Pour peu sympathique que soit le régicide
Fouché, Zweig essaye au fil des pages du livre qu'il lui a consacré, de nous donner les ressorts de sa psychologie. J'apprécie peu qu'on nous le présente généralement comme l'un des hommes qui nous débarrassa de
Robespierre pour la bonne cause : ce dernier demandait au citoyen
Fouché des comptes sur son attitude lors des massacres perpétrés à Lyon et ailleurs avec Collot d'Herbois ; les Tallien et d'autres massacreurs du même genre furent sommés par
Robespierre de s'expliquer sur ces "boucheries" ; se sentant menacés, ces assassins convainquirent les députés du Marais à la Convention que
Robespierre les menaçait (
Fouché fit circuler dans l'assemblée de fausses listes de suspects sur lesquelles leurs noms figuraient) et ils trouvèrent par là le moyen de renverser et éliminer
Robespierre, en se faisant passer pour des agneaux alors qu'ils n'étaient que des loups. La vérité est que
Robespierre inquiétait un peu les "possédants" parce qu'il voulait faire approuver à terme une loi sur le prix maximum des denrées, ce qui eût profité au peuple ; la majorité des "représentants de la nation" possédaient des biens - des industries, des commerces, des rentes : ils se sentaient menacés par l'action de
Robespierre qui était regardé de travers parce qu'il avait de la considération pour le peuple et émettait des réserves sur le sacro-saint principe du "droit de propriété imprescriptible et sacré" qui avait remplacé Dieu et tenait la place principale dans la très bourgeoise Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Zweig a préféré éluder cette question, et c'est dommage, car l'attitude des hommes qui renversèrent
Robespierre et le présentèrent comme un monstre assoiffé de sang trouve là sa source : les possédants inquiets de voir trop de révolutionnaires favorables à la cause du peuple envoyèrent ces hommes de la France d'en bas se faire tuer sur les
champs de bataille dans les guerres révolutionnaires puis napoléoniennes. Belle méthode pour se débarrasser de ces gens du commun qui auraient dû être les bénéficiaires de la Révolution et qui ne le furent jamais.
En taisant tout cela, Zweig a manqué quelque chose ; reste qu'il a malgré tout montré dans son portrait de
Fouché, devenu l'un des fossoyeurs de la Révolution après en avoir été l'un des apôtres les plus fervents et l'un des serviteurs les plus zélés, que l'homme était un bel opportuniste, qui savait surfer sur la vague, élégamment ou pas, et qui s'en tirait à merveille. Il pratiqua de même avec Napoléon, fut le ministre de sa police et un chercheur de bons limiers et d'espions, tenant des fiches et dossiers pleins de riches informations, qui furent utiles à l'Empereur tant que
Fouché vit de l'intérêt à le servir, et qui retourna tout son système, sa puissance d'action et son influence contre lui quand il perdit de son crédit auprès de Napoléon. Il le lâcha résolument quand il sentit le vent de l'Histoire souffler contre "l'Ogre corse".
Fouché forma alors une belle paire avec Talleyrand, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Napoléon. "Le vice appuyé sur le bras du crime", comme l'a noté
Chateaubriand dans le livre XXIII, chapitre 20, des
Mémoires d'Outre-Tombe.
Fouché n'a rien gagné à ce petit jeu après 1815, et Louis XVIII ne lui a pas donné ce qu'il espérait recevoir en récompense de l'abdication de Napoléon, obtenue en grande partie par le duc d'Otrante.
Stefan Zweig brille dans ces pages qui nous montrent cet homme au sommet de son talent puis au creux de la vague. La fin sans gloire de celui qui aida à éliminer
Louis XVI,
Robespierre et Napoléon nous est magnifiquement décrite. Elles valent autant que celles qui nous montrent les réactions de
Fouché au moment de l'arrestation et de l'exécution du duc d'Enghien et celles qui suivirent l'attentat de la rue Saint-Nicaise : rares moments où
Fouché eut vraiment raison.
Les routes les plus sinueuses n'empêchent donc pas quelquefois certains hommes d'avoir des pensées droites.
Zweig se met dans la peau du personnage et son portrait psychologique du personnage est une réussite.
François Sarindar, auteur de :
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)