Ce tome fait suite à Daredevil by Chip Zdarsky Vol. 1: Know Fear (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 10 initialement parus en 2019, écrits par Chip Zardsky, dessinés par
Lalit Kumar Sharma, encrés par Jay Leisten et mis en couleurs par Java Tartaglia (épisodes 6 à 9), dessinés et encrés par
Jorge Fornes avec une mise en couleurs de
Jordie Bellaire pour l'épisode 10.
Dans le quartier d'Hell's Kitchen, Marcus et Janet s'apprêtent à ouvrir leur boutique. Elle voit 2 gros bras entrer dans a boutique de Kaplan sur le trottoir d'en face et un troisième monter la garde. Elle le fait observer à son mari qui dit qu'il a déjà aidé Kaplan le mois dernier en lui donnant des sous pour qu'il puisse payer Owl (Leiland Owsley) et qu'il ne peut pas faire plus. Une voiture de police passe devant la devanture de Kaplan, les policiers remarquent le guetteur, mais ils ne s'arrêtent pas. Les époux Janet & Marcus savent qu'ils doivent payer leur protection, que la police ne sert à rien et que Daredevil est mort. Matt Murdock sort de chez lui, mal rasé. Cole North est déjà à son bureau au commissariat, et l'inspecteur Higgins vient l'informer que la capitaine l'attend dans son bureau. En passant dans le couloir, il se fait chambrer par les inspecteurs Elias et Henry. La capitaine le sermonne sur son absence d'avancée sur le dossier Spider-Man, car elle a été relancée par le maire de New York Wilson Fisk.
Matt Murdock se rend à pied aux bureaux du service de gestion pénitentiaire de New York (New York City Department of Correction). En chemin, il s'achète des fraises bio, tout en regrettant que ses sens hyper-développés lui permettent d'y détecter des traces de peroxyde d'hydrogène. Il passe devant Edmund, un jeune homme, qui distribue des tracts pour l'abolition des prisons. Ça fait 8 semaines que Matt n'a pas revêtu son costume de Daredevil. Dans des sous-sols, Wilson Fisk est en train de se battre à main nue contre une demi-douzaine de détenus en combinaison orange. Énervé parce que l'un d'entre eux a saisi une brique, il se met à l'étrangler. Son conseiller Wesley Welch lui conseille d'arrêter parce qu'il faut qu'ils rendent les détenus en bon état à l'administration pénitentiaire. Matt Murdock rentre dans sa librairie de quartier et salue la propriétaire Mindy Libris. Avec ses sens hyper développés, il constate qu'il ne lui fait pas d'effet. Elle l'identifie tout de suite comme étant l'homme qui a été maire de New York pendant quelques jours. Il vient chercher une édition la plus ancienne possible de
la Maison d'Âpre-Vent (1852/1853) de
Charles Dickens (1812-1870).
Dès le premier tome,
Chip Zdarsky avait montré sa volonté de revenir vers une version de Daredevil classique, avec une touche adulte, ne serait-ce que par la conquête d'un soir de Matt Murdock. le lecteur retrouve cette approche, avec une nouvelle conquête féminine passagère et avec les thèmes développés. En surface,
Chip Zdarsky donne l'impression de musarder tranquillement. Suite à la bavure du premier tome, Matt Murdock a décidé d'arrêter d'être Daredevil, et ses ennemis s'en sont aperçu. On ne peut pas dire que l'intrigue fasse preuve d'une originalité folle : le lecteur peut déjà prévoir que des innocents vont payer cher l'absence de Daredevil pour les protéger et que Matt Murdock va finir par reprendre du service. Oui, c'est sûr… mais pas dans ce tome. le scénariste déploie des efforts d'ingéniosité pour remplir son quota de pages d'action par épisode, sans avoir à recourir à des scènes dans le passé : Wilson Fisk dérouille ses partenaires d'entraînement, un dîner de famille est interrompu par le tir d'un tireur embusqué, Cole North doit se défendre contre des agresseurs à deux reprises. Pendant ce temps-là, Matt Murdock apprécie son temps libre.
Sans grande surprise, le lecteur constate que le dessinateur n'est pas le même que celui du premier tome, une manière pour les responsables éditoriaux de gérer le fait qu'il faille plus d'un mois à un artiste pour dessiner 20 pages. Il note aussi que les responsables éditoriaux ont fait appel à un inconnu. Avec la séquence d'ouverture, il constate que par
Lalit Kumar Sharma maîtrise bien les décors. Les rues de Hell's Kitchen présentent bien les caractéristiques de l'urbanisme de ce quartier. Les locaux du commissariat sont en espace partagé avec le mobilier générique, fonctionnel et sans âme des bureaux. La librairie de Mindy Libris présente un aménagement intérieur plus personnel, pas juste des simples rayonnages industriels, et donne envie de pouvoir y flâner pour parcourir les livres. Des lieux comme l'intérieur d'une église ou les bureaux du service de gestion pénitentiaire de New York donnent l'impression d'être réalistes et plausibles, avec une architecture et un aménagement intérieur cohérents. le lecteur se dit qu'il pourrait s'installer à la table des Libris, dans leur salle à manger, pour partager leur repas avec Matt et participer à la conversation.
Lalit Kumar Sharma est moins convaincant avec les personnages. Dès le début, le lecteur tique un peu sur des expressions de visage qui semblent décalées ou un peu forcées. Ça a tendance à s'améliorer au fil des épisodes, même s'il y a une proportion d'yeux grands ouverts un peu élevée. le dessinateur éprouve également des difficultés à donner une morphologie à un personnage, cohérente d'un épisode à l'autre. le lecteur a l'impression que Mindy Libris est devenue obèse quand elle mange en famille. Il y a également des fluctuations étranges dans les anatomies des personnages, et dans les proportions des bras en particuliers. D'un autre côté, la narration visuelle est claire et rapide, sans problème de compréhension. Jay Leisten donne l'impression de s'appliquer à respecter les traits de l'artiste, sans essayer de plaquer l'encrage qu'il réalise pour
Greg Land avec qui il travaille souvent. S'il ne se focalise pas sur les personnages, le lecteur trouve de nombreuses scènes étonnantes et agréables : le harcèlement au bureau, le flirt à la librairie, la négociation à la banque, le tir aux pigeons dans le parc, le repas de famille. Enfin, le dernier épisode est dessiné par un autre artiste (
Jorge Fornes) qui réalise des planches fortement influencées par
Michael Lark,
David Aja,
Javier Pulido et
Chris Samnee. le résultat est dérivatif mais bien exécuté, agréable à l'oeil, sans être inoubliable.
Un peu désarçonné, le lecteur accepte de suivre le scénariste dans ces épisodes sans vraiment discerner la direction générale. Les scènes alternent entre la situation professionnelle peu enviable de Cole North, les souhaits d'évolution professionnelle et personnelle de Wilson Fisk, et faire connaissance avec Mindy Libris. Mais qu'en est-il de Matt Murdock ? Il a mis son costume au placard et retrouvé une vie privée dont il compte bien profiter. Il a un nouveau métier qui lui permet de venir en aide à des individus qui en ont besoin, et de participer à l'application de la loi en oeuvrant pour le bien de la société. le lecteur a régulièrement accès à son flux de pensée, et peut ainsi découvrir quelles réflexions occupent son esprit. Il souhaite flirter avec Mindy Libris et ne comprend pas que son charme naturel n'opère pas, tout en se sentant un peu coupable de disposer de ses hyper-sens pour lire ses réactions biologiques et en déduire son état d'esprit. Il les utilise également face à l'individu en liberté conditionnelle pour lui rappeler qu'il ne doit pas ingérer de substances psychoactives. Ses réflexions prennent une autre direction au cours de l'épisode 7 quand il est mis face aux conséquences de ses actions de manière inattendue et qu'il se sent submergé par un sentiment de culpabilité, pas simplement celle découlant du fait d'avoir causé une mort dans le tome précédent, mais aussi celle générée par le caractère irréconciliable de ses méthodes violentes et de sa foi.
Chip Zdarsky continue de sonder les convictions et les valeurs morales de Matt Murdock d'une manière personnelle dans une démarche honnête. Il ne s'agit pas simplement d'opposer des grands principes juste pour créer une impression de dynamique conflictuelle : il s'agit vraiment de s'interroger sur la compatibilité des convictions et des actions. Non seulement Matt Murdock se retrouve acculé au constat de ses contradictions, mais en plus il se retrouve à la table face à Isabelle Libris, la cheffe d'une famille mafieuse qui défend son bilan et ses méthodes, avec des arguments difficiles à réfuter. Matt Murdock se retrouve à nouveau sur la sellette à devoir reconnaître les défauts du système de justice de son pays, et ils sont nombreux. En parallèle, Cole North subit de plein fouet ces mêmes dysfonctionnements. Au fil des 5 épisodes,
Chip Zdarsky aborde la notion de vigilant de front, à partir de différents points de vue, remettant en question les méthodes de Matt Murdock, l'efficacité de ses actions, la notion de héros. Par contraste avec de nombreux autres auteurs, il ne le fait pas de manière cynique, ou en pointant du doigt une forme de maladie mentale chez Matt Murdock. Il le fait d'une manière adulte et réfléchie, sans se lancer non plus dans un discours magistral.
A priori, le lecteur se dit qu'il ne va pas beaucoup apprécier ce tome, avec un scénario qui suit une voie souvent empruntée, et un changement de dessinateur établi pour un inconnu. le début de sa lecture le conforte dans ses idées, même si
Lalit Kumar Sharma réalise un travail honorable malgré des imperfections, et
Jorge Fornes se livre à un exercice à la manière de, sans beaucoup d'inspiration. Dans le même temps, le lecteur se rend compte que
Chip Zdarsky ne répète pas les mêmes schémas en tirant sur les mêmes ficelles. Il s'agit bien de la phase de la saison dans laquelle l'auteur met son personnage en situation de difficulté, même si Matt Murdock est plutôt apaisé et satisfait de ses choix. Au fur et à mesure, Zdarsky sonde la personnalité de Matt Murdock, gentiment, mais sans rien lui épargner, mettant à jour les conflits psychiques irrésolus qui le minent. 4 étoiles si le lecteur se crispe sur les dessins, 5 étoiles si son intérêt va d'abord au personnage.