L'homme n'est jamais sûr ; un pauvre bougre peut soudain aller creuser au fond de lui-même, il y trouve une résistance absurde, un petit clou, une écharde.
Les ombres pénétrèrent le grand vestibule du palais de l'Assemblée ; mais bientôt, il n'y aura plus d'Assemblée, il n'y aura plus de Président, et dans quelques années, il n'y aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants.
Schuschnigg regarda fixement Adolf Hitler Il écrira plus tard dans son livre de souvenirs qu'Hitler exerçait sur les hommes une emprise magique . Et il ajoute :"Le Fuhrer attirait les autres à lui par une force magnétique puis les repoussait avec une telle violence qu'un abime s'ouvrait alors que rien ne pouvait combler ".On voit qu'il n'est pas avare d'explications ésotériques .Cela justifie ses faiblesses .Le chancelier du Reich est un être surnaturel ,celui que la propagande de Goebbels veut nous montrer, créature chimérique, effrayante , inspirée . 52
On voit que l’ingénierie financière sert depuis toujours aux manœuvres les plus nocives.
[...] lorsque l’humour incline à tant de noirceur, il dit la vérité.
La littérature permet tout, dit-on.
À cette époque, à la grande braderie des personnalités, les Françaises veulent Tino Rossi aux Galeries Lafayette et les Américaines swinguer sur des tubes de Benny Goodman. Mais les Autrichiennes s’en foutent bien de Tino Rossi et de Benny Goodman ; elles ont demandé Adolf Hitler. Ainsi, régulièrement, à l’entrée des villages, on entend crier : “Der Führer kommt !” Et puis, comme rien ne vient, on se remet à discuter de choses et d’autres.
Ils s'appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons. Nous les connaissons même très bien. Ils sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d'entretien, nos radios-réveils, l'assurance de notre maison, la pile de notre montre. Ils sont là, partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent, nous transportent sur les routes du monde, nous bercent. Et les vingt-quatre bonshommes présents au palais du président du Reichstag, ce 20 février, ne sont rien d'autre que leurs mandataires, le clergé de la grande industrie; ce sont les prêtres de Ptah. Et ils se tiennent là impassibles, comme vingt-quatre machines à calculer aux portes de l'enfer.
Si l'on soulève les haillons hideux de l'Histoire, on trouve cela: la hiérarchie contre l'égalité, et l'ordre contre la liberté.
Et peu importe que ce matin-là Helene ait vu ou non, parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous les regards amusés des passants. Peu importe qu'elle ait ou non assisté à ces scènes ignobles où on leur fit brouter de l'herbe. Sa mort traduit seulement ce qu'elle ressentit, le grand malheur, la réalité hideuse, son dégoût pour un monde qu'elle vit se déployer dans sa nudité meurtrière. Car au fond, le crime était déjà là, dans les petits drapeaux, dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti. Et jusque dans les rires, dans cette ferveur déchaînée, Helene Kuhner dut sentir la haine et la jouissance. Elle a dû entrevoir-en un raptus terrifiant-, derrière ces millions de silhouettes, de visages, des millions de forçats. Et elle a deviné, derrière la liesse effrayante, la carrière de granit de Mauthausen. Alors, elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l'odeur fraîche des myosotis, au cœur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.