En mars 2018, dans l'est d'une Ukraine en guerre, le terrible meurtre d'un enfant secoue le village.
Ce village d'Avdiïvka "n'était qu'une bourgade parmi les nombreuses localités du
Donbass convoitées par les séparatistes. Ceux-ci étant apparus dans l'est et le sud de l'Ukraine dans la foulée de la révolution de Maïdan, à Kiev. le renversement du président et la victoire des proeuropéens dans les rues de la capitale avaient suscité une série de révoltes dans les régions orientales et méridionales. Les rebelles se revendiquaient prorusses et refusaient l'autorité du nouveau pouvoir. le mouvement avait fait long feu, mais dans la région minière et industrielle du
Donbass, la rébellion s'était imposée. " (p21)
Dans cette région peuplée de "veuves esseulées" (p64), "impassibles", des "survivantes" "qui trompaient la mort en croquant de grosses parts de tartes avec leurs dernières dents" (p62) et à qui "peu leur importait de vivre en Union Soviétique, en Russie, en Ukraine, elles avaient tout connu et tout était égal. "(p63), dans cette région disions-nous, un policier cynique mène l'enquête, héritier sur un malentendu d'une image de "patriote indéfectible" d'être resté dans les rangs ukrainiens, en somme par paresse et certainement pas par foi illusoire d'un "avenir radieux" nationaliste.
"Les gens du
Donbass étaient trop ancrés dans leurs habitudes soviétiques pour être séduits par un quelconque discours d'"émancipation" comme on disait pompeusement à Kiev." (p34). "Kiev s'était lourdement trompée sur le compte du
Donbass. Elle avait fait sa révolution et cru que ceux de l'Est, les gueux, suivraient ou se tairaient, comme ils l'avaient toujours fait. le Maïdan avait été un cri de colère contre la corruption, l'injustice...les habitants du
Donbass partageaient ce cri, mais ils n'avaient que faire du discours nationaliste et chauvin qui l'accompagnait." (p81)
"La menace d'enlever au russe son statut de langue officielle n'avait fait qu'accroître cette crispation. Seulement, personne n'était prêt à écouter. Alors ceux de l'Est s'étaient tournés vers ceux qu'ils connaissaient : pendant que Kiev choisissait l'Europe et s'illusionnait en songeant à un futur meilleur, le
Donbass avait regardé vers Moscou et cherché refuge dans le passé".(p81)
Et les tirs d'obus tombent sur une population de vieux qui "de toute leur vie [...] n'avaient rien réclamé à personne, [...] avaient travaillé tout le temps que l'état leur avait dit de travailler. Puis l'Etat avait disparu, et avec lui les retraites qu'ils avaient attendu toute leur vie" (p87)
Persuadé que rien ne deviendra jamais "plus moderne" ou plus juste dans ce pays, notre flic désabusé est cependant bienveillant devant "les plus exaltés, les plus politisés" qui "s'étaient convaincus qu'ils défendaient l'Europe tout entière - qui, elle, s'en contrefoutait - ou qu'ils étaient occuper à bâtir l'Ukraine de demain". (p115)
Outre que l'enquête à rebondissements nous mène le long de la ligne de front imaginée par les hommes, et maintient brillament la tension du récit jusque dans les dernières pages, ce livre est salutaire - non seulement par le fait d'écrire (de surcroît sans pathos) sur un conflit ignoré par l'Occident pendant 8 années et d'en permettre une compréhension - ou à tout le moins une meilleure connaissance sur un ton si rare et pourtant si précieux qui n'accuse en somme personne, il est également salutaire par sa capacité à rendre l'impuissance de chacun dans les quêtes identitaires des peuples et à peindre le désabusement fatigué et légitime devant les statues de Chevtchenko remplaçant les statues de
Lénine au milieu des ruines.