Je suis né, sinon au milieu de la lande, du moins si près d'elle que de trois côtés, j'avais ses bruns tapis sous les yeux. Quel changement pour moi, homme des bruyères âgé de dix-neuf ans, lorsque j'arrivai, comme précepteur, dans la charmante Falster I Ces champs avec leur richesse égyptienne en céréales, ces bois magnifiques, aussi exubérants que s'ils étaient importés d'Australie - je me demandais : es-tu vraiment au Danemark ? Et puis les ravissantes filles - je m'étonnais presque d'entendre des mots danois sortir de leurs lèvres épaisses ; j'aurais attendu du grec ou du tahitien.
Pour résumer de quelle manière le Jutland a pris une place si importante dans l'œuvre de notre auteur, citons Vilhelm Andersen : "La source de la poésie de Blicher n'est pas comme chez Ingemann le jaillissement dans la mémoire du temps de l'enfance, mais le revoir de l'homme confirmé avec le pays de l'enfance où il a vécu sans chagrins et la vie continuée dans ce pays. Le revoir n'est pas seulement le principe de la composition des nouvelles, mais l'âme de leur poésie".
L'amour du sol natal fait de Blicher le premier, et sans doute le plus grand, poète du Jutland. Le premier, il a compris la beauté et la grandeur de cette région sauvage, ressenti la plénitude qu'apportait à l'âme la contemplation de ce paysage sans limites ; et, le premier, il l'a chanté, avec un lyrisme si prenant qu'il n'a pas tardé à convaincre ses compatriotes pourtant rétifs.
Mon sol natal est le brun pays de la bruyère, le soleil de mon enfance a souri au-dessus de la sombre lande.