Citations sur L'ordre du jour (340)
Il n’a pas voulu voir la vérité en face. Mais, à présent, la voici qui vient à lui, tout près, horrible, inévitable. Et elle lui crache au visage le secret douloureux de ses compromis.
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Le droit constitutionnel est comme les mathématiques, on ne peut pas tricher.
Il a la certitude d'avoir sauvé la paix en Europe, c'est ce qu'il nous dit. Il n'en croit rien. “Ah ! les cons, s'ils savaient !” aurait-il murmuré à sa descente d'avion face à la foule qui l'acclame.
Sur le site du groupe Thyssen-Krupp, l’un des leaders mondiaux de l’acier, dont le siège est toujours à Essen et dont les mots d’ordre sont à présent souplesse et transparence, on trouve une petite note sur les Krupp. Gustav n’a pas activement soutenu Hitler avant 1933, nous dit-on, mais une fois celui-ci nommé chancelier, il s’est montré loyal envers son pays. Il ne devint membre du parti Nazi qu’en 1940, est-il précisé, pour son soixante-dixième anniversaire.
Il n’est question ni des usines concentrationnaire, ni des travailleurs forcés, ni de rien.
Enfin, au bout d'un long couloir de discussions, haussant ses lourdes épaules, fatigué, dégoûté sans doute, le vieux Miklas, vers minuit, tandis que les nazis se sont déjà emparés des principaux centres de pouvoir, que Seyss-Inquart refuse toujours obstinément de parapher son télégramme, que dans la ville de Vienne se poursuivent des scènes de folie, émeutiers assassins, incendies, hurlements, Juifs traînés par les cheveux dans des rues jonchées de débris, alors que les grandes démocraties semblent ne rien voir, que l'Angleterre s'est couchée et ronronne paisiblement, que la France fait de beaux rêves, que tout le monde s'en fout, le vieux Miklas, à contrecœur, finit de par nommer le nazi Seyss-Inquart, Chancelier d'Autriche. Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas.
Et tandis que le Führer en était à préparer son agression contre la France, alors que son Etat-major en était à resucer les vieilles formules de Schlieffen, et que ses mécaniciens en étaient encore à réparer leurs panzers, Hollywood avait déjà déposé leurs costumes sur les rayonnages du passé. Ils étaient pendus aux cintres des affaires classés, pliés et empilés au rayon des vieilleries. Oui, bien avant que la guerre ne commence, tandis que Lebrun, aveugle et sourd, rend ses décrets sur la loterie, tandis qu'Halifax joue les complices, et que le peuple effaré d'Autriche croit apercevoir son destin dans la silhouette d'un fou, les costumes des militaires nazis sont déjà remisés au magasin des accessoires.
La corruption est un poste incompressible du budget des grandes entreprises, cela porte plusieurs noms, lobbying, étrennes, financement des partis.
On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi. Et on voudrait tant ne plus tomber qu'on s'arc-boute, on hurle. A coups de talon, on nous brise les doigts, à coups de bec on nous casse les dents, on nous ronge les yeux. L'abîme est bordé de hautes demeures. Et l'Histoire est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l'an, des gerbes séchées de pivoines, et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux.
Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas.
Alors elle s'est vue mourir. Dans le sourire des jeunes filles de Vienne, le 12 mars 1938, au milieu des cris de la foule, dans l'odeur fraîche des myosotis, au coeur de cette allégresse bizarre, de toute cette ferveur, elle dut éprouver un noir chagrin.