Fouché : un traître, l'homme du secret ; le policier tapi dans l'ombre. Ce sont souvent ces mots qui sont immédiatement associés au nom de Fouché. Cette image a été répandu sinon créée par les historiens et les écrivains du 19ème siècle. Qui ne se souvient d'
Une ténébreuse affaireDe Balzac.
C'est ce personnage que Waresquiel dans sa complète et érudite biographie essaie de comprendre et de nuancer.
Fouché est né en 1759 près de Nantes. Son père s'est enrichi grâce à la traite négrière. Il a fait ses études dans un collège oratorien et va y rester comme professeur de physique. Fouché ordonné prêtre fait partie de sa légende.
Les événements vont servir ses ambitions cachées. La Révolution le trouve sur les bancs des Jacobins. Il vote la mort de
Louis XVI. Il va rester pour toute sa vie un régicide. Il déteste
Robespierre. Leur entente est impossible. Il n'y a pas de place pour deux ambitions.
Il participe à tous les gouvernements que connait la France comme ministre de la Police. Son goût du secret, son art de la manipulation, son habileté dans le mensonge font des merveilles à ce poste. Il connait tout, il sait tout grâce à ses « mouchards » ou à ses « moutons ». Enfermé dans son cabinet, il fait des listes . Tout est comptabilisé , les infractions, les insoumissions, les vagabondages mais aussi les fortunes. le passeport est obligatoire pour se déplacer même en France. C'est » le silence de la pieuvre » qui enlace la France. Pour avoir une police efficace, il faut de l'argent. Il va le trouver dans la caisse des jeux. C'est l'origine de rumeurs dont celle d'un cabinet noir. Malgré ses méthodes contestables, Fouché transforme la police. Il la sépare de la justice et en fait une administration indépendante ; On peut dire qu'il est le créateur de la police moderne.
Fouché aime le pouvoir. « Sa seule jouissance à lui, c'est le pouvoir « . La conquête du pouvoir est le but constant de sa vie. Sa fascination pour le pouvoir explique ses relations houleuses avec
Bonaparte. Les deux hommes se détestent mais ils se savent indispensables l'un à l'autre. Un véritable jeu de chat et de souris. le seul qui puisse rivaliser avec lui est Talleyrand.,ministre « inamovible » des Affaires extérieures, poste convoité par Fouché. A la fois, semblables et différents, ils se haïssent. Ce pouvoir, Fouché l'exerce de façon occulte par le contrôle de la population. Ils chassent
les proscrits, les suspects. Il contribue ainsi à augmenter le nombre des émigrés ; Mais, ensuite, il facilite leur retour et leur intégration. Il a très bien compris l'importance de l'opinion .Il surveille tout mouvement de mécontentement. Il est le précurseur des Renseignements généraux. Il utilise la presse pour manipuler l'opinion. Il fait ainsi écrire des articles à la gloire de Napoléon. En fait, il se mêle de tout y compris des affaires de famille de Napoléon. Il n'hésite pas à pousser au divorce avec Joséphine. Napoléon ne le supporte plus « le ministre de la Police est le ministre de ma personne «
Mais, E de Waresquiel va plus loin. Il tente de comprendre l'homme Fouché. Qui se cache derrière ce personnage physiquement laid, avec des yeux fascinants, cynique, mystérieux ?
Il faut replacer Fouché dans son époque ; L'épisode de la Révolution l'a profondément marqué. C'est une période terrible où chacun devait se protéger, se méfier de toute personne qui pouvait le dénoncer. C'est l'explication du goût pour le secret, la dissimulation, la manipulation. C'est aussi, à cette époque, que Fouché va acquérir des idées politiques auxquelles il va rester fidèle . Il va être tout sa vie un jacobin et un anticlérical. Et pourtant, Dans son château de Ferrières, il vit comme un noble. Il aime côtoyer les grandes dames comme la marquise de Custine, une de ses plus proches amies, ou Mme de Staël « la femme la plus extraordinaire du siècle « d'après lui. C'est un homme insaisissable « Un renard doublé d'un caméléon « . Il semble indifférent, méprisant. Il cache peut être simplement sa nervosité et son hypersensibilité. C'est un bon père de famille ; Il a épousé Bonne Jeanne Coiquaud, d'une famille nantaise connue, laide, ambitieuse et avare. Il lui reste fidèle jusqu'à sa mort à l'âge de 47 ans. Il se remarie avec Ernestine de Castellane de trente plus jeune que lui. Elle ne va connaître avec lui que les chemins de l'exil. Il aime ses enfants et est bouleversé par la mort en bas âge de trois d'entre eux. Dans le parc de Verrières, il fait de longues promenades, sa distraction favorite. Il n'est pas attiré par l'art mais aime la musique.
Les dernières années le mènent sur les routes de l'exil : Dresde, Prague, Linz. Il meurt à Trieste le 26 Décembre 1820 dans l'indifférence générale.
« Son nom est resté longtemps synonyme de trahison et d'abjection. Zweig, en l'assimilant, dans l'essai qu'il lui consacre entre les deux guerres au mal totalitaire en pleine ascension, n'a rien arrangé. L'ancien régicide a tant brouillé les pistes et effacé les traces qu'il faut un rude flair et beaucoup de patience pour le suivre jusque dans ses paradoxes et sa complexité. Avec lui, il reste et restera toujours une part d'ombre, une zone grise. »
Cest ce personnage complexe que nous restitue E de Waresquiel. Un vrai travail d'historien pour une vie qui ressemble à un roman noir.