La peur /
Stefan Zweig
« Ça se contente pas d'avoir un mari, beaucoup d'argent et tout le reste, il faut encore que ça vienne chiper l'amant d'une pauvre fille. »
C'est par ces mots qu'une inconnue invective d'une voie perçante Irène Wagner après l'avoir bousculée alors que cette dernière quitte l'appartement de son amant. ! Irène sous son épaisse voilette espère ne pas avoir été reconnue et avant de retrouver le domicile conjugal veille à ce qu'aucun désordre dans ses vêtements ne trahisse ses moments de passion.
Après qu'elle a été interpelée par cette femme vulgaire et après la faute commise, elle veut fuir, retrouver la tranquillité de son univers bourgeois, faire fondre cette terreur mystérieuse qui l'habite à présent.
Irène est l'épouse d'Édouard, un des avocats les plus renommés de la capitale autrichienne. C'est à l'instigation de ses parents qu'elle a épousé cet homme, sans réticence, en éprouvant pour lui une tendre sympathie qui n'avait pas été déçue au fil des années. Huit années ont passé selon le rythme tranquille d'un bonheur sans nuages.
Lors d'une soirée, elle a été séduite par un jeune pianiste réputé et dès la première rencontre privée au domicile du jeune homme pour écouter sa musique, elle s'est donnée à lui sans besoin réel et même sans véritable désir, par une sorte de paresse à résister à ses avances et par une espèce de curiosité fiévreuse quoiqu'en vérité le bonheur conjugal comblât les désirs de sa chair et, heureuse, qu'elle n'eût en rien besoin d'un amant.
Le couple a deux enfants et appartient à la grande et élégante bourgeoisie viennoise. Cette existence protégée et dépourvues de risques lui donnait l'impression d'être dépossédée de la vraie vie et suscita en elle des envies d'aventure comme au temps de son adolescence peuplé de rêves confus de grand amour et de sentiments exaltés. Ces songes refaisaient surface maintenant qu'elle approchait de la trentaine avec un sentiment voluptueux lié à
la peur inhérente à ses écarts pour tromper son ennui.
Mais suite à l'invective vulgaire de l'inconnue, elle revient à la réalité et est prête à sacrifier son amant pour conserver son confort personnel. La relation avec Édouard se tend car il a des soupçons face au comportement étrange et changé de son épouse qui est prise dans un traquenard monté par l'inconnue, un chantage permanent pour soutirer un butin de la bourgeoise qui lui vole son amant.
À présent, la terreur hante toute la maison, car l'inconnue, l'extorqueuse, a suivi Irène et sait où elle habite. Pour Irène le malheur semble inéluctable, elle en a maintenant l'effroyable certitude, et il est impossible qu'elle y échappe. Elle n'ose plus sortir de chez elle, dévorée par
la peur d'une rencontre redoutée. Elle se sent traquée des deux côtés, par l'inconnue et par son mari qui lui demande de parler, car il sait que quelque chose ne va pas.
Irène s'interroge : et si l'inconnue n'était pas l'amante du pianiste mais seulement une observatrice occasionnelle qui a trouvé un moyen de se faire de l'argent ! Et si le pianiste et l'inconnue avait partie liée et partageait le butin ! Irène ne sait plus que penser et elle envisage les solutions les plus extrêmes pour se sortir de cette situation intenable. Un suspense à couper le souffle s'instaure alors …
Une nouvelle absolument glaçante, un thriller qui décoiffe vers un dénouement magistral, dans un style très enlevé avec une analyse des sentiments absolument remarquable. On constate une fois encore le génie de l'observation de
Stefan Zweig, son sens magistral de la psychologie dans l'analyse des comportements humains et particulièrement celui d'Irène.