatre ans déjà ! Sur ce territoire où le conflit et ses tirs d'artillerie quotidiens sont entrés dans la routine de ses habitants, nous découvrons une ville, Avdïivka, posée là comme une déflagration dans le paysage, tout près de la ligne de front. C'est dans cette ville, dans un quartier sombre et lugubre, que l'on va découvrir le corps du petit Sacha Zourabov, un enfant de six ans sauvagement assassiné et mutilé.
Le colonel de police, Henrik Kavadze, un vétéran de la guerre d'Afghanistan quand l'Ukraine n'était alors qu'une république de l'URSS, est dépêché sur les lieux pour prendre en charge l'enquête...
Henrik Kavadze est un flic cynique et désabusé. Il fait partie de ces hommes qui avancent désormais parmi les vivants et les morts, dans un paysage de désolation peuplé de maisons détruites, de gares désaffectées, d'arbres soufflés par l'éclat des explosions.
Le cauchemar afghan le réveille souvent, le taraudant comme une vrille dans la tête. Mais depuis l'horreur de la découverte du cadavre de ce garçonnet, ce sont des réminiscences, les fantômes du passé...
Sa vie n'est qu'un désastre, un champ dévasté par les mines.
Dans une enquête qui piétine, Henrik Kavadze doit jouer des coudes. S'il n'y avait que la guerre... Mais il doit composer avec la corruption, les trafics en tous genres, des gangsters devenus des patrons d'usines sidérurgiques... Sans compter une hiérarchie en déliquescence...
Parfois il faut passer de l'autre côté, se débrouiller avec un laissé-passez obtenu à l'arrache, tâcher de revenir vivant et entier...
Ici
Benoît Vitkine, grand reporter de guerre au Figaro, connaît bien son sujet. Il connaît ce terrain miné comme sa poche. C'est une fiction, mais une réalité âpre et oppressante nous colle sans cesse à la peau.
La force de ce roman est son écriture réaliste qui nous plonge d'emblée dans le chaos. À chaque page, le fracas métallique venu du ciel résonne dans nos têtes. Nous sursautons au bruit des tirs de mortier... Nous sentons l'odeur de la mort parmi la boue et la neige souillée, les tensions palpables entre les protagonistes de l'histoire.
Et puis il y a la douleur d'Alina Zourabov la mère du garçon assassiné, celle aussi de la vieille Louissia Louzovitch, deux personnages féminins qui m'ont touché.
Parfois il y a une trêve, le temps d'enterrer un enfant, un enfant qui aura vécu la majorité de sa vie dans la guerre.
Au prétexte d'un thriller au ton cynique,
Benoît Vitkine nous invite au plus près de ce conflit. Sans doute l'auteur n'imaginait pas, en écrivant ce roman en 2020, l'ampleur que les événements prendraient deux ans plus tard, ou peut-être si, en analyste géopolitique averti, car tout était déjà écrit, dans les cicatrices du terrain et dans la tête de Poutine...
Combien de familles déchirées, pro-ukrainiennes contre prorusses... ? Modernistes contre traditionnalistes... ? Qui saura un jour réparer les routes, les ponts détruits entre ces familles ? Combien de temps faudra-t-il pour cela ?
Paysages humains de désolation, dévastés à jamais, parfois irisés par des rires qui tiennent chaud au fond d'une cave, tandis que les bombes pilonnent dans le lointain.
Vous l'aurez compris,
Donbass est un roman noir au sens littéral du terme, qui résonne aujourd'hui d'une voix particulière, avec en arrière-plan de nos préoccupations la réalité d'un conflit à fleur de peau qui n'en finit pas de se propager. Un roman à lire aussi pour s'immerger au plus près de ces existences fracassées par une guerre qu'elles n'ont pas voulue, les yeux tendus vers l'Occident, là où le soleil se couche.
Un roman pour mieux comprendre cette réalité insupportable...