Retour sur ma lecture de fouché de
Stefan Zweig, dont je n'avais lu jusqu'ici qu'une seule oeuvre:
le joueur d'échecs.
Plutôt réfractaire aux biographies, j'ai sauté le pas grâce aux commentaires élogieux de beaucoup de lecteurs. Et cette première incursion dans le genre, comme vous le lirez, m'a emballée.
Dans cette biographie éponyme, nous allons suivre
Joseph Fouché, personnage important des années 1790 à 1820, et connu comme le chef de la police sous Napoléon. Mais il fût aussi, bien qu'ennemi de
Robespierre, un fervent terroriste, au sens de partisan de la Terreur comme nous le verrons au début de l'oeuvre
Zweig le décrit comme un être sans passion, expert dans la maîtrise de ses nerfs et fidèle à un seul parti: celui de la majorité. Prêt à changer de bord dès que cela sert ses intérêts, ce qu'il fit.
L'entreprise consiste à décortiquer la psychologie du futur duc d'Otrante, pour éclairer ses actes, son parcours, son ascension, ses meurtres...
Ainsi, Zweig défend par exemple la thèse selon laquelle les chefs de la Révolution, et fouché, n'étaient pas, au fond d'eux, des sanguinaires, mais plutôt contraints au meurtre par l'apologie même de celui-ci. Apologie théorique et brandie comme une menace envers leurs adversaires. Sauf que le peuple, "enivré, soulé et comme possédé par ces paroles sauvages et furieuses" demande alors l'application de la théorie. Zweig affirme donc que "la politique n'est pas l'art de conduire l'opinion publique, mais bien la façon dont les chefs s'inclinent en esclaves devant les courants qu'eux-mêmes ont créés et orientés"
C'est donc une question de lâcheté, lâcheté qui a fait selon lui verser plus de sang que le vice et la brutalité. Lâcheté qui fait de fouché le "mitrailleur de Lyon", lui qui pratiquera le massacre "non pas par passion républicaine, mais uniquement par crainte de déplaire comme modéré".
Bien évidemment cela ne minimise pas les atrocités commises et "le manteau ducal ne pourra pas dissimuler les traces de sang que portent ses mains".
On voit ici la qualité d'écriture de
Stefan Zweig, et sa volonté d'étudier les rouages psychologiques de ses protagonistes. Tout en naviguant dans cette succession de régimes de cette période troublée: la Convention, le Directoire, le Consulat, l'Empire puis la Royauté.
Ce ne sont que quelques passages, "fouché" regorgeant de moments forts, que ce soit le massacre de Lyon; la lutte contre
Robespierre (titre du chapitre III); le portrait en miroir avec Taleyrand, et d'autres.
Les pages dédiées à Napoléon restent mes préférées, avec ce portrait de l'empereur et de sa famille. Mais évidemment c'est la relation entre les 2 grand hommes qui est fascinante, pleine de haine et d'admiration, "ces 2 hommes, dont l'un veut être trop le maître et dont l'autre ne veut pas assez être le serviteur".
On y découvre ce Napoléon, que Zweig qualifie régulièrement de génie évidemment, dont en 1804, "l'intelligence a depuis longtemps perdu la mesure terrestre". 30 000 hommes, puis 300 000, puis 1 000 000. Voilà les effectifs dont il a besoin et qu'il puise sans vergogne dans le peuple français grâce à la conscription pour partir en guerre, chaque année, lui qui "ne sent plus ses nerfs vibrer que lorsqu'il traverse à marches forcées des pays entiers à la tête de ses troupes, que lorsqu'il met en pièce des armées, que lorsque d'un mouvement nonchalant des doigts il déplace les rois, comme des figures d'échecs".
Passionnant...
C'est notamment dans ces pages que Zweig cite plusieurs fois
Balzac en qui il voit un fin observateur de son temps. On ressent l'admiration qu'il éprouve à l'égard du romancier français. Il lui consacrera également une biographie publiée en 1950 en France, après sa mort.
Après avoir changé mille fois d'alliances, fouché essayera de se mettre une dernière fois au service de
Louis XVIII, dont il a pourtant tué le frère, prononçant comme d'autres en 1793 "la mort" à l'encontre du roi.
Et la Restauration ne pardonnera pas au régicide...
Zweig dresse donc un immense portrait de son "anti-héros", qui devient plus puissant que Napoléon lui-même lors des 100 jours. Il est la métaphore parfaite de la duplicité (Napoléon ecrira "je n'ai connu qu'un traître véritable : fouché) mais aussi de la résilience et l'auteur en dessine des contours moins nets qu'il n'y paraît au début, rappelant à plusieurs reprises l'attachement qu'il porte à son épouse et à ses enfants. A qui il restera toujours fidèle.
Bref, vous l'aurez compris à la lecture de ces lignes, j'ai beaucoup apprécié cette lecture
J'ai aimé le style enlevé, "romanesque" même, qui est utilisé par l'auteur et qui fait de cette oeuvre un outil d'apprentissage particulièrement ludique. Et qui nécessitera d'autres lectures pour approfondir certains sujets.
L' analyse psychologique des personnages, propos principal de Zweig, est aussi passionnante.
La traduction me semble d'une qualité exceptionnelle, tellement la lecture est fluide.
Je vous le recommande sans réserve et vais donc bientôt certainement remonter un peu dans le temps pour m'atteler à une autre biographie fortement conseillée par les amateurs de
Stefan Zweig :
Marie Antoinette
Bonne lecture à tous !