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3,9

sur 2664 notes
Deuxième roman de la saga des Rougon-Macquart, La curée transporte une partie de la famille dans le Paris du Second Empire, en pleine transformation avec la percée des boulevards haussmanniens.

Comme toujours chez Zola, le cadre est minutieusement décrit, en application du credo naturaliste qui cherche à se rapprocher le plus possible d'une vérité précise. Mais bien évidemment ces descriptions prennent tout leur sens car ce contexte exerce une influence essentielle sur les personnages, leurs décisions, leurs choix.

Et ces diverses personnalités sont très bien abordés par Zola dans leurs hésitations, leurs faiblesses, leurs vices. Comme dans beaucoup de ses romans, l'auteur est rarement tendre avec eux et les dépeint comme gouvernés principalement par leurs penchants et peu capables de sentiments humains, empathiques. Mais comme il n'épargne dans sa grande oeuvre aucun milieu social, ni la province ni la capitale, on ne peut pas trop critiquer cette sévérité.

Si les détails à foison sur les magouilles financières ou la réorganisation de Paris sont parfois lourds à force de précision, on comprend à quel point tout est important pour bien saisir l'atmosphère de l'époque et on en apprend beaucoup sur cette période charnière de l'Histoire de France.
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Aristide Rougon et sa femme Angèle, après avoir confié leur fille Clothilde à l'oncle Pascal et leur fils Maxime à la grand-mère, quittent Plassans pour Paris. Eugène, le frère d'Aristide, député, lui trouve un poste de commissaire-voyer adjoint et lui conseille de changer de nom pour devenir Saccard. Sa fonction au service de la voirie lui permet de maîtriser toutes les arcanes administratives liées aux expulsions, indemnisations, constructions, démolitions et autres opérations diverses; il se créé un réseau de connaissances dans le milieu immobilier. Ses grandes ambitions ne sont freinées que par un détail...l'absence de fonds, et ce n'est pas son frère Eugène, méfiant, qui va l'aider, mais sa soeur Rosalie, entremetteuse dans des affaires financières un peu douteuses et impliquée dans les mariages arrangés qui, une fois veuf, va lui présenter la famille Béraud du Châtel. Moyennant un capital et après des tractations laborieuses dignes d'un marchandage des plus âpres, Aristide Saccard épouse la jeune Renée, héritière de la famille, il fait venir son fils Maxime et se lance dans les affaires immobilières grâce aux connaissances patiemment acquises, doublant voire triplant les valeurs immobilières des biens qu'il acquiert, ces valeurs étant retenues par la suite, pour la détermination du montant des indemnités d'expropriation à verser.

La curée est le deuxième roman des Rougon-Macquart, roman dans lequel Emile Zola s'empare du capitalisme provoqué par la frénésie immobilière qui va saisir les affairistes de tous poils lors des travaux de transformation de Paris décidés par Napoléon III, et confiés au Baron Haussmann. Avec le personnage d'Aristide c'est une plongée dans les combines spéculatives organisées grâce à son réseau et le clientélisme avec les interlocuteurs bien placés qui est analysé avec humour - surtout dans les descriptions des personnages. Quant à Renée, à peine plus vieille que son beau-fils Maxime, elle représente la coquette qui accumule les toilettes, habituée à un train de vie correspondant à la bourgeoisie d'affaires et qui ne veut surtout pas être informée des problèmes financiers ou matériels. Au fil du roman. Maxime, le fils prodigue, un peu falot, se contente de profiter du système et des bienfaits de la situation de son père, une situation financière paternelle précaire et toujours sur le fil, Saccard multipliant les opérations de plus en plus risquées.
C'est donc un monde assez médiocre qui s'agite et s'adapte à l'effervescence de ce XIXème où tous les opportunismes, les compromissions, les chantages et les arrangements fleurissent pour garantir le fonctionnement de la société bourgeoise et affairiste que décrit Emile Zola avec acuité humour et esprit critique.
Un témoignage édifiant sur ce siècle bourgeois.
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Quand l'ascension saisit l'homme, la cupidité devient sa meilleure campagne, on en veut et on n'en veut toujours toujours, jusqu'à en mourir...c'est la curée que nous présente le père Emile dans le deuxième tome de la série des rougon-Macquart, on découvre une branche des Rougon, Aristide Rougon qui deviendra Artistide Saccard, un parvenu qui n'arrête pas de multiplier les opportunités pour accroitre sa fortune de manière aussi considérable, il se lance dans une course acharnée vers l'opulence allant jusqu'à consentir à un mariage "business" avec Renée, une fille déjà dépucelée pour qui la tante est prête à placer une grosse fortune pour étouffer la souillure de sa nièce...

La curée dépeint une société comme sortie sous terre et qui accède d'un trait aux portes du ciel et qui ne voudrait pas un seul instant lancer un petit regard vers la terre, un monde où l'avidité est la reine de toutes les conduites...

On quitte Plassans, un petit village où l'auteur nous a conduit sur plusieurs pistes avec plusieurs personnages dans des situations abracadabrantes mais le fondamental a été l'arrivée de la deuxième république, dans le premier tome, pour se retrouver à Paris dans une grande ville où l'auteur confine notre attention dans le couple de Saccard et sa jeune femme Renée, pourquoi pas Maxime aussi avec qui un paisible ménage à trois se distingue, un couple qui représente en soi cette deuxième république, le coup de force fait pousser des ailes d'une autorité redoutable et d'une soif titanesque du pouvoir qu'on verra la république devenir un empire...

Une écriture fascinante, on la déguste, on la laisse se fondre délicatement sur la langue comme un chocolat noir pour laisser perdurer le gout légèrement amer, signe de grandeur, à la formule "nul n'entre ici s'il n'est géomètre", je dirais nul ne vient à Zola, s'il ne peut déceler l'excellence!
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Lire La Curée 150 ans après sa publication se révèle passionnant. Ce roman a tout pour retrouver un second souffle à travers le portrait qu'il dresse de cette femme captivante qu'est Renée. Une vraie surprise pour moi qui n'avais jamais vu Zola sous cet angle. J'ai d'ailleurs souvent pensé à Madame Bovary – paru quelques années auparavant – mais là, on a un roman qui s'envole très haut dans le mordant, l'exubérance, la poésie… Je suis heureux d'avoir lu La Curée, deuxième tome des Rougon-Maquart après le Docteur Pascal – le dernier tome et sorte de résumé de la série qui en compte vingt. J'ai ainsi pu voir comment Emile Zola fait le lien entre ses personnages au fil du temps : Clotilde, personnage principal dans le Docteur Pascal, est la fille d'Aristide Saccard que celui-ci confie à la mort d'Angèle, sa première femme, à l'un de ses frères, Pascal Rougon, médecin à Plassans.

La curée commence en 1870, par la promenade au Bois de Boulogne de Renée et son beau-fils Maxime. Elle a à peine 30 ans, Maxime a seulement 20 ans. le chapitre 2 reprend l'histoire à partir de l'arrivée d'Aristide Rougon, dit Saccard, en 1851, l'année du coup d'état de Louis-Napoléon. Bien décidé à faire fortune, il rejoint à Paris sa soeur Sidonie et son frère Eugène alors en quête d'une carrière politique (il deviendra ministre). Par l'intermédiaire de sa soeur Sidonie, agissant en dessous – ah… son « éternelle robe noire, limée aux plis, fripée et blanchie par l'usage » –, Saccard se marie avec Renée, qui enceinte doit accepter un mariage arrangé avec cet homme qu'elle ne connaît pas. Consacré à la spéculation lors des grands travaux du baron Haussmann, la magnifique Renée trône telle une déesse dans toutes les scènes. Il y a là un très grand roman qui m'a impressionné, décuplant mon admiration pour cet auteur incroyable.

Saccard semble le gagnant dans cette morale de l'argent où tous les coups sont permis. Et pourtant… Si Zola place la honte du côté de Renée, avec ses dépenses inconsidérées pour le paraître, avec l'adultère – grand mot quand le mariage avec Saccard n'est qu'un mariage d'intérêt : elle parce qu'elle est enceinte, lui pour l'argent et la position sociale –, quant à l'inceste avec Maxime, ils ont peu de différence d'âge et il n'est pas son fils... En prenant un peu de recul sur l'ensemble du récit, il me semble que Zola a créé à travers Renée un personnage de femme très moderne. La beauté et l'humanité sont du côté de Renée, pas d'Aristide Saccard. La honte mise en avant est liée à la morale de son époque, que Zola ne pouvait ignorer s'il voulait être publié. On a le portrait d'une femme cherchant la liberté, éprise du beau. Elle se met en scène que ce soit dans sa chambre, dans la serre – le talent de Zola pour la description est fabuleux. C'est elle qui est à la manoeuvre, un rôle habituellement réservé aux hommes : Maxime est décrit comme beau, faible, comme une fille. Zola renverse, par ce procédé, les conventions. C'est Renée qui demande au jeune homme de monter dans sa chambre et, en l'absence de sa femme de chambre, de l'aider à se déshabiller… C'est elle qui est à la manoeuvre, un rôle habituellement réservé aux hommes : Maxime est décrit comme beau, manquant de volonté, faible comme une fille. Zola renverse, par ce procédé, les conventions de son temps. C'est Renée qui demande au jeune homme de monter dans sa chambre et, en l'absence de sa femme de chambre, de l'aider à se déshabiller… C'est elle qui séduit Maxime, un être sans volonté propre, pour le plaisir et un amour véritable qu'elle semble n'avoir jamais connu. L'inversion des rôles permet de questionner la place des femmes (on a pour compléter ce questionnement le couple lesbien formé par la marquise Adeline d'Espanet et Suzanne Haffner, appelées les inséparables…).

Qui aime Paris et son histoire devrait lire La Curée. Je me suis promené avec Renée et Maxime dans cette calèche, entre le lac du Bois de Boulogne et l'hôtel du parc Monceau, aménagé à grand frais par Aristide Saccard. J'ai vécu l'« embarras de voitures », les chevaux « soufflant d'impatience », la file des voitures bloquées au soleil couchant : calèches, coupés, huit-ressorts, victorias, landaus, fiacres, équipages somptueux où le tout Paris se donne en spectacle. Suivre sur une carte de Paris prend un peu de temps, mais quelle merveille de se transporter à cette époque où les joies du périph, des gaz d'échappement et des vrais embouteillages n'étaient même pas imaginés ! Prendre par l'avenue de l'Impératrice (aujourd'hui avenue Foch) avec l'Arc de Triomphe tout au fond, poursuivre par l'avenue de la Reine-Hortense (aujourd'hui avenue Hoche), observer les cavaliers dans les contre-allées, entrer dans la cour du luxueux hôtel particulier au bout de la rue Monceau, à quelques pas du boulevard Malesherbes tout juste percé en 1962 ! La plume de Zola permet ce miracle de voyager dans le temps !

La curée paraît à la chute de l'empire à partir de septembre 1871, en feuilleton dans La cloche, avant d'être interdit par décision du parquet de M. Thiers. Ce qui ne m'étonne pas tant la charge contre le second empire de Napoléon III, une classe sociale avide d'argent quels que soient les moyens utilisés, et aussi la liberté accordée par l'auteur à son héroïne sont très en avance sur l'époque.

La scène où Saccard emmène Angèle aux buttes Montmartre est centrale et magnifique. Il observe la ville en bas comme un général avant la bataille. Il a appris, en tant que simple employé à l'Hôtel de ville, que des travaux gigantesques vont commencer et devine qu'il y a beaucoup d'argent à gagner.

Cette édition bénéficie de nombreuses illustrations insérées dans le texte, d'une préface intéressante de Henri Mitterrand, d'une étude et de commentaires de Philippe Bonnefis et de notes de Brigitte Bercoff. Les notes sont très utiles même si elles datent un peu (à la différence du texte de Zola qui semble rajeunir), insistant sur des incohérences de dates – il s'agit bien d'un roman et l'aspect historique constitue une toile de fond et pas l'inverse – alors qu'il n'est pas du tout question de la modernité du personnage de Renée, ce que j'explique par rapport au regard nouveau porté sur la place des femmes dans la société. Un avis très personnel donc un peu risqué…

Avez-vous lu La Curée ? Que pensez-vous de la modernité ou non des thèmes et de Renée en particulier ?
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Chronique avec illustrations - compositions personnelles à partir de la couverture du livre - sur Bibliofeel, lien ci-dessous.
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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Que dire !!! La plume de Zola est toujours aussi parfaite. C'est un régal. J'ai pris un réel plaisir à lire cette histoire qui se passe dans la bourgeoisie parisienne de la fin du 19ème siècle. Les jeux de pouvoir, de séduction mais surtout l'avidité y sont décrits sans concession. A lire et relire ...
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Cette fois-ci, Zola nous convie à une jolie balade dans le Paris du XIXe siècle, en ouvrant la marche sur une fin de promenade au bois de Boulogne. Jolie balade, me direz-vous, sceptique ? Quelle antiphrase, vu que notre guide s'appelle Émile Zola !
Alors oui, cette visite parisienne se fera avec des compagnons plein de vices, de sournoiserie, de perversité, d'ignominie, dans une laideur morale extrême afin qu'ils puissent assouvir leurs bas instincts de bêtes affamées.

Revenons jeter un oeil sur le défilé de calèches et autres voitures bourgeoises qui quittent le bois de Boulogne. Dans le flot de tous ces attelages, au milieu de toutes ces toilettes des grandes mondaines parisiennes, Renée, la seconde femme d'Aristide Saccard ( = Aristide Rougon ) se sent lasse et blasée des richesses et des fêtes. Elle soupire, face à Maxime, le fils de son mari, et entrevoit déjà la passion condamnable qui la sortirait de cette langueur pernicieuse.

Saccard vit désormais dans un hôtel particulier d'une richesse éclatante de parvenu, où marbre blanc, or, tentures de velours et de soie, sont fastueusement décrits par l'auteur. C'est sur sa première femme moribonde que Saccard a posé son tremplin pour enfin contenter ses appétits féroces de fortune. Dans cette combine, et bon sang ne saurait mentir, sa soeur Sidonie lui donne un joli coup de main !
Les prémices des travaux haussmanniens qui vont doter Paris de grands boulevards seront le terrain de jeu de prédilection du redoutable et ignoble Saccard. Il y exercera des spéculations où l'escroquerie détient la plus belle place.

Entre Renée, noyée dans ses mondanités et ses dépenses outrancières, et Saccard, ivre de ses pièces d'or, Zola, lors de notre promenade, nous étourdit avec sa somptueuse description du jardin d'hiver où le désir ardent de Renée envers Maxime se fait jour, dans une végétation foisonnante aux parfums suaves et entêtants.
Notre guide est également incollable sur les toilettes de ces dames : noeuds de satin, corsages brodés de dentelles, larges volants plissés…

Nous sortons de cette marche essoufflés mais surtout écoeurés par cette course effrénée aux réjouissances sans aucune morale.
Promenade fort enrichissante sur le Paris en pleine transformation, dans un décor toujours finement détaillé par des phrases qui nous éblouissent à chaque page.
Quant aux compagnons de route, vous l'aurez compris, ils sont loin d'être fréquentables et les portraits précis et grinçants de notre guide ne les épargnent pas.
Encore du grand Zola !
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À la poursuite de l'argent, du pouvoir, de cette obsession de tout posséder, de tout détenir. Une cupidité dévorante qui frappe à coup de duperies, de manipulations et de trahisons. Un engrenage sans fin, sans limites pour effleurer du doigt le but ultime sans jamais le toucher.

À la poursuite d'une passion ravageuse, d'une adrénaline qui cogne le coeur pour remplir le vide de l'âme et ressentir la vie. L'ivresse de l'interdit, la frénésie de la passion consumée comme un instant hors de l'eau pour respirer à pleins poumons avant la fin inexorable qui te consume jusqu'à ce qu'il ne reste rien.

Le bonheur s'éteint quand cesse l'insouciance de l'enfance remplacée par la poursuite de tout, la poursuite de soi, au gré de ses propres intérêts par faiblesse, par lâcheté, par humanité.

Sur fond de luxe à outrance, de moeurs légères et de débauche, Zola tisse une toile qui te retient captif et te fait assister médusé à la curée.
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Relu à l'entrée de l'été, ce deuxième volume des Rougon-Macquart est de nouveau consacré comme étant mon préféré! Ecrit de façon somptueuse et précise à la fois, Zola maniant ici l'ironie et le sous-entendu avec une légéreté qu'on ne lui connait pas toujours, La Curée devrait figurer dans une liste de Best sellers s'il était édité de nos jours.Et il pourrait l'être. Délits d'initiés, magouilles, amitiés politiques et alliances louches avec des nouveaux riches devenus des malfrats, ou l'inverse, dilapidation de l'argent public, concussion, dessous de tables, éminences grises, femmes
de tête oeuvrant à de louches commerces, héritières captives de chevaliers d'industrie,hommes d'état emberlificotés dans les scandales ou dans leurs vices, haute couture et basses oeuvres .. on croirait feuilleter la page de nos journaux, rubrique mondaine, politique ou judiciaire.

Et si cela ne suffisait pas, il faut ajouter, en contrepoint, le magnifique portrait d'une femme à son zénith puis à son crépuscule, dont la faille constitutive et la fin sont en quelque sorte annoncées dans la superbe scène d'ouverture de retour du Bois, véritablement cinématographique.Insatisfaction, ennui, mépris pour ses amoureux transis, désir d'autre chose désir de ce qu'elle pense voir en possession d'une rivale. Rivale d'autant plus enviée qu'elle n'a pas sa beauté.. L'argent et la chair, l'argent des hommes et le plaisir des femmes, ces deux thèmes s'entrecroisent avec virtuosité, jusqu'à la chute finale.
Chef d'oeuvre d'un jeune écrivain fougueux maîtrisant parfaitement
son art.
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Les grands travaux d'Haussmann mettent Paris sens dessus-dessous. Partout, ce n'est que percée de grandes avenues et démolition de vieux immeubles. Dans cette atmosphère où tout est à construire, Aristide Saccard, anciennement Rougon, travaille à se bâtir une fortune colossale. « Aristide Rougon s'abattit sur Paris au lendemain du 2 Décembre, avec ce flair des oiseaux de proie qui sentent de loin les champs de bataille. » (p. 67) Spéculateur de génie, opportuniste et très intelligent, Aristide Saccard travaille méthodiquement et méticuleusement à sa richesse. L'or est son vice : pour l'assouvir, il contracte un mariage comme il aurait signé une affaire commerciale. Au fait de tous les secrets immobiliers de Paris, informé de tous les dossiers de l'Hôtel de Ville, il est le champion des magouilles immobilières. Ménageant des relations influentes et se réservant les meilleurs tuyaux, Aristide Saccard crée des « machines à pièces de cent sous ». La pièce de 20 francs devient alors le symbole de son existence, l'unité de tous ses calculs. Ce qu'Aristide Saccard aime également, c'est savoir qu'il a trompé son monde : « Duper les gens, leur en donner moins que pour leur argent était un régal. » (p. 161)

Son épouse, la très belle Renée, est une grande mondaine qui lance des modes. Avec sa folie des toilettes et des parures, Renée est une coquette qui dépense sans compter l'argent de son mari et de sa dot. Mais cela ne lui suffit pas. Renée s'ennuie et veut « quelque chose qui n'arrivât à personne, qu'on ne rencontrât pas tous les jours, qui fut une jouissance rare, inconnue. » (p. 20) Son premier cri est déchirant : « Oh ! je m'ennuie, je m'ennuie à mourir. » (p. 14) Ce à quoi son beau-fils, le jeune Maxime, répond ironiquement : « Je te conseille de te plaindre [...] : tu dépenses plus de cent mille francs par an pour ta toilette, tu habites un hôtel splendide, tu as des chevaux superbes, tes caprices font loi, et les journaux parlent de chacune de tes robes nouvelles comme d'un évènement de la dernière gravité ; les femmes te jalousent, les hommes donneraient dix ans de leur vie pour te baiser le bout des doigts. » (p. 15) Mais ce constat n'est pas apaisant pour Renée qui cherche des plaisirs plus puissants, des jouissances plus toniques, quitte à plonger dans le péché. Toutefois, Renée veut jouir en commettant une faute d'excellence, elle ne se contente pas des transgressions tièdes et des erreurs sans panache. « le mal, ce devrait être quelque chose d'exquis. » (p. 209)

C'est auprès de Maxime, fils du premier mariage d'Aristide, qu'elle consommera la faute la plus immonde qui soit, s'élevant ainsi à la hauteur de Phèdre. Maxime est un homme aux allures de fille, un étrange produit d'une société dont la morale s'appauvrit à mesure que les hommes s'enrichissent. Compère inséparable de sa belle-mère, il est l'objet de toutes ses attentions. Les deux jeunes gens glissent insensiblement sur la pente de la faute, mais aucun ne s'en défend. Après tout, il y a du sang de Rougon chez l'un et la dégénérescence d'une société débile chez l'autre : Émile Zola ne nous épargne rien, chez lui point de salut pour personne ! L'alcool et la pauvreté ne sont pas les seuls terreaux du vice. Chez Renée, « le mal devenait un luxe, une fleur piquée dans les cheveux, un diamant attaché sur le front. » (p. 297)

Le tour de force de ce roman, c'est le glissement insensible vers la déroute, qu'elle soit personnelle ou publique. Bien qu'il brasse des millions, Aristide Saccard est presqu'aussi pauvre qu'à ses débuts. L'opulence qu'il affiche n'est qu'une image. « D'aventure en aventure, il n'avait plus que la façade dorée d'un capital absent. » (p. 225) Dénonçant ainsi le jeu abject des spéculations, Émile Zola décrit à merveille les rouages pervers de cette pratique dangereuse. « Il vivait sur la dette, parmi un peuple de créanciers qui engloutissaient au jour le jour les bénéfices scandaleux qu'il réalisait dans certaines affaires. Pendant ce temps, au même moment, des sociétés s'écroulaient sous lui, de nouveaux trous se creusaient plus profonds, par-dessus lesquels il sautait, ne pouvant les combler. Il marchait ainsi sur un terrain miné dans la crise continuelle, soldant des notes de cinquante mille francs et ne payant pas les gages de son cocher, marchant toujours avec un aplomb de plus en plus royal, vidant avec plus de rage sur Paris sa caisse vide, d'où le fleuve d'or aux sources légendaires continuait à sortir. » (p. 224) On ne sait pas comment finit Aristide Rougon, mais on voit que Paris, suppliciée entre les mains des spéculateurs et des puissants, n'a pas fini de gémir.

Encore un Zola qui file tout seul, plus de 400 pages en moins de deux jours. Après L'assommoir, Germinal et quelques autres, c'est le premier roman du cycle des Rougon que je lis qui se déroule dans les sphères riches et influentes. Loin de la crasse de la mine et de la sueur des ateliers laborieux, l'atavisme trace tout de même sa voie. Qu'il s'agisse de boue ou de soie, les Rougon-Macquart trouvent toujours une fange où se vautrer.
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Cette fois-ci, c’est vraiment parti !

Après « la fortune des Rougon » qui plante le décor (épisode essentiel mais lecture un peu poussive pour ma part), c’est avec « la Curée » que l’on entre pleinement dans l’indépassable saga des Rougon-Macquart, à la faveur d’une scène inaugurale saisissante : le retour de promenade au Bois de Boulogne à la tombée du jour d’une cohorte de voitures de maître dans lesquelles s’alanguit, fière, connivente et blasée, toute la belle société parisienne du second Empire, prête à retourner s’étourdir à ses tourbillons de fortunes spéculatives et de festivités fastueuses dans le Paris chamboulé par les grands projets haussmaniens.

Que d’argent, que de dorures, que de combines, que de dépravations dans ce roman brutal et désenchanté!
Et que de parallèles avec l’époque actuelle sautent aux yeux tout au long de la lecture : cynisme du pouvoir, cercles d’initiés, scandales financiers, bulles spéculatives, intermédiaires corrompus, exécutants serviles ; vulgarité d’un luxe bling bling, frivolité d’une société de parvenus se sentant vivre au-delà des lois et moeurs du commun, alimentant la presse people d’alors.
Et l’on se prend à chercher le jumeau contemporain d’un Aristide et d’une Sidonie Rougon, d'un Larsonneau et autre Toutin-Laroche, tout aussi détestables hier qu’aujourd’hui.
Et sous cette toile de cupidité vaine, le destin dramatique de l'incandescente mais invertébrée Renée Saccart, femme d'Aristide, accroche le lecteur, mais ne le touche pas.

Dans cette galerie de personnages, c’est encore Paris, l'éternel Paris, même éventré, même trop rutilant d'un plâtre encore humide qui absorbe dans une souffrance silencieuse les extravagances de l'époque, qui s’en sort le mieux.

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