«
Jeu blanc »: au hockey, partie au cours de laquelle aucune équipe ne marque. Saluons donc le travail de la traductrice,
Christine Raguet, pour ce titre superbe dont les sens multiples rendent si bien compte de ce beau roman.
Petit indien orphelin, Saul est recueilli par un établissement catholique. Dans ce lieu austère et hypocrite où l'amour divin sans cesse invoqué tue plutôt qu'il ne sauve, il parvient à survivre en développant ses dons innés pour le hockey.
« Ma grand-mère parlait toujours de l'univers comme étant le Grand Mystère.[...]
« Nous avons besoin de mystère, avait-elle dit. Notre Créatrice, dans sa grande sagesse, le savait. le mystère nous remplit de crainte et d'émerveillement, ce sont les fondements de l'humilité, et l'humilité, petit-fils, est le fondement de tout apprentissage. C'est pourquoi nous ne cherchons pas à démêler cela. Nous l'honorons en le préservant ainsi pour toujours. »
Quand je me livrais au mystère de la glace, je devenais une créature différente. »
Il est rare de lire un texte où la beauté du sport soit à ce point magnifiée, beauté faite du bonheur d'apprendre et de progresser, de l'extase née du geste juste, de la perfection du jeu collectif où chacun est à sa place, de la joie de se surpasser.
« Saul », c'est-à-dire « le désiré » va pourtant très vite comprendre toute l'ironie de son nom. Dans ce sport de Blancs, il devient l'autre, essentialisé, renvoyé à ses origines. « Si, par inadvertance, il m'arrivait d'élever ma crosse au cours d'une empoignade dans un coin, je « prenais des scalps ». Quand je ne réagissais pas à une pénalité, j'étais un « Indien stoïque ». Un journaliste me décrivit en train de traverser en trombe la ligne bleue adverse, le palet sur la crosse: j'avais l'oeil brillant d'un guerrier en peintures de guerre à l'assaut d'un convoi de chariots. Ce sport si bien ordonné et à la vitesse explosive, que j'apprenais à pratiquer, m'enthousiasmait. Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l'une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un Indien. »
Saul cherchera à comprendre pourquoi le sport n'a pu le sauver. Dans une dernière partie désertée par la sublimation littéraire, Saul le désiré trouvera la racine du mal, mettra des mots sur l'abjection que le roman d'apprentissage avait plus ou moins occulté.
« Je suppliai qu'on m'apprenne à patiner. Mais le Père Quinney n'autorisait que les grands à jouer. J'avais huit ans et j'étais petit. Je ne cessai de demander et pour finir, le Père Leboutilier posa sa main entre mes omoplates et se pencha pour me parler. Sa main chaude me fit penser au contact de ma grand-mère.
« Je ne peux rien faire, Saul, dit-il doucement. le règlement c'est le règlement. Si je devais ne pas le respecter pour toi, ça pourrait empêcher tout le monde de jouer.
— Mais je veux apprendre. »
Il sourit et m'attira à lui pour me prendre dans ses bras. Je fermai les yeux et je pleurai presque en souvenir de mon père. Il me tint ainsi un bon moment, puis me libéra.
« Est-ce que je peux m'occuper de la glace, alors?
— Tu veux pelleter la neige?
— Oui. N'importe quoi. »
Il regarda la course des garçons sur la glace.
« Tant que tu continues à bien étudier et que tu fais bien tes corvées, je crois que je peux arranger cela. »