Tout ce que j'ai, tout ce que je suis appartient maintenant à mon mari. Mon corps, mon courage, mes idées, mon intelligence, mes connaissances, ma force, mon ventre. Il pourra se servir à volonté, me piller sans complexe et s'appuyer sur moi de tout son poids, tout en me faisant croire que je ne vaux rien.
Sur ce même lit, l'homme qui vient de me violer a une tête d'enfant. Il n'est pas pire que les autres. Pas meilleur non plus. De lui, je ne veux rien savoir.
Je m'allonge sur le tapis. Je me dis que tant que je serai dans cette maison, tant que je serai une épouse forcée, c'est là que sera ma place. Par terre.
J'attends qu'un nouveau jour se lève avec pour réconfort les mots d'un frère sur ma messagerie :
"Tiens bon, petite sœur. Je te jure qu'on va te sortir de là."
C'est une violence sourde qui m'entoure. Leurs sourires menottent mes rêves, leurs massages griffent mon âme. Je suis incarcérée dans une prison de femmes. La barbarie est silencieuse, parfumée.
J'ai l'impression de ne plus me connaître, de ne plus rien reconnaître . J'ai peut-être changé, mais eux aussi ont changé.
Je cours, plus le choix, je cours avec pour seules amies la lune et les étoiles. Je suis une poussière. Un petit grain de sable.
« Je marche vite dans la nuit froide. Autour de moi, des frémissements, des craquements, des rugissements, je sens des ombres qui me frôlent. Je m'enfonce dans une peur enfantine. Droit devant, les félins, les serpents, les monstres imaginaires. Je suis seule. Abandonnée. Je suis celle des contes. Il me faut traverser la nuit. Je ne pense plus à rien, je m'éloigne des miens. C'est une question de survie et je m'accroche à cette urgence. Ma tête est vide. Mon cœur désertique. Mon courage implacable. Je porte une tenue de garçon pour gagner ma liberté de fille. J'ai un mental de soldat. Un souffle de titan. Je suis une adolescente qui s'échappe de l'enfer qu'on lui a réservé. Une fille parmi tant d'autres qui court dans la nuit.» page 79
Je suis une fille éclairée et jamais je ne pourrai vivre dans l'obscurité.
"J'ai quatorze ans et ce n'est pas une bonne nouvelle. On va me marier et ce n'est pas une bonne nouvelle. Je suis une fille et ce n'est pas une bonne nouvelle." p57
Ici, sans entraide ni scolarité, les êtres humains ne peuvent survivre. C’est pourquoi dans les villages nous sommes très liés. C’est pourquoi nos traditions perdurent. Pour le meilleur comme pour le pire.
P 6
C'est fou, l'espoir, quand on y pense. Une lueur en pleine nuit. Une soudaine bouffée d'imaginaire. Une merveilleuse envie de vivre qui nous remet debout. Pour moi, c'est une plume de poule qu'un jour je saisis. La vie ne tient qu'à ça, une plume de poule qui un matin volette et atterrit près de mes pieds bandés. Une plume que je décide de transformer en stylet. J'écris un mot, puis une phrase sur la terre. J'invente la poésie. La mienne. J'écris mon envie d'avenir. J'écris les jours meilleurs et peu à peu avec les mots et la poussière, je reprends vie.