Tres interressant livre dee soufi a deguster selon la couleur du temps.
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On raconte qu'un jour, de son vivant, Sufyān al-Thawrī [716-778] étant allé au bâzâr vit qu'on mettait en vente un petit oiseau. Il l'acheta et lui rendit la liberté. Cet oiseau venait chaque jour chez Sufyān et, quand il le trouvait absorbé dans ses exercices de piété, il le contemplait en silence, se posant chaque fois sur son épaule. Quand on déposa Sufyān dans sa dernière demeure, ce petit oiseau, poussant des cris plaintifs, vint se poser sur le corbillard et accompagna le corps ; ce que voyant, tous les assistants se mirent à pleurer. Puis, à la fin, il se plaça sur le tombeau et tomba lui-même inanimé. (p. 195)
Yusûf ibn Hussein demanda à Dhû-l-Nûn [l’Égyptien, 796-859] : « Avec qui faut-il entretenir des relations ? – Avec celui-là, répondit-il, qui n’introduira dans vos rapports ni le ‘’toi’’ ni le ‘’moi’’. – Donne-moi un conseil, ajouta-t-il. – Sois l’ami du Seigneur très haut, dit Dhû-l-Nûn, et l’ennemi de tes passions. Ne considère jamais personne comme étant au-dessous de toi-même, fût-ce un chien. Si tu donnes ton être extérieur à la créature, donne à Dieu ton être intérieur. Lorsque Dieu t’enverra un bienfait, rends-lui de nombreuses actions de grâce ; si, au contraire, une épreuve vient à ta rencontre, supporte-la avec patience. » Quelqu’un lui ayant dit : « Ô Dhû-l-Nûn ! Je t’aime », Dhû-l-Nûn lui répondit : « Connais-tu le Seigneur très haut ? Si tu le connais, aime-Le, car l’amitié que tu as pour Lui doit te suffire. Si tu ne Le connais pas, cherche quelqu’un qui te fasse arriver jusqu’à Lui et te fasse connaître de Lui. » (p. 153)
Un jour jour un riche négociant, étant venu trouver Râbi'a al-Adawiyya, vit que sa maison tombait en ruine. Il lui donna mille pièces d'or et lui fit présent d'une maison en bon état. Râbi'a s'y rendit et n'y fut pas plus tôt installée que, voyant les peintures de cette maison, elle se laissa absorber dans leur contemplation. Aussitôt, rendant à ce marchand les milles pièces d'or et la maison, elle lui dit : " Je crains que mon cœur ne s'attache à cette maison et qu'il ne me soit plus possible de m'occuper des œuvres de l'autre monde. Mon seul désir est de me consacrer au service du Seigneur Très-Haut.
Bayezid [Bistamî, 804-874] s’étant donc séparé de ces gens se remit en route. Sur son chemin il trouva le crâne desséché d’un homme. Il le ramassa et vit gravé dessus : « Sourds, muets, aveugles ils sont, les gens qui n’ont pas écouté la parole de Dieu »(1). Bayezid, devenu tout pensif devant le crâne, dit : « Cette tête ressemble à celle d’un soufi sur laquelle on aurait tracé des caractères. Elle n’a ni oreille pour entendre les appels du Seigneur très haut, ni œil pour voir ses œuvres, ni langue pour enseigner les mystères de sa connaissance. Entendu ainsi, ce verset a été inscrit avec justice sur cette tête. »
(1) Qoran, sour. II. Vers. 17. (p. 157)
Un autre jour, à Bagdad, on avait pendu un voleur et Junaîd était venu lui baiser les pieds. « Pourquoi agissez-vous ainsi ? lui demandèrent ses disciples. – Il a fini par mourir de son métier, répondit Junaîd ; à votre tour armez-vous de courage et risquez, s’il le faut, votre tête dans l’accomplissement de votre œuvre. » (p. 266)
Lors de l'émission “Cultures d'Islam”, diffusée sur France Culture le 24 janvier 2014, Abdelwahab Meddeb s'entretenait avec Leili Anvar autour de sa nouvelle traduction du “Cantique des Oiseaux” du poète mystique persan Farîd od-dîn ‘Attâr. Réalisation : Rafik Zénine. Avant d’arriver à l’Absolu, demeure du Sîmorgh, des milliers d’oiseaux traversent sept vallées : celles du désir, de l’amour, de la connaissance, de la plénitude, de l’unicité, de la perplexité, du dénuement, de l’anéantissement. Presque tous meurent ou abandonnent en chemin. Seuls trente arrivent au but : sî morgh, « trente oiseaux ». A travers ce jeu de mots (sî morgh, Sîmorgh), ‘Attâr nous signifie que les sept vallées ne sont que les étapes d’un cheminement intérieur. Au bout, les âmes ne pouvaient que se voir elles-mêmes. Même à ce stade ultime, les oiseaux restent noyés en eux-mêmes.
« Vous avez cherché l’Autre en cheminant longtemps / Vous ne voyez pourtant que vous, rien que vous ! » (distique 4277).
C’est que l’objet de la quête n’est pas en dehors de vous, il est en vous. Simorgh demeure invisible pour les yeux, indicible par la parole, inaudible à l’ouïe. Il ne vous reste qu’à plonger dans le feu de sa Présence et disparaître. De cet état, personne n’est revenu.
Comment en faire alors le récit ? s’interroge ‘Attâr (circa1158-1221), l’immense poète de Nishapur dont le “Mantiq at-Tayr” nous est donné ici en vers en conservant le paradoxe qui habite l’original : Comment dire l’indicible ? Comment figurer l’invisible ? Comment penser l’impensable ?
La tâche du traducteur est de rendre l’œuvre dans son ambivalence entre l’opacité et la transparence, où se déploie sa densité.
Farîd od-dîn ‘Attâr, “Le Cantique des Oiseaux” : traduction Leili Anvar, choix d’illustrations de peintures islamiques d’Orient analysées et commentées par Michael Barry. (éd. Diane de Selliers)
Invitée :
Leili Anvar, de l'INALCO
“Cultures d’Islam” participe à la levée d’une méconnaissance pour que les références islamiques circulent dans le sens commun et, d’une façon plus ouverte, moderne et polyphonique, approche l’Islam en tant que phénomène de civilisation.
Abdelwahab Meddeb, le producteur de “Cultures d'Islam”, s'est éteint dans la nuit du 5 au 6 novembre 2014. Abdelwahab Meddeb était romancier, essayiste, scénariste, traducteur et poète, et il était devenu au fil des années l'une des voix marquantes de France Culture.
Thèmes : Idées| Civilisation| Peinture| Poésie| Islam
Source : France Culture
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